Covid-19 en RDC : le défi de l’accès aux tracteurs se réaffirme pour les petits producteurs agricoles

Eden Mvuenga
Enabling Sustainability
6 min readOct 8, 2020

Le recours aux tracteurs agricoles a le pouvoir de transformer les économies des familles rurales en facilitant l’augmentation de la superficie à emblaver et la rentabilité économique, tout en réduisant considérablement le temps et l’effort physique associés au labour manuel.

L’un des tracteurs destinés aux coopératives agricoles dans le territoire de Bulungu en RDC. Copyright: Congo Autrement, 2019

Reléguée au second plan, la mécanisation de l’agriculture en République Démocratique du Congo (RDC) se limite souvent à une distribution aléatoire de quelques tracteurs sans véritable stratégie à moyen et long terme. Le plan national d’Investissement agricole qui guide les interventions du gouvernement congolais en matière de développement agricole entre 2014 et 2020 ne donne pas des orientations ou stratégies claires susceptibles de valoriser la mécanisation des chaînes de valeur agricole, mettant ainsi en péril la capacité des petits producteurs à recourir aux services de mécanisation agricole de manière générale pour prospérer et améliorer la productivité agricole.

Avec l’apparition de la Covid-19, plusieurs agriculteurs ont vu leur calendrier agricole bouleversé à cause de l’inflation des prix de location ainsi que la rareté des fournisseurs de tracteurs en location.

Une calamité qui date et se répète

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), l’accès aux tracteurs pour les petits producteurs agricoles offre la possibilité d’étendre la superficie cultivée ainsi que la capacité d’effectuer les opérations au moment opportun pour optimiser le potentiel de production; réduit la pénibilité physique liée aux pratiques agricoles ayant recours à l’énergie musculaire pour des tâches difficiles telles que le binage manuel pour la préparation du sol.

Plusieurs tentatives de promotion des services de mécanisation agricole ont vu le jour au niveau national dans l’optique de moderniser les systèmes alimentaires à travers des appuis logistiques engins agricoles.

En 2011, le gouvernement congolais a distribué près de 2175 tracteurs, à raison de 197 à 198 engins par province dans le cadre de sa politique de la relance agricole. L’évaluation réalisée deux ans plus tard par une commission ad doc a établi un bilan macabre, conséquence d’une affection non coordonnée ne reposant sur aucune stratégie contextualisée en fonction des besoins des bénéficiaires finaux. Seul 10 % de ces engins ont été utilisés à des fins jugées utiles selon le Service National de Motorisation Agricole (SENAMA).

“A ce jour, il n’existe aucun plan ou stratégie national récent cristallisant les orientations nécessaires susceptibles de promotion la motorisation agricole en RDC”, s’est indigné le Directeur du SENAMA. Le Plan National d’Investissement Agricole (PNIA) 2013–2020 censé combler les lacunes réglementaires de la mécanisation agricole ne classe pas la mécanisation agricole parmi ses cinq axes prioritaires comme facteur déterminant par excellence de promotion des filières agricoles.

Le nouveau plan de relance agricole élaboré dans un contexte de Covid-19, chiffré à 4,4 milliards de dollar américain, résume à son tour la mécanisation agricole en une simple distribution des engins motorisés et d’accessoires dont environ 2 000 tracteurs sans plan opérationnel susceptible de faciliter l’accessibilité aux petits producteurs.

L’absence des services de maintenance appropriés pour les tracteurs et autres engins est à la base de la pénurie des services de mécanisation dans les bassins de production agricole en milieu rural. “A ce jour, le plateau des Bateke, grenier de la ville de Kinshasa constitue un cimetière grande nature des tracteurs distribués par le gouvernement par manque criant des centres de maintenance des engins agricole. Sur place, on dénombre des centaines des tracteurs complètement obsolètes abandonnés; ce qui, accentue la pénurie et limite en même temps la productivité agricoles chez les agriculteurs”, affirme avec désolation le Coordonnateur du Centre d’Appui au Développement Intégral de Mbankana (CADIM) lors de nos entretiens. “Il faut parcourir jusqu’à 30 voire 50 Km à la ronde pour trouver un tracteur”, se lamente un agriculteur dans la province du Kwango.

Au-delà de la pénurie, les quelques rares fournisseurs de services de mécanisation agricole disposent de matériels inadéquats ne répondant pas efficacement aux besoins de la demande. A cet effet, les petits producteurs agricoles sont souvent obligés de payer des frais plus élevés que prévu pour une surface agraire bien déterminée. Les dernières investigations réalisées en 2020 par l’Institut Supérieur des Etudes Agronomiques (ISEA/Tshela) montrent qu’en moyenne un exploitant agricole débourse près de 3% supplémentaire aux coûts totaux habituels dédiés à la location d’un tracteur sont frais connexes de mobilité. “Nous dépensons jusqu’à 20000 CDF (10 USD) juste pour le transport à la quête d’un tracteur à la ronde”, relate un producteur du pool agricole de Kinzau Mvuete dans la province du Kongo Central.

Il est indéniable que si rien n’est fait, la vulnérabilité des petits producteurs atteindra un pic insupportable surtout en cette période où la campagne agricole devra être amorcé dans un contexte de Covid-19.

“L’inflation des prix due à la Covid-19 renforce l’inaccessibilité aux tracteurs chez les petits producteurs agricoles,…”

En République Démocratique du Congo la mécanisation agricole, et de fait la place de la mécanisation dans la chaîne de valeur agricole, a été affectée drastiquement par une série des contraintes dues à la pandémie de Covid-19, fragilisant ainsi les quelques rares services de mécanisation profitables aux fermiers, en particulier aux petits producteurs et aux autres acteurs des chaînes de valeur agricole. L’inflation des prix est l’une des contraintes qui effrite les économies des ménages en milieu rural, impactant directement l’accessibilité aux tracteurs.

Après investigations auprès des petits et différents acteurs intervenant dans les filières, il ressort que la motorisation agricole, notamment la location d’un tracteur pour aménager (labour et hersage) un lopin de terrain d’un hectare, a subi une inflation drastique dans quelques provinces à vocation agricole. Le coût moyen de location est passé de 180.000 CDF à 200.000 CDF, soit 11,1% d’inflation dans la ville province de Kinshasa ; 180.000 CDF à 230.000 CDF, soit 27,7% d’inflation dans la province du Kwilu ; 100.000 CDF à 130.000 CDF au Kongo Central, soit 30% d’inflation ; 200.000 CDF à 210.000 CDF dans le Kwango, soit 5% d’inflation ; et enfin, 295.000 CDF à 310.000 CDF, soit 5,1% d’inflation dans le Haut-Katanga.

L’inflation galopante telle que démontrée par les résultats supra, vulnérabilise l’accessibilité des services de motorisation au sein des systèmes alimentaires en milieu rural ou périurbain. Les petits producteurs disposent, presque par définition, de ressources modestes et il leur est souvent difficile d’investir dans du matériel agricole. La déstructuration du cadre macro-économique causée par la pandémie de la Covid-19 a particulièrement touché les revenus des petits producteurs. A titre indicatif, dans les pools de production de plateau des Batékés et Kasangulu (partie Ouest du pays), il est rare actuellement de voir un petit producteur isolé louer un tracteur pour toutes les opérations culturales. “Dans la province du Kwango où on observait des tentatives d’adoption des tracteurs même chez les petits producteurs à pouvoir d’achat faible actuellement avec la crise économique, l’usage des matériels aratoires rudimentaires se réaffirme”, a renseigné le chargé de production végétal de Casa Veritas ONG.

La modernisation du secteur agricole en mécanisant/motorisant l’agriculture familiale devrait être l’une des priorités pour le gouvernement congolais, les partenaires techniques et financiers. A ce titre, la mise en œuvre des politiques de motorisation agricole coordonnées et intégrées au profit des petits producteurs s’avèrent plus que jamais inéluctables pour l’accroissement des superficies cultivables et l’intensification accrue de la production agricole durant la pandémie de Covid-19. Pour y parvenir, quelques recommandations principales suivantes sont à prendre en compte :

  • Appuyer la mise en œuvre des projets de promotion des services de mécanisation agricole au niveau local destinés aux petits producteurs ;
  • Investir dans la digitalisation pour l’accès aux tracteurs à travers le déploiement des technologies adaptées aux petits producteurs agricoles capables, à l’instar de Hello Tractor;
  • Redynamiser le SENAMA pour une action coordonnée et adaptée aux petits producteurs ;
  • Mettre en place des comités nationaux de la mécanisation agricole (CNMA) ;
  • Accroître les investissements dans la mécanisation agricole ;
  • Créer un environnement propice au niveau des politiques, des institutions et des réglementations susceptibles de promouvoir l’utilisation des tracteurs au profit des petits producteurs.

Ecrit par Eden Mvuenga

Cet article fait partie de Covid-19 Food/Future, une initiative du projet SEWOH Lab du TMG ThinkTank for Sustainability (https://www.tmg-thinktank.com/sewoh-lab). Elle vise à fournir un aperçu unique et direct des impacts de la pandémie Covid-19 sur les systèmes alimentaires nationaux et locaux. Suivez également @CovidFoodFuture, nos journaux vidéo de Nairobi, et @TMG_think sur Twitter. Le financement de cette initiative est assuré par le BMZ, le Ministère Fédéral Allemand de la Coopération Économique et du Développement.

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