Impact du Covid-19 sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Burkina Faso :
Il faut un dispositif proche des communautés et se mettre en mode production
La maladie du Covid-19 est un élément de vulnérabilité de plus pour nos populations. Comme si les effets du changement climatique ou la menace des criquets pèlerins ne suffisaient pas, la pandémie vient s’ajouter aux chocs que subit le secteur agricole burkinabè. Elle met au défi le tissu social dans son entièreté et parait comme une menace pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations.
Dans cet entretien, Salifou Saré, chargé de programme dans le domaine développement et économie locale au bureau de la coopération et agence consulaire suisse au Burkina Faso, analyse l’impact du Covid-19 et les décisions prises par les autorités sur le système alimentaire depuis l’apparition de la crise et propose des pistes de réponses inclusives pour relever le défi d’assurer une alimentation saine et équilibrée pour tous les Burkinabè. Comme le dit M. Saré : « C’est la réponse qu’on doit mûrir. Une réponse qui permet d’apporter une assistance alimentaire aux gens, mais en même temps qu’ils aient la capacité de produire dès que la crise va passer. »
Q1 – Au regard de l’évolution de la pandémie du coronavirus au Burkina Faso et du niveau de stocks des denrées alimentaires, peut-on dire que nous disposons de ressources alimentaires suffisantes pour couvrir les besoins des populations actuellement ?
Selon le rapport de la campagne agricole 2019/2020, le Burkina Faso enregistre une baisse de 4% de sa production céréalière par rapport à la campagne dernière. Pourtant le pays connaît déjà une année compliquée sans le Covid-19 parce plus de deux (02) millions de personnes sont en situation de crise alimentaire à cause de l’insécurité (terrorisme), les chocs climatiques et les ravageurs des cultures (chenilles légionnaires). Le Covid-19 vient compliquer les choses. L’impact ne se limitera pas aux ruraux, mais il va s’étendre jusqu’aux personnes du secteur informel en milieu urbain… Globalement, pour la période courante, le pays dispose de stocks de trois (03) mois de riz qui couvrent nos besoins. Mais si nous nous projetons plus loin dans la saison, nous ne maîtrisons plus rien.
Q2 – Comment la maladie du coronavirus affecte-t-elle la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Burkina Faso surtout au regard des mesures prises ?
Le plus gros problème c’est la restriction des moyens de transport. Tout le monde n’utilise pas les moyens classiques de transport. Beaucoup passent par des petits moyens de transport (vélo, mobylettes, véhicule de transport en commun) surtout pour les produits frais. Si ces petits moyens de transports sont interdits aujourd’hui, ça veut dire qu’il y aura un problème de transfert des produits agricoles des zones de production vers les zones de grande consommation comme Ouagadougou, Bobo-Dioulasso ou les zones en quarantaine. Logiquement, il y aura une augmentation des prix puisque le commerçant qui arrive à faire rentrer des produits va mettre une marge substantielle pour compenser ses dépenses supplémentaires. Mais cela ne signifie pas que le producteur va avoir plus parce qu’il vend toujours au prix normal. Le deuxième souci concerne ceux qui travaillent en milieu péri-urbain. S’ils n’arrivent plus à accéder à leur zone de production, il y aura un impact sur leur revenu. Ceux du secteur informel, dans les marchés et les « yaars » qui vivent au jour le jour ont désormais moins de revenus et vivent une situation alimentaire et nutritionnelle difficile. Il faut une intervention de l’Etat pour les aider à faire face à la situation à travers la distribution gratuite des vivres ou la vente à prix social pour les plus vulnérables.
Q3 – Mais le gouvernement burkinabè autorise le transport des marchandises pour ne pas rompre l’approvisionnement. Quelle est votre lecture ?
Tout ce qui est comme quarantaine et confinement restreint la mobilité des populations même si le gouvernement autorise le transport des marchandises. Comme je le disais, tous n’utilisent pas les moyens autorisés. Il faut préciser aussi que l’approvisionnement n’est pas aussi forcement interne. Au niveau mondial, d’autres pays ont pris des mesures de restriction. Déjà il y a des mesures de restriction sur l’exportation du riz par certains grands producteurs mondiaux. Pourtant notre production nationale en riz ne couvre que 47% de nos besoins ; ce qui veut dire qu’il faut importer autour de 53% dans un contexte où l’offre sur le marché mondial risque de ne pas exister ou à baisser. On aura des problèmes pour approvisionner nos marchés locaux. Les restrictions de l’Etat certes, mais les restrictions des autres pays vont impacter sur notre approvisionnement.
Q4 – Que faire pour minimiser l’impact du Covid-19 sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Burkina Faso ?
Présentement, il faut d’autres dispositifs pour approvisionner les marchés surtout en produits frais et périssables. Il faut surtout un dispositif proche des communautés pour éviter les attroupements. En plus, nous devons tous être solidaires en aidant ceux qui traversent une situation difficile. Il faut avoir des aliments à distribuer à ceux qui ne peuvent pas aller sur le marché. Il faut aussi travailler à fournir les marchés en vivres pour éviter la flambée des prix ; ce qui limitera la capacité d’achats des populations.
Outre ces mesures, pour que le système continue à être fluide à moyen et long terme, l’Etat doit se mettre en mode production. Pour produire, il faut que les producteurs aient suffisamment d’intrants. L’Etat doit se préparer pour la campagne agricole à venir en allant sur le marché chercher les intrants tels que les semences et les engrais. L’objectif c’est que notre production locale puisse nous suffire même s’il y a un déficit de l’offre mondiale.
Q5 – Dans ce contexte où toutes les forces sont utiles, comment les jeunes peuvent-ils être impliqués dans le processus d’élaboration des politiques au niveau national voire local pour un après-covid sans faim ?
Pour moi, il faut que les jeunes soient outillés sur les processus d’élaboration des politiques et les questions agricoles, les interactions dans le système alimentaire, les instruments des politiques agricoles pour qu’ils puissent apporter une contribution pertinente. Ils connaissent déjà les impacts, mais ont besoin des instruments pour les aider à mieux faire prendre en compte leurs intérêts dans les politiques agricoles ou dans les plans communaux de développement. C’est un rôle que doit jouer les organisations paysannes et les acteurs de la société civile.
Propos recueillis par Dieudonné Edouard Sango
Cet article fait partie de Covid-19 Food/Future, une initiative du projet SEWOH Lab du TMG ThinkTank for Sustainability (https://www.tmg-thinktank.com/sewoh-lab). Elle vise à fournir un aperçu unique et direct des impacts de la pandémie Covid-19 sur les systèmes alimentaires nationaux et locaux. Suivez également @CovidFoodFuture, nos journaux vidéo de Nairobi, et @TMG_think sur Twitter. Le financement de cette initiative est assuré par le BMZ, le Ministère Fédéral Allemand de la Coopération Économique et du Développement.