Agences, cessez de baver sur les startups

Davy Peter Braun
Enfants Terribles

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Je suis un professionnel expérimenté, technicien, designer, connaissant le monde des startups et celui des agences de communication. Et un Millenial. Juste le bon mélange pour être mal à l’aise lorsque certains décideurs en agences s’entichent de (et communiquent ouvertement et avec maladresse sur) l’écosystème startup.
Que vous cherchiez à en retirer le meilleur, la sacro-sainte innovation, est pragmatique et louable.

Mais faites-le vraiment. Cessez de “prendre la parole”. Agissez.

Pourquoi pas vous, alors que certains y arrivent ? Je ne les connais pas tous, je ne connais pas toutes leurs manières d’y arriver, mais sans aucun doute leurs organisations suivent-elles instinctivement les principes a fortiori que Paul Armstrong liste dans son article dans The Guardian. Et vous devriez en faire de même, avec une sincérité profonde. Ou vous taire. J’en ai été le témoin, plusieurs fois, dans les deux ou trois dernières années.
Alors quelqu’un doit vous le dire :

S’exciter maladroitement sur les startups
va faire fuir vos Millenals.

Et la génération d’après, vos (futurs) juniors. Vous organisez vous-même la fuite de vos cerveaux.
Je m’adresse à vous, dirigeants et décideurs en agences, obnubilés par les startups. Par leur vocabulaire. Par ce que vous imaginez être un nouvel eldorado entrepreneurial, si votre principale source d’information sur le sujet sont les médias spécialisés américains (ils ne représentent qu’une infirme partie de la réalité, souvent la plus sexy) et quelques startupers avec qui vous essayez d’entretenir des “partenariats”. (Vous voulez juste être dans la bande des nouveaux cools. Ils veulent juste vos moyens pour survivre et avancer. Fair enough).

Un groupe de jeunes en galère parce qu’il leur faut payer leur loyer et manger pendant qu’ils travaillent sur une idée sans être payés, ce n’est pas enviable. Une poignée de co-fondateurs qui travaillent soir et week-end après le boulot, et dépensent leur économies pour bootstrapper l’idée de leur rêve, ce n’est pas enviable. Mais c’est aussi ça, les startups.

Vos Millenials, vous les traitez souvent mal. Vous les payez souvent mal. Vous leur manquez parfois de respect, les regardant à travers le prisme de cette indifférence acquise au cours de vos années dans le sérail des communicants. Vous y avez peut-être vécu vous aussi quelques années de junior méprisé, mais envieux, face à des publicitaires légendaires et grassement payés. C’est “l’ordre des choses”, c’est une “manière d’apprendre”… et je peux lister encore quelques poncifs complètement à côté de la plaque qui justifieraient de surpayer un Directeur-de-quelque-chose en sous-payant un jeune consultant qui porte à bout de bras des projets complexes.
C’est une connivence de nantis.

Bien sûr… vous n’êtes pas nécessairement ce genre de nantis… j’exagère. Mais vos Millenials, eux, ils en ont connus. Et n’ayant pas le même train de vie qu’un Directeur-quelconque, ni les mêmes responsabilités dans leur vie personnelle, ni la même énergie (ils en regorgent), ils ne craignent pas la galère des startups. En fait, quitte à souffrir, autant que ce soit pour des valeurs qui échappent complètement à la génération précédente et qui sont intrinsèquement, profondément les leurs. Je ne parle pas de succès et d’argent — ce sont des moteurs, mais trop abstraits face aux 90% des startups qui échouent. Je parle d’idéaux que Jeremy Rifkin touche du doigt lorsqu’il décrit des changements de paradigme générationnel dans ses deux derniers ouvrages, pour poser les fondations de ses propres postulats socio-industriels. Un type malin, qui a bien senti le glissement.

Et quand vous vous agitez à parler de startups, vous vous faîtes du mal. A préempter les derniers mots clés intrigant de l’écosystème, vous les videz de leur sens. A louer ses dernières méthodologies fascinantes d’efficacité sans les avoir appliquées, vous perdez de votre crédibilité. Et tôt ou tard, vos Millenials s’en rendent compte. Et vous en veulent. S’ils ne l’avaient pas considéré avant, ils goûtent peu à peu à la possibilité d’un environnement professionnel où innovation n’est pas un gros mot dans une reco PowerPoint envoyée à un client, mais une réalité vécue. Ils vous en voudront de tout ce bullshit, que vous ayez été de bonne foi ou non, parce qu’ils découvriront, si vous les avez emmenés avec vous dans votre engouement, que vous vous êtes peu ou prou servi de leur énergie et de leur confiance.

En somme, quand vous vous agitez à parler des startups,
vous ne faîtes que montrer à vos Millenials
que l’herbe est sans doute plus verte ailleurs.

Ce que vous pourriez faire, tout de suite, c’est de moins en parler. Si vous n’avez pas de réelle velléité à participer à l’écosystème, taisez-vous. La prise de parole comme fin en soi, c’est symptomatique du vieux con. Et vous n’êtes pas un vieux con. Vous êtes une personne intelligente et sensée qui, malgré les réalités de la vie d’agence (il faut de l’argent pour faire tourner la boîte et de la notoriété pour faire avancer les carrières), garde encore en elle une certaine volonté d’excellence, de pertinence.

Si vous êtes vraiment intéressé par les startups, rapprochez-vous d’experts afin de pouvoir, par leur aide et leurs conseils, investir intelligemment dans la phase de seeding d’une startup — sans intervenir dans sa gestion. Votre position sera incongrue et intéressante. Vous aurez de nouvelles choses à dire, avec une légitimité neuve pour le faire.

Vous avez des concepts innovants en internes ? Vendez-les à l’extérieur, en vous entourant de nouveaux experts qui auront, davantage que vous, les méthodes de la Nouvelle Ecole, celle qui vous échappent, pour donner corps à vos ambitions sur de nouveaux terrains. Et attention : vous identifiez ces experts parce qu’ils ont fait leurs preuves, personnellement (exit les prix publicitaires sur le CV — travail de groupe souvent calculé pour être gagné, qui ne garantit pas la valeur d’une expertise personnelle). Demandez-leur de vous décrire personnellement la pire problématique sur laquelle ils sont intervenus. S’ils ne sont pas en mesure d’égrainer avec détail et passion un chapelet d’itérations menant à une victoire ou un raté, méfiez-vous.
Et ces experts, écoutez-les réellement. Si vous voulez la magie, n‘empêchez pas les sorciers de faire leur travail. Ayez confiance : mieux que quiconque auparavant dans votre organisation, ces pépites ont besoin de rendre quantifiable leur efficacité. Ils seront fiers de vous présentez un retour sur investissement tangible. Comme dans une startup.

Vous avez une vision disruptive pouvant chambouler, faire évoluer vos métiers ? Créez des task forces réduites pour donner corps à des offres nouvelles issues de cette vision. Ensuite, poussez-les à faire aussi du biz dev. A sortir de l’immeuble. Ces teams créas d’un nouveau genre, mixant par exemple creative technologist et planeurs stratégiques, directeurs artistiques et consultants commerciaux, bref… tout sauf le binôme classique… jouent le rôle intrapreneurial qui fait le lien entre votre discours et sa valeur réelle. Qu’ils échouent — peu importe ! Tant que vous êtes en mesure de cadrer leur mission dans un temps et des objectifs raisonnables, et de faire un post-mortem pertinent derrière en cas d’échec, c’est une réussite.

Regardez bien les tics et mimiques des visages de vos Millenials, lors de la prochaine réunion client où se retrouveront dans la même phrase les termes “innovations” et “technologies”. Quand vous devinerez un sourire, ou du dépit, c’est que vous les avez perdus.

Il y a peut-être un moyen de regagner leur confiance et celle de leurs pairs.
Retrouvez la grandeur qui les impressionnait lorsqu’ils vous ont rejoint : oubliez les buzzwords, et attelez-vous à la redéfinition de vos modèles d’affaires à l’orée de toutes les révolutions que nous traversons.

Vous serez aussi paumé qu’eux. Vous ferez des erreurs.
Mais vous aurez retrouvé à leurs yeux votre dignité, et cette pointe de génie qui vous caractérisait.

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