Faut-il critiquer les propositions de la convention citoyenne pour le climat ?

Emmanuel Pont
Enquêtes écosophiques
6 min readJun 26, 2020

Depuis une semaine ces propositions font les gros titres et déchainent les télécrates habituels. Malgré d’évidentes bonnes intentions, faut-il s’arrêter sur les limites du travail ? Mes réflexions pas encore tranchées sur la question.

Pitié, avant de dire n’importe quoi sur le sujet, lisez au moins la liste rapide des propositions (5 minutes de lecture), ou le détail sur https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/

On n’en parle pas assez, mais il faut reconnaître les réussites de cet exercice.

150 pékins tirés au hasard et représentatifs de la population française sont assez touchés par le problème pour proposer en 6 mois un programme qui fait hurler de rage de nombreux défenseurs du statu-quo, et qui va beaucoup plus loin que les mesures ridiculement insuffisantes/hypocrites de notre gouvernement actuel. “Beaucoup ont pris une gifle en découvrant l’ampleur des défis climatiques. Beaucoup ont changé de point de vue, voire de métier !

Mieux, ils ont évité de tomber dans la fable éco-scientiste, doctrine dominante qui aujourd’hui de toute évidence ne marche pas, et qui ressemble de plus en plus à une vilaine excuse pour ne rien faire. La convention a su sortir du débat purement technologique et tendre vers la question politique importante : la société dans laquelle nous voulons vivre. Effectivement, quand les critiques crient aux “khmers verts décroissants”, ils ont très bien compris la menace envers le statu-quo économique et sociétal. La position de la convention confirme les sondages : la majorité des gens semble avoir compris qu’il faudra de toute façon se serrer la ceinture, et qu’il vaut mieux choisir intelligemment comment plutôt que se le laisser imposer par certains intérêts économiques ou des catastrophes écologiques. En l’occurrence la “sagesse populaire” (qui n’est pourtant pas toujours au rendez-vous sur l’écologie) a largement dépassé les éditocrates parisiens.

Enfin la convention a su proposer un large panel de mesures. Ce n’est pas suffisant pour éviter que les médias fassent un totem d’une seule, mais cela signifie bien qu’il n’y aura pas une solution magique unique, que la réduction des émissions concernera la majorité de notre société et de notre mode de vie. Tout mesure prise seule est évidemment insuffisante.

Si l’objectif de la CCC était de faire bouger les lignes, bousculer un débat enlisé, et enfin donner une légitimité politique à la décroissance (car au delà du vilain mot c’est bien ce dont il s’agit quand on veut revoir les priorités de notre mode de vie), c’est une extraordinaire réussite. Et même si les médias insistent lourdement sur la mesure la moins populaire, les autres sont largement soutenues.

Après je m’interroge, dans ce cas n’aurait-il pas été préférable de mettre franchement les pieds dans le plat et proposer des mesures qui répondent vraiment à l’objectif, aussi impopulaires soient-elles ? Par exemple :

Maintenant, quand on se penche sur le détail des mesures, à la fois sur le fond et sur leur applicabilité juridique (à lire pour chaque proposition sur le site, par exemple pour l’écocide), il y a beaucoup à redire. Cela n’empêche pas d’apprécier la démarche, mais si l’exercice était de trouver un compromis entre acceptabilité politique et efficacité des mesures je ne le trouve pas si réussi, tout du moins sur ce second point.

Je vois quatre grandes catégories de problèmes :

  1. De nombreuses mesures sont en l’état trop vagues pour être traduites en droit, ou incompatibles avec certains points de la constitution ou des réglementations existantes. Le site contexte propose une revue transverse, mais les analyses du comité légistique de la convention semblent plus précises et plus négatives. J’avoue que les objections fortes soulevées me laissent interloqué : les membres de la convention ont-ils pu échanger avec ces juristes avant de rendre leur copie ?
  2. Ces mesures ne sont pas chiffrées, et me semblent très en deçà de leur objectif d’une réduction des émissions de 5% par an (excellent objectif, dont il faudrait plus parler). Le seul “chiffrage” qui existe est un nombre d’étoiles dans le rapport final, assorti d’un bref commentaire qui va ici encore parfois à l’encontre des recommandations (“L’impact de ces propositions sur les émissions sera sans doute limité car les emballages uniques représentent une part faible des émissions, et les alternatives sont parfois tout aussi carbonées, voire davantage.”) Même interrogation : les membres de la convention ont-ils pu échanger avec les auteurs du “chiffrage” ?
  3. Les propositions semblent très cosmétiques et beaucoup plus proche du programme de certaines ONG / lobbies que des recommandations étayées. On en croise à la fois des extrêmement larges (trop vagues) et des portant sur des points de détail. Je ne sais pas si mon échantillon est représentatif, mais je n’ai pas croisé un seul expert d’un sujet qui trouve que les recommandations sur son domaine sont pertinentes, à part ceux qui ont directement participé à la convention (et encore).
  4. Quitte à mettre les pieds dans le plat, pourquoi choisir de mettre de côté les sujets qui fâchent comme le nucléaire ou les taxes ? Il y aurait un vrai débat démocratique à avoir dessus au lieu de les fourrer une fois de plus sous le tapis et laisser la place aux caricatures habituelles. Ce sont pourtant des choix importants pour la décarbonation, et je regrette le rejet général de l’outil taxe. 6 mois à part temps sont-ils assez pour se faire un avis ? je ne suis pas sûr.

J’aurais aimé différencier clairement les critiques construites des attaques ridicules au nom de la liberté et autres accusations de “khmers verts”, mais les secondes s’appuient en général sur les premières et sont donc un peu moins nulles que ce à quoi je m’attendais. Je ne m’étendrai pas sur les sophismes habituels comme la privation de liberté ou le faible poids de la France, qui ont été mille fois détruits et ne s’adressent plus qu’aux déjà convaincus.

Je partage le désir que ces propositions soient traduites en lois et décrets efficaces et se révèlent le début d’une vraie transition vers une société plus soutenable, mais en fait j’ai peur pour la suite. Peur que la reprise “sans filtre” de ces propositions se traduise en lynchage public et en débats toujours plus clivants. Peur que les mesures les plus pertinentes du lot soient noyées dans le bruit autour des plus emblématiques. Peur que le gouvernement se serve des critiques légitimes envers certaines mesures pour exclure toutes celles qui l’embêtent. Peur que celles mises en place ne soient que des lois cosmétiques de plus, ou des usines à gaz nuisibles. Peur que l’exemple de cet exercice de démocratie participative ne serve à tuer les initiatives en la matière. Peur qu’il soit transformé en un sondage de luxe sur ce que les gens sont prêts à accepter pour sauver le climat.

Je ne veux pas jeter la pierre aux participants, qui ont fait de leur mieux avec les faibles moyens et le très faible temps qu’ils ont eu à leur disposition. Mais malheureusement les bonnes intentions ne suffisent pas.

Après je remarque qu’aujourd’hui la plus grande controverse, la vitesse sur autoroute, n’est pas sur le fond (qui est peu discutable, avec une subtilité) mais sur l’acceptabilité politique. Avec ce résultat pour l’instant surprenant que la majorité des gens sont pour les mesures de la convention, sauf l’abaissement de vitesse. Je ne prétends donc à aucune conclusion généralisante, et reste dans l’interrogation.

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