Le problème avec l’article du Guardian sur le méthane océanique

Emmanuel Pont
Enquêtes écosophiques
3 min readOct 28, 2020

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The Guardian vient de publier un article sur le méthane océanique, qui a fait amplement réagir dans la communauté de l’écologie :

Plusieurs climatologues réputés ont aussitôt répondu pour dénoncer l’alarmisme de cet article :

J’avoue avoir été étonné par ces réactions, les émissions de méthane jusqu’en 2017 ne sont pas le sujet, c’est le début forcément faible d’un phénomène, et l’article du Guardian cite les scientifiques impliqués qui disent à peu près la même chose :

At this moment, there is unlikely to be any major impact on global warming

The scientists stressed their findings were preliminary

Qu’en penser donc ? Les climatologues sont-ils des “rassuristes” ? Après discussions avec mon ami Loïc Giaccone, je vous livre nos réflexions.

Il n’y a rien de faux dans l’article, mais en fait il manque le contexte, à la fois dans l’article et dans les réponses :

  1. La boucle de rétroaction du méthane océanique est connue depuis longtemps. On estime que son effet sera modeste, notamment en raison de la lenteur du phénomène. L’hypothèse d’un dégagement brutal semble très peu probable.
  2. L’existence de “points de bascule” ou de “boucles de rétroaction” n’implique (très probablement) pas l’apocalypse, par contre ce sont quand même des problèmes sérieux car ils vont rendre de plus en plus difficile de stabiliser le climat. Pour en savoir plus lisez cet article de Loïc.
  3. Cela fait des années que sont mesurés des dégagements ponctuels de méthane, certains ayant lieu depuis des millénaires, qui semblent marginaux et ne viennent donc pas remettre en cause les connaissances actuelles
  4. Les mesures préliminaires présentées dans l’article sont peut-être “significativement plus importantes que ce qui a été mesuré jusqu’ici”, mais il faudra attendre la version publiée et l’analyse scientifique pour vraiment en comprendre la portée (qui n’est pas forcément importante). Ce que disent aussi les scientifiques dans l’article :

The scale of methane releases will not be confirmed until they return, analyse the data and have their studies published in a peer-reviewed journal.

Le principal problème avec l’article du Guardian est donc plutôt journalistique :

  • ne pas rappeler les bases scientifiques, mais décrire uniquement le risque
  • publier ce résultat comme si c’était la première mesure d’échappement de méthane océanique
  • publier un résultat préliminaire qui pour l’instant n’apporte rien de nouveau
  • présenter le tout sous un titre ambigu, qui sera très largement compris comme annonciateur d’une catastrophe

Ce problème journalistique est subtil : quand on a le contexte scientifique en tête, l’article est correct (mais du coup pas très intéressant). Quand on ne le maîtrise pas, comme la majorité des lecteurs, c’est une annonce de catastrophe. Le Guardian sait probablement très bien ce qu’il fait, et a construit l’article pour créer un sentiment anxiogène. Il est donc tout à fait raisonnable de l’accuser d’alarmisme, et on comprend beaucoup mieux pourquoi des climatologues y ont réagi (même si leur réponse n’éclairera pas forcément leurs lecteurs).

Après, l’alarmisme est-il un bon moyen d’alerter sur le risque du réchauffement climatique ? C’est un autre débat pour un autre jour.

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