UX, lost in definitions

coreygraphe
Entre-espace
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6 min readJun 18, 2021

Ces derniers temps, alors que l’UX design essaie de s’inscrire dans les processus de décision des entreprises, j’échange avec de nombreux designers qui sont de plus en plus en quête de sens, de créativité et d’utilité.
Qu’est-ce qu’un UX designer ? Est-ce que ces 2 lettres ont un sens ? Qui gagne entre UX, UI et Godzilla ? Maintenant que nous (UX) avons prouvé qu’on pouvait se synchroniser avec les autres métiers et qu’on pouvait inscrire notre discipline dans la stratégie, est-ce qu’on va enfin devenir autre chose qu’une fonction support ?
Finalement, ne serions-nous pas en train d’essayer de recréer ce qui s’appelait hier un bureau de design ?

Un domaine opérationnel

Aujourd’hui on mesure la maturité UX d’une entreprise pour pouvoir en augmenter son impact. Lire Quel est le niveau de maturité UX de votre entreprise ? Par Benoît Drouillat. Les critères de maturité pourraient être résumés selon 4 besoins du design :

  1. une inclusion dans l’industrialisation, l’orchestration et la prise de décision (Design system et DesignOps).
  2. une connaissance utilisateur certifiée par une recherche utilisateur orchestrée et une donnée reliée à l’expérience utilisateur (ResearchOps et DataThinking).
  3. une utilisation de la pensée design pour faciliter la collaboration, l’organisation et l’accélération créative (Design thinking, Service Design et Design Sprints).
  4. une équipe capable d’évoluer avec autonomie (DesignOps)

Avec cette maturité, le designer voit apparaître une multitude de frameworks, méthodes, typologies d’ateliers, canvas, critères, mesures, outils et définitions de postes. Pour augmenter son impact et s’inscrire durablement dans la stratégie d’entreprise, le design a eu besoin d’ambassadeurs formés au Design thinking et inclus dans le DesignOps. et il a surtout dû se calquer sur la pratique agile des ingénieurs informatiques. Eux même prenant parfois comme représentation de l’agilité une image expliquant le lean startup → voir l’article de l’auteur du dessin

Mais si le DesignOps et cie permettent de faire avancer le design , qu’en est-il du designer ?

“Il est doux quand la mer est haute de mesurer son age”

Philippe Leotard (Suave mari magno)

Désigner son dessein ?

Aux 4 besoins du design je relierai 4 besoins du designers :

1. pouvoir observer l’utilisateur

2. designer (dessin et dessein)

3. être relié au monde (ouverture, curiosité, mais aussi utilité, ethique)

4. partager et progresser

Nous sommes à un moment de bascule pour l’UX design qui se trouve en pleine tempête entre son besoin d’intégration et le risque de perdre son identité et utilité essentielle. En entretien d’embauche, un jeune designer peut découvrir :

  1. que “chez nous”, on sépare obligatoirement UX et UI : l’expérience et l’interface de l’utilisateur (demandons-nous plutôt ce qui lie ces domaines.)
  2. qu’il n’aura peut-être jamais accès à l’utilisateur (voir point 1)
  3. qu’un morceau de l’expérience peut devenir une spécialité du métier de designer (être un spécialiste du tunnel de paiement par exemple)
  4. que chacun de ses choix peut l’amener à perdre toute vision globale et toute liberté de penser (voir points précédents)
  5. que la communauté qu’on lui propose de rejoindre est rarement une communauté de réel intérêt commun.

Si le designer se spécialise par exemple dans le design system pour ne plus travailler que sur ce sujet, il risque de finir par travailler hors-sol car le tout restera toujours supérieur à la somme des parties (et de 2 -;) et ce système n’est pas une fin en soi contrairement à la qualité de l’UX.
De plus, le designer peut éprouver le besoin d’être plus qu’un technicien pour ne pas faire que reproduire (the Nielsen’s risk ;-). C’est aussi ici que se situe un des nœuds (gordiens) du designer : doit-il finir par se perdre pour être accepté ?Alors comment relancer la machine ? Comment rapporter une part d’égotisme à l’empathie ?
Les podcasts, notes, articles, livres se multiplient avec la même normalisation égocentrique (“je suis différent car moi aussi je suis le même, mais en mieux”). Les designers ont pourtant besoin de débattre, découvrir, partager, tester et revenir à une certaine liberté créative.
On parle au designer d’une communauté, dont il peut se nourrir, mais ces communautés, associations comprises, démontrent peu d’intérêts communs mis à part leur égocentrisme et poussent la normalisation avant tout (inclusion et éthique comprise).
On parle de données et IA aux designers, mais peu sont les heureux élus aujourd’hui à pouvoir les “toucher” surtout s’ils sont externes à l’entreprise. L’open data anonymisée, qui pourrait être la manière la plus simple et la plus saine d’avoir un bac à sable créatif et de référencer l’analyse d’un groupe témoin d’utilisateurs, est hélas trop facilement opposée au consentement.

Designer à dessein

Si tous les moyens nécessaires (Ops, sprint, lean, product, …) pour instiller dans le digital une pensée Design centrée sur l’humain doivent être utilisés, ils desservent une partie plus subtile du design : la liberté créative et l’identité. Pire, on est plus dans l’idée d’homo collaboratus (big up Richard Thaler) que dans la réalité de l’humain.
Si on doit rendre tout le système opérationnel, il faut contrebalancer les abus de la normalisation et de l’orchestration par une approche similaire à celle de la permaculture avec des objectifs d’harmonie, diversité, synergie, durabilité. Notre bureau du design peut être le jardin pour voir s’épanouir cette culture.

Cartographie de Charles Eames pour définir l’objet du design (avec le design office)

Agence
L’agence ou la SSII doit totalement se réinventer pour ne pas finir en boîtes d’intérim. Elles perdent régulièrement des employés (devs, designers, …) au profit de leurs clients qui internalisent de plus en plus.
L’agence devrait être avant tout ce bureau de design, un lieu pour réunir, débattre, tester, former et apprendre des étudiants, rencontrer les utilisateurs et les autres métiers. Un endroit où comprendre que la meilleure réponse a une problématique santé viendra d’une réflexion liée à un travail design dans le domaine de la logistique par exemple, chose impossible avec l’ultra spécialisation.
Pour que ce bureau vive, les designers d’agences doivent avoir du temps à consacrer à ce bureau. Cela nécessite un changement dans la façon de penser leur taux d’occupation (TACE: Taux de travail congés exclus).
Une équipe devrait aussi avoir parmi elle des mentors, agitateurs, médiateurs… Et des boussoles, des designers seniors “full stacks”.
Un échange plus ouvert avec les écoles (cours, conférence, hackathon, sprint) est une bonne base, mais on peut pousser la collaboration encore plus loin pour ramener une vraie vie en agence.

“There are always Design constraints, and these often imply an ethic.”

Charles Eames (interview pour l’exposition “Qu’est-ce que le design”)

Les grosses entreprises ne doivent pas remplacer le silo des métiers par le silo des projets.

Le parcours utilisateur peut se retrouver savamment découpé à la tronçonneuse pour que chaque projet puisse être managé, étiquetté, monitoré et réitéré. Chaque amélioration a du sens sur le papier mais cela s’arrête souvent là. Il ne faut pas oublier les grands principes (“Remember the Man”) au risque de voir notre fameux designer spécialiste du tunnel de paiement arrêter le digital pour aller travailler dans une ferme bio…

Ici, le bureau du design pourrait être un Centre de l’expérience globale du client, un carrefour (ce qu’est aussi le design) où les designers pourraient se retrouver dans tous les sens du terme. Cadre et éthique pourraient se retrouver dans un seul cœur. Je parle moins du lieu (qui existe parfois déjà) que de la façon et l’état d’esprit d’occuper un espace comme celui des étudiants qui occupent une école de design & craft. J’ai souvent retrouvé cette sensation à Lisbonne en quelques jours et seulement une fois en France en 20 ans.

La startup et la petite entreprise. C’est peut-être l’endroit où on peut demander au designer de hacker le plus le système. Pour que cela fonctionne il faut garder un cap par une pensée lean StartUp, avec des principes design et des valeurs claires et partagées.

“Though this be madness, yet there is method in ‘t.”

William Shakespeare

Je finirai cette note par une définition de l’UX faite par un célèbre product owner : William Shakespeare. Nous devons garder notre folie pour créer, nous devons garder cette folie pour oser proposer quelque chose de nouveau, nous devons absolument garder cette folie si nous voulons repenser le design.

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