Quand Homo Sapiens va-t-il sortir de sa crise d’ado ?

Pierre Mortier
Entrepreneurs durables
15 min readSep 1, 2020

Après 300 000 ans d’existence, l’Homme moderne est aujourd’hui un adolescent en pleine crise.

Pendant sa tendre enfance, Homo Sapiens a été respectueux et à l’écoute de sa Mère Nature qui lui a offert, pour on ne sait quelle raison, une place de choix en son seing, au détriment des autres membres de sa famille et notamment de ses frères et soeurs.

Depuis plusieurs millénaires, malgré l’amour qu’il porte envers sa Mère Nature, il cherche à s’en émanciper et éprouve un besoin irrépressible de voler de ses propres ailes. Il teste toujours plus ses limites, quitte à se brûler les plumes.

Sa Mère a beau le prévenir, l’alerter voire le sanctionner, rien n’y fait. Il a besoin de faire son expérience par lui-même, pour trouver sa voie et comprendre qui il est.

Le processus de construction identitaire pendant l’adolescence est une période à risque. Elle est souvent très intense et peut même parfois causer des dégâts irréversibles pour l’adolescent lui-même et son entourage.

Dans le cas de l’être humain, cette phase est d’autant plus dangereuse, pour lui et les autres, que sa Mère lui a accordé un pouvoir immense. Il maîtrise mieux que n’importe quel animal, un grand nombre de lois de la Nature.

Qu’ils soient considérés comme un cadeau ou un fardeau, de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités.

Il devient urgent que l’Homme trouve enfin sa place dans le monde et au sein de sa famille. Il est urgent qu’il devienne un adulte responsable.

Peut-être alors prendra-t-il à son tour soin de sa Mère Nature et lui montrera l’amour profond qu’il n’a jamais réellement perdu pour elle ?

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Un grand singe insignifiant

Juste avant la naissance de l’Humanité, il y a environ 4 millions d’années, la savane a remplacé la forêt luxuriante. Les insectes et les végétaux ne sont plus assez abondants pour nourrir les futurs Hommes.

Les Australopithèques alternent entre la marche sur deux pattes et la grimpette dans les arbres.

Ces grands singes, dont la plus célèbre représentante s’appelle Lucy, se sont adaptés à leur nouvel environnement. Ils ont ajouté la viande à leur régime alimentaire, par le charognage de cadavres abandonnés et la chasse de petits animaux.

Cette alimentation plus riche va contribuer à l’augmentation du volume de leur cerveau. Les Australopithèques vont progressivement quitter les arbres et devenir quasi-exclusivement bipèdes.

Ces évolutions vont conduire, il y a environ 2,5 millions d’années, à la naissance de l’Humanité.

Le genre Homo, dont notre espèce fera partie plus tard, regroupe des grands singes caractérisés par un volume important de la boîte crânienne et la bipédie.

Comme le souligne Yuval Noah Harari dans son Best-Seller « Sapiens. Une brève histoire de l’humanité » (ce livre est une pépite ! Il m’a beaucoup aidé à écrire cet article), les humains ne sont alors que des animaux insignifiants qui n’ont pas plus d’impacts sur le monde que les gorilles, les lucioles ou les méduses.

L’Humanité n’est encore qu’un bébé fragile et totalement dépendant de sa Mère Nature.

Pour l’heure, Homo Sapiens (nous) n’est pas encore né.

Pas si facile d’avoir la grosse tête

L’Humanité va donc être dotée d’un cerveau dont la taille est anormalement grande dans le monde du vivant.

Ce cerveau lui permettra de voir le monde différemment, de l’imaginer et d’agir sur lui. Il est encore bien loin d’en avoir conscience, mais sa Mère Nature, vient de le doter d’un pouvoir immense. Celui d’accéder, de comprendre et de manipuler ses lois.

Cadeau ou fardeau ?

Pour le moment, cet énorme cerveau ressemble davantage à un fardeau.

D’abord il faut le porter.

C’est d’autant plus compliqué que la survie a induit la bipédie. Cette capacité permet à l’humain de voir de beaucoup plus loin les dangers et le gibier. Elle libère aussi les mains qui peuvent alors servir à autre chose, comme lancer des pierres ou fabriquer des outils.

Mais se redresser avec cette grosse tête n’est pas simple. Cela va causer des douleurs chroniques telles que des migraines ou des raideurs dans la nuque.

Ensuite, il faut alimenter cet organe extrêmement énergivore, quitte à détourner une certaine quantité de ressources destinées normalement aux autres organes et aux muscles.

L’humain va ainsi devenir un grand singe frêle comparé à ses cousins.

Et l’accouchement d’enfants avec des têtes énormes, on en parle ?

En effet, l’accouchement est de plus en plus difficile au fur et à mesure que les hanches deviennent plus étroites à cause de la bipédie et que la tête des bébés devient plus grosse.

Pour palier à cette contrainte devenue mortelle, les enfants naîtront dorénavant prématurés, c’est à dire avec des systèmes vitaux encore sous-développés par rapport aux autres animaux.

Impossible pour les mamans d’élever toutes seules leur prématuré qui demande une attention permanente. Cette nouvelle donne va impliquer la nécessité de coopérer et de développer une organisation sociale. La tribu devient un enjeu vital.

Un avantage tout de même de naître à moitié terminé, c’est une plus grande facilité à être façonné après la naissance, à travers l’éducation. Cela va permettre une plus grande flexibilité au niveau de l’adaptation à l’environnement et aux nouveaux besoins.

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Une famille formidable

En réalité, nous, Homo Sapiens, sommes le petit dernier d’une grande fratrie.

Avant notre naissance, nos grands frères et grandes soeurs vont largement ouvrir la voie. Ils vont quitter le berceau de l’Humanité en Afrique de l’Est et partir découvrir le monde. Ils vont inventer des outils. Ils vont même maîtriser le feu.

Quand Homo Sapiens va naître il y a 300 000 ans, ses frères et soeurs se sont déjà installés au 4 coins du globe.

Parmi eux, certains se sont fixés en Europe et à l’Est de l’Asie. Le climat glacial sur ces terres à cette époque va les amener à devenir des humains plus trapus et musclés : les Néandertaliens.

D’autres vont aller plus loin et s’installer à l’Ouest de l’Asie en s’adaptant également à leur nouvel environnement. Homo erectus est l’un d’eux. Il se dresse fièrement du haut de ses 1m60.

Plus au sud, en Indonésie, les humains sont plus petits et adaptés à une vie sous les tropiques. Certains d’entre eux vont se retrouver bloqués sur un bout de terre à cause d’une hausse du niveau de la mer. Sur l’îlot de Florès, à cause du manque de ressources, les humains vont devenir tout petit, ne dépassant pas le mètre. Certains les surnommeront des « Hobbits ».

De son côté, l’Afrique de l’Est continue toujours de voir naître de nouveaux êtres humains jusqu’à Homo Sapiens, nous, le petit dernier.

Il y a environ 100 000 ans, au moins six espèces humaines vivaient au même moment sur la Terre, dont Homo Sapiens.

On se serait cru dans le Seigneur des Anneaux, l’oeuvre de J.R.R. Tolkien qui décrit un monde fantastique où vivent différents peuples d’humanoïdes, tels que les Humains, les Elfes, les Nains ou encore les Gobelins.

Une place de benjamin difficile à supporter

Le petit dernier des humains s’est très humblement autoproclamé Homo Sapiens : Homme Sage.

Une manière parmi d’autres de marquer la différence avec tous ses frères et soeurs, et encore plus avec sa famille des grands singes dont ses plus proches cousins sont les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outangs.

Difficile pour son égo de reconnaître qu’il n’a pas découvert la maîtrise du feu, qu’il n’est pas le premier à avoir fabriqué des outils ou encore à être parti à la conquête du monde.

Difficile d’assumer que son arrivée a provoqué la disparition de ses grands frères et grandes soeurs, au fil de sa colonisation du monde commencée il y a 70 000 ans. Parmi les derniers survivants, Néandertal disparaît de la surface du globe il y a environ 30 000 ans.

Au fil de ses voyages, il causera aussi, au passage, l’extinction de près de la moitié des grands animaux de la planète.

Peut-être est-il plus difficile encore d’accepter que ses frères et soeurs n’auraient, d’une certaine manière, pas totalement disparu. Il y a très certainement eu du métissage entre différentes espèces humaines puisque l’on retrouve actuellement dans nos populations de l’ADN de nos frères et soeurs disparus.

Jusqu’à preuve du contraire, Homo Sapiens semble aujourd’hui être la seule espèce humaine vivant sur Terre.

L’évolution n’a sans doute pas pour autant arrêté son oeuvre. Qu’en dites vous ?

Aujourd’hui encore, il est moins douloureux pour certains Homo Sapiens de se raconter de belles histoires, faites d’amour et de jardin d’Eden, plutôt que de génocides fratricides ou même de métissages, ce qui enlèverait à l’Homme moderne son caractère extraordinaire et unique.

Pour ma part, je suis l’aîné de la famille. Mais j’imagine qu’il n’est sans doute pas si facile de trouver sa place quand on est le petit dernier.

Certes cela peut octroyer des avantages, car certaines voies sont tracées et qu’il est possible de bénéficier d’exemples.

Mais dans le même temps, la comparaison avec les aînés, faite par les autres et soi-même, est souvent pesante. En grandissant, il faut faire ses preuves, se démarquer et faire en sorte de ne plus être considéré comme le petit dans les jupons de sa mère, faible, qui ne connaît rien à la vie et qui a besoin de l’aide de ses grands frères et grandes soeurs pour avancer.

Certains disent que la crise de l’adolescence, c’est la crise de la différence.

Quand il est difficile de trouver sa place, cette crise peut être violente.

Pour Homo Sapiens, cette période est d’autant plus dangereuse, pour lui et les autres, qu’il use d’un pouvoir immense qui peut aussi bien construire que détruire.

Il va se retrouver comme un sorcier dévoré par l’utilisation abusive de la Magie noire, aveuglé et piégé par la force grandiose qu’elle octroie.

Une fois en haut de la pyramide, il va alors devoir mener le vrai combat, celui face à lui-même.

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La naissance d’un sorcier

Même si le cerveau énorme des êtres humains fût au départ une sacrée contrainte, le pouvoir octroyé par Mère Nature va s’avérer de plus en plus puissant.

L’une des facultés les plus décisives acquises grâce à ce don fût la domestication du feu.

Progressivement, l’être humain va apprendre à invoquer cet élément naturel sur commande. Ce pouvoir va lui permettre de se protéger des autres animaux, de se réchauffer et ainsi conquérir des terres glaciales, de modifier l’environnement à son avantage en défrichant certaines zones. Il va lui permettre aussi de diversifier largement son alimentation en aseptisant la nourriture grâce à la cuisson, en facilitant la digestion, et rendant comestibles certains aliments jusqu’à présent immangeables, comme les céréales.

Tous les différents êtres humains bénéficient globalement de la même manière du don accordé par la Nature. Mais Homo Sapiens, le benjamin, va bientôt réussir à en tirer un bien meilleur parti que ses frères et soeurs.

Une évolution au niveau du câblage de son cerveau va lui permettre de décupler ses capacités de façon extraordinaire, notamment par une plus grande faculté à penser, imaginer et raconter le monde dans lequel il vit.

A partir de cette Révolution cognitive, telle que la nomme Yuval Noah Harari dans « Sapiens. Une brève histoire de l’humanité », Homo Sapiens ne se contentera plus de reproduire des pratiques ancestrales qui ont pu éventuellement bénéficier de quelques améliorations au fil des découvertes fortuites. Il va dorénavant imaginer le monde et le façonner.

Un pouvoir dévorant

Pendant longtemps, Homo Sapiens est resté un chasseur-cueilleur nomade, se déplaçant au gré de ce que la Nature sauvage lui offrait pour se nourrir, se soigner, etc. Il possédait alors une impressionnante intelligence de la Nature, alimentée par une énorme bibliothèque de connaissances sur son environnement, que ça soit au niveau végétal ou animal.

Mais l’Homo Sapiens imagine le monde qu’il désire et cherche à le façonner.

Il y a 12 000 ans, il comprit qu’il avait le pouvoir de manipuler la vie végétale et animale pour son profit. C’est le début de la Révolution agricole.

Il va ainsi sélectionner une poignée de végétaux, comme le blé, et quelques animaux qui peuvent être domestiqués, en essayant au fil du temps, d’optimiser toujours plus le rendement.

Pour ce faire, il va petit à petit se sédentariser et consacrer la quasi-totalité de son temps à cet ouvrage.

L’agriculture et l’élevage vont lui permettre de produire plus de nourriture et se traduire par une explosion démographique.

Mais tout a un prix.

La promesse d’abondance allait bientôt avoir un goût amer.

Fini la qualité de vie des chasseurs-cueilleurs qui avaient, depuis plusieurs centaines de milliers d’années, un quotidien diversifié et stimulant et qui vivaient au jour le jour sans l’angoisse de l’avenir.

Les journées sont dorénavant faites de toujours plus de travail, pour nourrir toujours plus de bouches. Une mauvaise récolte ou une épidémie dans les troupeaux, et c’est la famine assurée.

Les ressources produites et stockées après un très long labeur sont parfois volées en un instant par le voisin.

Les bonnes années, l’accumulation de surplus va alimenter un système où quelques élites vont dominer, tandis que la plupart vont travailler toujours plus dur, sans être pour autant mieux nourris.

Avec l’agriculture, il devient beaucoup plus compliqué d’abandonner son territoire pour faire ses petites affaires un peu plus loin. Les enjeux ne sont plus les mêmes.

Les rivalités entre tribus deviennent des guerres.

Homo Sapiens se fait dévorer par ce pouvoir hypnotisant. Le piège se referme.

A chaque fois, il pense se rendre la vie plus facile en inventant de nouvelles technologies censées lui donner plus de libertés. En réalité, il s’enferme dans un système dont il devient l’esclave.

Travailler plus pour gagner plus. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ?

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Une émancipation vis-à-vis de Mère Nature

Durant des milliers et des milliers d’années, Homo Sapiens est à l’écoute et respectueux de sa Mère Nature. En tant que chasseur-cueilleur nomade, il est entièrement dépendant de ce qu’elle veut bien lui offrir.

Ses croyances vont de pair avec la place qu’il se donne au sein de la Nature.

Homo Sapiens est animiste. Pour lui, aucune barrière ne sépare les êtres humains des autres constituants de la Nature. Il croit que tous les lieux, les plantes, les animaux, les phénomènes naturels, etc. ont une conscience et des sentiments et qu’il peut communiquer directement avec eux. Il croit également en des êtres immatériels, comme les esprits de ses ancêtres. Aucune hiérarchie n’existe entre toutes ces composantes de la Nature qui ne sont pas vues comme destinées à satisfaire les besoins de l’Homme.

La Révolution agricole va changer la vie des Hommes mais aussi leur conception du monde et de leur place au sein de la Nature.

Plus son pouvoir augmente, plus il a de contrôle sur son environnement et plus l’idée de l’existence d’êtres supérieurs à d’autres fait son chemin.

Si l’Homme peut être supérieur à d’autres animaux et végétaux, il doit bien exister des êtres supérieurs à l’Homme ?

Les dieux vont ainsi progressivement faire leur apparition et jouer un rôle d’intermédiaire entre les Hommes et leur environnement. Ils vont se mélanger progressivement aux croyances animistes toujours persistantes.

Homo Sapiens devient théiste.

Une conception hiérarchisée et utilitariste du monde s’installe. L’Homme se place au service des dieux, tandis que la Nature doit être au service de l’Homme.

Une multitude de dieux vont apparaître, chacun ayant une utilité bien particulière, et régis eux-mêmes par une certaine hiérarchie. Ce polythéisme très utile pour les Hommes va même conserver une trace dans les futures religions monothéistes, par exemple avec la présence des différents Saints dans le christianisme.

C’est ainsi que l’Homme va s’émanciper petit à petit de sa Mère Nature, jusqu’à se raconter dans une position dominante vis-à-vis d’elle.

Le christianisme va marquer une rupture, en faisant de l’Homme une créature réalisée à l’image de Dieu et destinée à régner sur la Nature. Le chapitre 1 de la Genèse est sans ambiguïté à ce sujet.

« Dieu créa l’homme et la femme (…) Et leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. ».

Cette volonté farouche de s’émanciper de sa Mère Nature ne signe-t-il pas le début d’une forme de crise d’adolescence de l’Humanité ?

La crise d’ado

L’adolescence est la période pendant laquelle l’enfant se transforme en adulte.

Cette phase se caractérise par un bouillonnement hormonal qui va provoquer des changements physiques et psychologiques très importants. Cette période est aussi marquée par une quête identitaire, plus ou moins difficile à vivre, permettant de se situer par rapport aux autres et de trouver sa place dans la société.

Le bouillonnement hormonal va induire une activation beaucoup plus d’intense des différentes émotions comme la joie, la tristesse, la colère, la peur, etc.

Ces émotions fluctuantes et extrêmes vont parfois être très difficiles à gérer. Cela va conduire l’adolescent à avoir certains comportements guidés par le besoin de canaliser ces torrents et d’avancer dans sa quête identitaire.

Les drogues, par exemple, représentent un moyen que l’adolescent va utiliser pour gérer ses émotions, en les anesthésiant ou en les déchargeant, tout en créant du lien social avec les autres et/ou en servant de marqueur de distinction.

Bien évidemment, non seulement les drogues sont un leurre, mais en plus c’est potentiellement destructeur au niveau physique, mental et social.

Un leurre, car certes cela va soulager sur le moment. Mais les émotions ne se sont pas évaporées, d’autant plus si la personne n’a pas appris à les « apprivoiser » ou si le déclencheur de ces émotions n’a pas été traité. C’est un processus qui peut être très compliqué, notamment en pleine crise identitaire et en présence d’émotions décuplées. Il est alors souvent plus facile de retourner, pour un temps, au Pays des Merveilles.

C’est donc un cercle vicieux, dans lequel certains rentrent et n’arrivent que très difficilement à en sortir, une fois pris au piège.

L’une des drogues les plus répandues, les plus addictives et peut-être l’une de celles qui fait le plus de dégâts sur la santé de la population est la consommation.

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Je consomme donc je suis

Aujourd’hui, personne ne peut nier que l’Humanité, dans sa très grande globalité, est sous perfusion de consommation.

Tout le système est d’ailleurs organisé, au niveau mondial, pour stimuler la consommation des individus. On peut même dire, que le socle qui soutient notre système est l’augmentation continue de la consommation, gage de « croissance » et d’emplois.

La consommation est une drogue puissante et addictive. Et comme toutes les drogues, à partir d’un certain seuil, elle devient destructrice pour ses utilisateurs, au niveau physique, mental et social.

La consommation s’enracine dans la recherche individuelle du bonheur ou du moins du bien-être.

Elle s’appuie aussi sur des mécanismes liés à la quête identitaire des individus tels que la recherche d’une place au sein d’un groupe, la recherche de distinction par rapport à l’autre, le sentiment d’appartenance à un groupe, la recherche de liberté, etc.

Elle s’ancre également sur le mal être et la difficulté à gérer des émotions perçues comme négatives, comme la peur ou encore la frustration, en les contre-balançant, pour un temps, par des injections de plaisirs immédiats.

Dans le monde du marketing, certains sont experts pour appuyer sur ces boutons afin de réouvrir en permanence ces fêlures, tout en créant un climat de confiance, afin de nous faire consommer toujours plus. En quelque sorte, ils nous ouvrent les portes du Pays des Merveilles, et font en sorte que nous n’ayons jamais envie d’en sortir.

Pour Dominique Méda, dans son ouvrage « La mystique de la croissance » (que je recommande vivement !), l’un des aspects important de la consommation est « le caractère addictif et profondément gratifiant de l’acte de consommation, dont la structure donne l’illusion d’une totale liberté, à l’instar de l’argent. Tout se passe comme si l’acte de consommation permettait aux individus d’accéder à une double liberté. Liberté de choix, d’abord. (…) Et lors de l’acte d’achat, je peux de surcroît éprouver une seconde liberté, celle de manipuler librement de l’argent, équivalent universel, symbole indépassable de l’émancipation. »

Cette culture généralisée, incitée et érigée en système, de la consommation et de l’accumulation individualiste, à toutes les strates de la société, n’a pas toujours existé. C’est un fait récent de notre temps.

Comme le rappelle Dominique Méda, un tel état d’esprit aurait été « tout bonnement proscrit dans l’Antiquité aussi bien qu’au Moyen Âge en tant qu’attitude sans dignité et manifestation d’une avarice sordide. »

La consommation est une drogue puissante et addictive.

Et comme toutes les drogues, c’est un leurre qui entraîne le consommateur dans un cercle vicieux duquel il est très difficile de sortir, d’autant plus quand il ne sait pas (ou plus) apprivoiser ses émotions sans substituts et qu’il reste coincé dans une forme de quête identitaire.

Afin de réussir le défi de s’échapper de cette logique perverse, certains démontrent que l’épanouissement des individus peut passer par un retour au collectif et au partage (« moins de biens, plus de liens »), par un retour au local — qu’il faut revitaliser et préserver au niveau social et environnemental -, à travers la reconquête de son autonomie et de sa liberté, à travers le plaisir (re)trouvé dans l’expression de son pouvoir de faire, via l’auto-production par exemple, etc.

Ceci pourrait aussi représenter une convergence heureuse entre l’épanouissement des individus et la préservation de notre environnement.

Peut-être est-ce une étape cruciale qui permettra à Homo Sapiens de sortir de sa crise d’adolescence, comprendre qui il est vraiment et enfin trouver sa place dans le monde ?

Pour certains grands penseurs de notre époque, Homo Sapiens est actuellement à un carrefour de son existence. Il est aux prises de très fortes tensions, entre deux mondes qui s’entrechoquent, dans ce qu’ils appellent la Grande Transition de l’Humanité, qui aurait commencé vers la fin du 19ème siècle avec la Révolution industrielle.

Pour eux, celle-ci serait aussi bouleversante que lorsque l’être humain est passé d’un mode de vie de chasseurs-cueilleurs nomades à celui de sédentaires du fait de l’agriculture.

Homo Sapiens est dans un combat avant tout face à lui même. Peut-être le plus difficile de son existence.

Espérons qu’Homo Sapiens en sortira grandi, fera les bons choix, et qu’il réussira à devenir un adulte responsable.

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