Adopter le statut de “société à mission”… quand on l’est déjà ? Chapitre I — Un « cas d’école » avec Officience

Elodie Melliere
Entreprises à mission
6 min readJun 18, 2019

J’ai la chance d’avoir rejoint depuis quelques semaines une communauté formidable, Officare, créée autour de l’entreprise Officience. Le tout constitue une « organisation » atypique, que je ne sais à vrai dire décrire autrement que par les gens qui la composent (la “tribu Offy”), les “causes” et les “valeurs” qui les réunissent. Et si le fonctionnement d’Officience est explicité dans un handbook, chez Officare il n’y a qu’une seule règle : ne pas rentrer dans la salle de bain avec des chaussures…
Bref le tout forme une organisation (ou une communauté ?) “libérée” ou “opale” … ou faudrait-il simplement dire “vivante”?

Alors que je cherche à donner à la suite de ma vie professionnelle un sens que je peine à voir jusqu’ici, rejoindre la tribu Offy est une aubaine pour expérimenter une autre approche du travail et des organisations, et explorer des causes qui me tiennent à coeur. Comme celle-ci par exemple : comment puis-je contribuer à créer des organisations qui soient au service du bien commun?
Et sur ce point ce que j’ai vu d’Officience me semble particulièrement exemplaire.

Aussi quand Duc m’a proposé de réfléchir à l’adoption par Officience du statut de “ société à mission” instauré par la loi Pacte, j’ai sauté sur l’occasion. Et nous nous sommes réunis dans les locaux parisiens d’Officience pour une première réunion avec Duc, mais aussi Rita, Marianne, Xuân Ngân et Nam Phuong.

Mais au fait pourquoi on fait ça ?

Est-ce qu’Officience a besoin de la loi Pacte? En fait non a priori… Officience n’a nullement attendu un tel statut pour ériger haut ses “causes” dans toute relation avec ses futurs collaborateurs, partenaires divers, clients — bref tout le monde :) Donc qu’est-ce qu’on fout là??

Tour de table rapide: voici en synthèse nos attentes :

  • Construire un “cas d’école” qui puisse aider d’autres dans la mise en oeuvre d’une loi qui nous semble une avancée majeure pour notre société potentiellement, sous réserve que sa mise en oeuvre soit réussie ;
  • Prévenir certains écueils potentiels que nous pressentons, à savoir : de “mission washing” déjà, de bureaucratisation aussi via un suivi qui s’il est mal pensé pourrait alourdir l’organisation et donc la freiner dans l’exécution de sa mission ;
  • Poser des briques pour une contagion de cette loi à l’international, rajoute Duc, ambitieux décidément! C’est vrai qu’ Officience est avant tout implantée au Vietnam ;
  • Et pour ma part aussi simplement: apprendre …

Que faut il faire pour devenir une “société à mission” ?

Pratiquement selon la loi Pacte (nouveaux articles L120–10 et L120–12 du Code du Commerce) il faut en en synthèse :

1/ Modifier les statuts de la société en y précisant :

  • une “raison d’être” et des “objectifs sociaux et environnementaux”,
  • des “modalités du suivi de l’exécution de la mission”, avec “un comité de mission” (pouvant être remplacé par un “référent” pour les PME) ;

2/ Faire une déclaration au greffier du tribunal du commerce qui la publiera au RCS ;

3/ Un “organisme tiers indépendant” qui vérifiera l’exécution de cette mission “selon des modalités et une publicité définies par décret en Conseil d’Etat”. (qui semble non paru à ce jour).

L’article L120–11 indique que ce statut peut être supprimé si l’une de ces conditions n’est pas remplie ou si l’avis de l’organisme tiers indépendant n’est pas favorable… Bref, une histoire sérieuse! Mais à court terme simplement des formalités administratives et une histoire de gouvernance avec des instances et des processus — du déjà vu pour un consultant ;) Mais est-ce vraiment si simple??

Préciser une “raison d’être” et des “objectifs sociaux et environnementaux” …

La loi Pacte complète ainsi l’article 1835 du code civil : “Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité.”

Si j’ai bien compris, la “raison d’être” d’Officience est aujourd’hui exprimée via 5 « causes ». Facile donc! Pas tant que ça à vrai dire car leur relecture questionne Duc : par exemple la cause “Développer le Vietnam” doit-elle être exprimée ainsi ? Quid de la Birmanie alors ? Il apparait donc pertinent de revisiter cette raison d’être pour valider que son expression traduit bien le réel. D’ailleurs ça tombe bien Officience est un organisme “vivant”, et de ce fait sa raison d’être est “évolutive”.

Mais comment ? Est-ce qu’on peut faire ça en un workshop de 2h ? et si oui avec qui ?

Ou faut-il envisager quelque chose de plus ample pour écouter l’ensemble des parties prenantes d’Officience ? Mais alors qui : les salariés ?, la tribu ?, les clients ?, les partenaires ? et on va jusqu’où ?

Par ailleurs, il nous semble que la raison d’être devrait être première dans ces statuts, et que les autres aspects mentionnés (“les apports de chaque associé, la forme, l’objet, l’appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement”) doivent servir celle-ci. Du coup ces points se retrouvent aussi en question, et notamment faut-il réexprimer l’objet de la société? Etant données les contraintes associées (code APE…), comment faire pour qu’il soit suffisamment large et ne freine pas la genèse par ses membres d’activités diverses en phase avec cette raison d’être ? C’est certes une problématique usuelle pour toute entreprise, mais dans le cadre d’une organisation aussi “vivante” qu’Officience, ces enjeux sont majeurs. Nous pensons notamment à la diversité des projets entrepris par les membres de la communauté Officare, dont certains sont portés par Officience SARL en mode “portage”.

Et puis tout ça comme c’est une communauté d’individus libres, ça doit être “évolutif”. Donc on va devoir les changer tous les combien ces statuts??

Enfin nous n’avons pas encore parlé des objectifs sociaux et environnementaux associés à cette mission, qui doivent être définis également dans les statuts. Ils peuvent toucher de nombreux domaines, d’organisation, de management, de relation avec les fournisseurs et clients, … Nous n’en avons pas parlé davantage lors de cette première réunion. Un vaste chantier s’ouvre donc …

… et des “modalités du suivi de l’exécution de la mission”

Ouh lala, alors du suivi — bref, qui contrôle — ce n’est pas très en phase avec une logique opale !

La loi Pacte indique parle d’un “comité de mission” :

  • « distinct des organes sociaux» usuels
  • qui comporte « au moins un salarié »
  • « est chargé exclusivement de ce suivi et présente annuellement un rapport »
  • « procède à toute vérification qu’il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l’exécution de la mission. »

1-Quelle mission voudrions nous donner à ce comité ?

A l’image du supervisory board de Buurtzorg (qui certes ne “suit” pas la mission de Buurztorg mais bien des indicateurs financiers et managériaux usuels) dont j’ai eu la chance d’avoir une présentation inspirante par son président Arnoud Aikema la semaine dernière, nous souhaiterions ce comité de mission au service des équipes d’Officience et de sa raison d’être.

Il nous semble qu’au-delà du suivi et du rapport indiqués par la loi et du « rapport » associé, les enjeux poursuivis pourraient être:

  • De protéger la raison d’être : notamment en encourageant la contribution active des membres de la « tribu »;
  • De la pérenniser : en garantissant la conformité à la loi déjà, aussi en faisant vivre cette raison d’être de façon à ce qu’elle soit « vraiment évolutive »;
  • De la promouvoir et d’ainsi de faire grandir la « tribu Offy», c’est à dire in fine d’encourager davantage de personnes encore à servir les 5 causes de manière sincère et souveraine.

2-Quelle composition pour ce comité ?

Différents points de vue se croisent :

  • Légal : Officience qui ne dispose que d’un seul salarié en France pourrait se limiter à un seul « référent » (dont la loi indique qu’il n’est pas obligatoire qu’il soit salarié de l’entreprise)
  • « Opale »: il nous semble que ces enjeux devraient être portés par tous, au même titre que la raison d’être elle-même. Du coup, faut-il (comme pour l’écoute de la raison d’être évoqué ci-dessus) inclure dans cette réflexion les salariés Officience ?, la « tribu Offy » ? les clients ? les partenaires ? et pourquoi pas le banquier, l’avocat, l’expert comptable, …?
  • Pragmatique : ne pas faire une usine à gaz !

3- Et que va-t-on “suivre” ? Et comment ??

Et nous en sommes là avec toutes ces questions ouvertes encore.
Je pensais pourtant que pour une société comme Officience ce serait facile: quelques formalités, un comité, des processus … bref facile :)

Nous repartons avec un souhait d’avancer encore davantage aiguisé sur ce sujet. Rdv semaine prochaine !

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