Quand le paradigme est plus fort

Aim Collective
Entreprises à mission
7 min readJun 19, 2019

Tout est venu d’un post Facebook. Comme souvent en ce moment mais c’est une autre histoire. Ce jour là, Duc Ha Duong fait appel à sa communauté pour éclairer le chemin d’Officience qui souhaite aller à la rencontre d’un texte de loi majeur adopté au Parlement quelques jours plus tôt.

L’intention

Je réponds immédiatement. Pourtant Aim ce collectif qui veut transformer les organisations par les sciences humaines n’est pas encore né. Aim n’arrivera que le 1er Mai (tout un symbole ! mais c’est une autre histoire) mais son intention est déjà là (the aim of ?) et me souffle tous les mots pour Duc ce jour là.

Je ne savais même pas au moment de répondre ce que les lettres PACTE voulaient dire mais je comprenais qu’il s’agissait là de réformer la philosophie même de l’entreprise. Cela résonne.

J’explique alors qu’Aim veut prendre part à cette conversation. Je dis au présent qu’Aim souhaite aider les organisations à penser leur action. Je sais que la question du sens, de l’identité et de la raison d’être seront centrales dans ses interventions. Aim souhaite aider Officience et toute sa communauté à devenir aux yeux de la loi une entreprise à mission. Aim veut co-construire, apprendre et vivre cette expérience aux côtés de tous les Offy.

Une conversation messenger se crée, puis une autre, puis un groupe de volontaires s’avance. Un rendez-vous est pris et nous voilà réunies autour du Duc, rue du Caire et au Vietnam, le 12 juin dernier.

Elodie, Nam, Suzanne, Marianne, Rita : les 5 personnes qui ont répondu présentes à l’invitation de Duc sont des femmes. Tiens ?

Mais c’est encore une autre histoire, right ?

Duc nous explique son souhait de voir la loi Pacte devenir contagieuse à l’international. A l’instar de la CNIL qui veille depuis plusieurs décennies à ce que nos partenaires adoptent les principes fondamentaux de nos libertés individuelles, la loi Pacte pourrait propager sa philosophie dans le monde entier par effet systémique. Bam. Cela ne fait pas cinq minutes que la réunion a commencé que nous parlons valeurs universelles, bien commun et impact mondial.

Toutes nous expliquons que si nous avons levé la main pour en être c’était pour apprendre. Duc, lui, veut défricher la voie et éclairer celles de tous les autres qui vont suivre.

Le texte

Elodie et moi avons épluché cette loi justement. Sur les 10 mesures qui la composent, ce qui nous intéresse aujourd’hui c’est le point n°3 : Repenser la place de l’entreprise dans la société.

Le Code civil et le Code de commerce seront modifiés afin de renforcer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie et l’activité des entreprises.

En déchiffrant de plus près, on comprend qu’il faut cocher plusieurs cases pour devenir une société à mission.

Tout d’abord, il nous faut inscrire dans les statuts une raison d’être. OK, dans le cas d’Officience on a une raison d’être qui vit à travers les 5 causes d’Officience.

Il n’ y a plus qu’à l’inscrire aux statuts. Easy.

…En fait pas si easy. On se demande si les 5 causes sont encore d’actualité. “Mondialisation Positive est-ce que cela parle encore à tous ?” Peut-être faudrait-il reformuler cette raison d’être en organisant une consultation générale ?

Deuzio, il nous faut inscrire dans ces mêmes statuts des objectifs sociaux et environnementaux qu’Offi se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité. Même combat.

Trois, il nous faut ajouter aux statuts qu’un comité de mission (composé au moins d’un salarié) doit s’assurer que les objectifs sociaux et environnementaux sont respectés et tout consigner dans un rapport annuel.

“objectifs”, “rapport annuel”, “contrôle” : je n’ai pas relevé les réactions des autres mais je pense qu’à ce moment là mon visage a probablement grimacé. Ces mots rebondissaient contre les murs sans trouver leur place. Ces mêmes murs qui allaient accueillir quelques dizaines de minutes plus tard la séance de share & care hebdomadaire.

A ces 3 conditions enfin, on ajoute une ultime vérification par un tiers indépendant qui ajoute un avis au rapport annuel. Pour finir, il nous faut déclarer la qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui vérifie que tout est conforme avant de la publier.

Bon.

Rappelez moi le C dans pacte c’est pour consensus ou contrôle déjà ?

Le grand renversement

Je fais bien de ne pas montrer mon cynisme car l’équipe joyeuse sérieuse et valeureuse persévère.

On approfondit davantage en passant en revue le contenu des statuts : l’objet, la forme juridique, le siège social, le capital social…

Et c’est à ce moment là que s’opère un premier renversement sidérant. Duc lance : “Et si nous changions l’objet de la société ? Et si l’objet d’une société était de servir avant tout sa raison d’être ? Et si nous amenions la logique de la loi PACTE jusqu’au bout ?”

Plutôt que d’être libellé “société de services informatiques”, et si notre objet social devenait quelque chose du genre “Organisation servant la raison d’être d’Officience” ?

D’ailleurs soyons honnête l’objet tel qu’il est inscrit aujourd’hui dans les statuts n’est-il pas déjà caduc ? L’activité d’Officience ne se résume pas aujourd’hui à une société de service informatiques. Par exemple, Officience SARL héberge gratuitement à Paris et au Viet Nam des porteurs de projets innovants et à fort impact qui partagent aux moins l’une des 5 causes de l’entreprise. Et puis, demain Officience c’est potentiellement une société de portage…pourquoi pas ?

Attacher son objet à sa raison d’être ne serait-ce pas là finalement la seule façon d’intégrer en son sein l’évolution possible de l’entreprise ?

A peine le temps de mesurer ce qu’on est en train de se dire, que s’opère un deuxième renversement.

Et si l’organe de suivi ne se contentait pas seulement de contrôler que la raison d’être est alignée avec les décisions prises par Officience ? Et s’il agissait ? et s’il intégrait dans son rôle même le fait de pouvoir faire évoluer la raison d’être ?

Pourquoi devrait-on choisir maintenant et pour toute la vie une raison d’être définitive rigide et inscrite à jamais au Tribunal du Commerce ? Pourquoi ne pas lui donner la possibilité d’évoluer ? Pourquoi imaginer que les écarts éventuels que révèlerait ce comité de mission par rapport à ce qui est gravé dans le marbre sont à bannir ? Pourquoi ne pas choisir de les accueillir et les transformer en d’innombrables opportunités de développement pour l’organisation ? Pourquoi enfin repartir d’une page blanche avec un projet d’actualisation de la raison d’être alors que celle-ci peut émerger à partir de ce qui existe déjà sans que l’on intervienne ?

Ne nous privons pas de conférer du pouvoir à ce comité de mission ! Puisqu’il est au plus près de ce pour quoi la communauté d’Officience oeuvre tous les jours, puisqu’il accède aux décisions, aux projets et aux résultats, puisqu’il entrevoit les causes vers lesquelles chacun va, alors laissons le faire évoluer la raison d’être de l’organisation si la réalité de celle-ci le requiert.

En quelques minutes nos modes de représentations avaient changé. La même réalité (ici la loi Pacte appliquée au contexte d’Officience) a été perçue depuis deux perspectives différentes à quelques dizaines minutes d’intervalle. Dans la première nous cherchions à choisir au mieux la bonne raison d’être, à faire les choses selon des règles pré-établies, à ne pas nous tromper. Dans la seconde, nous avons choisi de faire confiance à l’organisation pour faire émerger sa raison d’être, de faire comme bon nous semblait, et de nous adapter.

Un exemple ?

En prenant le texte de loi à la lettre, nous vivions les événements depuis l’ancien paradigme. Il nous faut inscrire une raison d’être aux statuts ? “OK nous en avons une mais peut être faut-il en profiter de cette occasion pour la mettre à jour”. Nous avons donc ainsi mis sur le chemin critique de l’obtention de la qualité d’entreprise à mission, une action de consultation qui aurait probablement été longue et fastidieuse pour choisir les termes définitifs de la raison d’être.

Peut-être qu’au bout d’un an, le comité de mission aurait relevé des écarts entre cette raison d’être et les décisions prises par l’organisation. Que faire alors de ces écarts, la loi ne dit rien sur cela.

Une première option aurait consisté à mettre à jour cette raison d’être, éventuellement en organisant une nouvelle consultation. Une deuxième option aurait été d‘encourager la communauté à chercher des manières de réduire cet écart par exemple en réalisant des actions allant dans le sens de tel ou tel item de la raison d’être. Toutes ces pratiques appartiennent à un autre paradigme qui est peut être celui qui encadre la façon dont on pense les lois aujourd’hui en France mais qui n’est pas celui d’Officience.

Ce qui s’est passé probablement ce jour là c’est que le paradigme d’Officience a été plus fort.

Quelque chose dans les murs, tout ce qui s’y est vécu, et dit, et incarné depuis 2013, le share n care à venir dans quelques minutes, le sentiment de sécurité de tous les personnes autour de la table (l’absence d’ailleurs de table à cette réunion), l’envie de construire un monde meilleur, et celle de propager la philosophie sous-jacente de la loi Pacte, et bien tout ça a formé quelque chose de plus fort qui a opéré un renversement en deux actes … saisissant.

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