Epidemium : de nouvelles techniques et formes d’organisation pour combattre le cancer

Par Cédric Villani

Epidemium
EPIDEMIUM
4 min readFeb 9, 2017

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[Livre blanc | Préface]

Barbara Govin - CC BY NC ND

Parfois le progrès réside dans la simple amélioration, où l’on apprend à faire les choses mieux, plus vite, plus efficacement. Et parfois il passe par un changement plus radical où les habitudes mêmes sont bousculées ; alors émergent non seulement de nouvelles techniques, mais aussi de nouvelles organisations du travail.

Aujourd’hui l’une des techniques émergentes qui agitent le plus le monde est l’analyse de grands jeux de données. Pas si facile de dire exactement de quoi il s’agit ; d’ailleurs, même le nom de la discipline n’est pas clair : big data, data mining, mégadonnées ? Pas facile non plus de définir son périmètre, puisqu’il s’agit d’un mélange de statistiques, analyse, géométrie, probabilités, optimisation, … Mais l’enjeu est clair : on attend tout et encore plus de ces techniques, qui ont déjà révolutionné la recherche d’information, la traduction automatique, l’intelligence artificielle, et les modèles économiques de bien des entreprises, dont les géants emblématiques de l’Internet. On attend tellement de l’analyse de grandes données que le blason des statisticiens a été couvert d’or fin, et que ce métier est devenu l’un des plus demandés au monde — en 2015, métier d’avenir numéro 1 selon la compagnie américaine Careercast.

Il était donc évident que l’analyse de grandes données allait s’attaquer, un jour ou l’autre, à l’un des fléaux qui sévissent encore le plus dramatiquement dans le monde, en fait l’un des plus grands sujets d’inquiétude dans les pays développés : le cancer. Quelle famille, dans notre pays, n’a pas été touchée par cette maladie ? Fléau d’autant plus redoutable qu’il est multiforme, varié, que ses causes et facteurs de risque sont extraordinairement multiples.

Et c’est justement pour cela que l’on attend tellement de l’alliance entre grandes données et cancérologie : il y a tant de statistiques mais elles sont si difficiles à interpréter, si variables, que l’on se dit qu’il faudra forcément utiliser des méthodes nouvelles pour en venir à bout et découvrir des choses intéressantes, de nouveaux facteurs que les médecins pourront mettre en œuvre.

Mais dans le projet Epidemium, il y avait aussi l’idée que cette nouvelle technique devait s’accompagner d’une nouvelle façon de travailler, publique et ouverte, à l’image des méthodes qui ont fait le succès du logiciel libre dans les années 90, et celui des FabLabs dans les années 2000. Une organisation où les notions de plateforme, Wiki, échange de données, partage du travail entre organisations, coopérations bénévoles, synergies, prendraient tout leur sens ; où l’on partagerait un cadre fait d’outils, de facilités, de compétences ; et où l’on laisserait la compétition faire le tri entre les idées.

Emblématique de ce projet était le rapprochement entre La Paillasse, organisation militante pour une recherche ouverte, et Roche, poids lourd de l’industrie pharmaceutique ; symbole de ce que les grandes institutions de recherche ont senti le potentiel qu’il y avait dans la recherche médicale ouverte.

Les fondamentaux d’Epidemium étaient posés, il restait encore tant d’obstacles à franchir ! Recenser les bases de données, définir un concours, rassembler largement les énergies, recruter un jury ; mais aussi définir les principes qui encadreraient ce concours.

Soucieux de suivre les bonnes pratiques, les organisateurs recrutèrent un Comité d’éthique indépendant, à qui il reviendrait de définir des garde-fous dans l’usage des jeux de données et que l’on pourrait consulter pour des questions délicates, des dilemmes à résoudre. Car la mise en relation de bases de données comporte aussi bien des promesses d’efficacité accrue que des craintes d’intrusion inacceptable. C’est à ce comité que j’ai eu le plaisir de participer : tâche légère mais importante, qui a aussi été source de réflexion quand il s’est agi d’évaluer les projets en compétition.

Une autre bonne pratique était l’implication d’une « association de malades » car les patients ont leur mot à dire, bien sûr, ne sont-ils pas les premiers concernés ? Il était donc légitime de leur laisser une part importante dans la gouvernance.

Et surtout, il y avait une grande volonté de synergie entre d’une part les experts de l’abstraction (mathématiciens, statisticiens, informaticiens) et d’autre part les experts du corps humain (cancérologues, médecins, chirurgiens, …) une synergie à mettre en place entre personnes, pour refléter la synergie entre disciplines ; un effort dont les résultats ne pourront pleinement s’apprécier qu’à travers la coopération de long terme, et auquel Epidemium a souhaité donner un coup de fouet. Dès le top départ, que de travail a été accompli ! C’était fascinant d’assister, de loin, à l’activité dont faisaient preuve les équipes en compétition, dans un grand chaos productif.

Et le moment venu, il a fallu écouter, départager, remettre des prix… C’était la fin d’une étape mais il était clair pour tous que c’était surtout le début d’une aventure de longue haleine, et qu’il allait falloir continuer à capitaliser sur ces acquis pour participer à l’émergence de la médecine du futur.

Auteur :

VILLANI Cédric (Pr), Membre du Comité d’éthique indépendant d’Epidemium : Mathématicien, Professeur de l’Université de Lyon et directeur de l’Institut Henri Poincaré, il a reçu la médaille Fields en 2010.

Retrouvez la version web du Livre blanc.

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Exploring New Paths to Cancer Research with Epidemium: a data challenge oriented and community-based open science program #Open #Data #Science