À quoi servent les chiens dans les sitcoms ?

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EpisodeMagazine
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5 min readNov 18, 2016
Article initialement paru dans Episode, le magazine web de toutes les séries par ARTE

Ils s’appellent Murray, Comet, Buck ou encore Cannelle et vous les connaissez forcément. Ce sont les chiens-chiens, les toutous, les “kiki à leurs mamans” des plus célèbres et influentes sitcoms américaines de ces 30 dernières années. Mais à quoi servent-ils vraiment ? Pourquoi toute bonne sitcom se doit-elle d’avoir son chien ? Que raconte de nous le “meilleur ami de l’homme” ? Décryptage du point de vue du monde à quatre pattes.

Tout le monde a déjà fait cette expérience. Prenez n’importe quel film tragique : les drames s’enchaînent, les morts violentes s’amoncellent, les violons appuient là où ça fait mal et le public reste stoïque. Mais si soudain le chien y passe, c’est l’effroi et les larmes dans la salle. Absurde ? Non, très humain. Et la sitcom américaine l’a bien compris. Depuis des années, elle parsème ses foyers fictifs de chiens qui créent une identification immédiate avec le téléspectateur. Bien sûr, ce n’est pas au chien que l’on s’identifie mais à l’idée que sa présence suppose. Prenons le cas de Comet, le golden retriever de la famille Tanner de La Fête à la Maison. Outre l’évident symbole d’amour et d’attention que l’arrivée de ce chiot adopté par cette famille endeuillée suppose, Comet accentue à l’écran l’une des idées primordiales de la sitcom : le temps qui passe. Arrivé jeune chiot dans l’épisode 7 de la saison 3, intitulé judicieusement “And They call it Puppy Love” (“Vive la vie du chien” en VF), Comet grandit tout au long de la saison pour atteindre sa taille adulte à la toute fin de saison. L’effet miroir est immédiat. Nous téléspectateurs, nous regardons grandir la Famille Tanner qui regarde à son tour grandir le chien. Déstructurée, la famille Tanner se réunit autour de l’amour du chien. Il installe Comet comme un personnage sur la durée.

Lors de la reprise de la série en 2016, le retour du même golden retriever sable à l’écran s’amuse à créer la confusion et à souligner à la fois l’aspect éternel de la série (le salon, l’humour, rien n’a changé) mais aussi le passage des générations (il s’agit de Comet Jr Jr, le “petit-fils” de l’original Comet, et qui donnera lieu à une nouvelle génération de chiot, Comet Jr Jr Jr). Le chien est une mise en abyme du fonctionnement même de la sitcom.

Aimer ou être aimé

Mais le chien révèle aussi quelque chose des personnages. Utiliser un chien dans une série c’est interroger leur humanité et leur capacité d’empathie. Amusant de constater la différence de traitement entre le chat et le chien dans Friends. Le chat que ramène Rachel se révèle être un caprice d’enfant gâté doublé d’un bête monstrueusement féroce (“The One with the ball”, S05E21). C’est un objet de luxe qui crée des dissensions dans le groupe et qui renvoie le personnage de Rachel à son égoïsme. L’arrivée d’un chien, immédiatement jugé « trop mignon », dans l’épisode “The One where Chandler doesn’t like dogs” (S08E07) soude au contraire le groupe contre un ennemi commun : Chandler. L’épisode tourne autour de sa honte à avouer qu’il n’aime pas les chiens « parce qu’on ne sait jamais ce qu’ils pensent ». Par ce gag, la série renforce le cynisme et la bizarrerie de Chandler en l’opposant à ce chien fédérateur qui unit le groupe dans les câlins de tous poils. Le chien est un baromètre qui jauge la sensibilité, voire parfois la féminité des personnages. Les auteurs de The Big Bang Theory jouent ainsi sur la sensibilité et l’ambiguïté de Raj, le geek timide, avec son yorkshire bichonné Cannelle.

Ainsi à l’inverse, Angela Bower, la business woman rigide de Madame est servie, a bien des difficultés avec Grover le briard de la maison. La réticence d’Angela face à ce chien qui débarque est renforcée par les aboiements du chien à son approche. Grover aime tout le monde sauf Angela, renvoyant public et personnage à sa froideur naturelle. Ne pas aimer les chiens ou ne pas être aimé par eux est un avertissement très fort pour la comédie : il y a quelque chose qui ne va pas chez vous. Comme dans un cartoon, le chien divise les bons et les méchants. La pauvre C.C Babcock et son spitz nain hargneux Châtaigne qui cajole au contraire la Nounou D’Enfer en fait hélas les frais (l’effet est d’ailleurs truqué puisqu’il s’agissait du propre chien de Fran Drescher). Le chien est toujours du côté des rieurs.

Plus humains que nous ?

Objet d’affection, le chien est surtout l’objet d’une attention qui en fait un membre éminent de la famille. C’est la solution parfaite pour les auteurs de sitcom pour donner des responsabilités à leurs personnages sans pour autant s’encombrer d’un être humain à faire exister. Le chien est un enfant par procuration. Murray, le border collier de Dingue de toi, provoque ainsi des situations qui amènent Paul et Jamie à se comporter en véritables parents. Bêtises, catastrophe, maladie, le chien amène une panoplie de situations comiques propres à la structure familiale. Quand Greg rencontre Dharma dans la série éponyme, il doit également adopter ses deux “enfants” Stinky et Nunzio qui l’obligent à de nouvelles responsabilités. L’animation pousse l’idée un peu plus loin, en faisant du chien le possible chef de meute. L’intelligence et le raffinement de Brian s’oppose à la bêtise de Peter Griffin ; c’est Petit Papa Noël, le chien adopté par la famille Simpson, qui plusieurs fois sauve la famille du désastre ; le chien savant de Rick and Morty asservit l’espèce humaine, obligeant les deux héros à changer d’espace-temps. L’anthropomorphisme crée une distance qui interroge, à la manière d’un fabuliste, l’espèce humaine. Véritable cartoon déguisé en sitcom, Marié, deux enfants donne la parole au chien Buck pour mieux s’amuser de la condition précaire de Al et de l’amour immodéré de Peggy pour le vrai mâle de la famille. La série s’amusera même à donner forme humaine à Buck le temps d’un épisode absurde.

De par son statut privilégié dans la famille, le chien cristallise les frustrations de l’homme moderne. Dans Wilfried, Ryan personnifie ainsi le chien de sa voisine, dont il jalouse la liberté. À la fois animal et domestique, le chien concilie toutes les envies et révèle nos frustrations. Les regards insistants d’Eddie, le fox terrier de Frasier, énervent le héros parce qu’ils le renvoient à sa propre humanité, à ses désirs et ses contradictions. Véritable star du show, Moose de son vrai nom, incarne toute l’ironie et la tendresse de cette série sur la difficulté d’être vraiment heureux. « Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien » prononçait Madame de Staël. « Plus il y a de chiens, plus je connais les hommes » lui répondrait-on.

Renan Cros — Illustration de Maxime Garbarini pour Episode/ARTE

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