Les séries françaises ont la phobie du sport

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4 min readDec 1, 2016
Article initialement paru dans Episode, le magazine web de toutes les séries par ARTE

La fiction française aime les flics et les familles formidables. Pourquoi le sport, qui fait partie des grandes obsessions nationales, ne trouve-t-il pas sa place dans le monde des séries en France ?

Illustration de Pierre La Police

Lorsqu’on se demande pourquoi si peu de séries françaises sont consacrées au sport (à part Extrême Limite entre 1994 et 1999), c’est que l’on a, comme souvent, les yeux rivés de l’autre côté de l’Atlantique, où le sujet a inspiré les scénaristes. Avec Friday Night Lights (football américain) en classique du genre, Eastbound and Down (baseball) en pendant bouffon, Ballers (football américain bis) en cousin bling-bling, Luck (équitation) en grande déception (malgré Michael Mann et Dustin Hoffman au générique), ou encore Pitch (baseball, toujours) en dernière arrivée. Si les Américains le font, pourquoi pas nous ?

Challenge

Parce qu’ils sont américains, pardi ! C’est en tous cas l’avis de Manuel Alduy, ancien « Monsieur Cinéma » de Canal+ officiant aujourd’hui chez 20th Century Fox : « C’est d’abord culturel. Aux Etats-Unis, les films ou les séries sur le sport racontent des histoires de challenge, de dépassement de soi, de compétition, et c’est dans l’ADN de leur fiction. Vous pouvez raconter la même chose avec un western et un film de football américain, alors qu’en France, on centre nos histoires sur des personnages et leurs états d’âme ». Si Angelo Pizzo n’a jamais écrit de série jusqu’ici, il est considéré comme l’un des maîtres du film de sport aux Etats-Unis pour avoir écrit les classiques Hoosiers (basketball, avec Gene Hackman et Denis Hopper) et Rudy (football américain). « Là où j’ai grandi, explique Pizzo, en Indiana, le sport est une façon de devenir un homme, de déterminer la façon dont on se voit et dont on veut être vu. Je ne suis pas sûr que ça existe en France ».

Ça coûte cher de tourner dans un stade !

Budget

Mais si le problème est culturel, comment expliquer que le sport squatte les antennes à longueur d’année, et que les meilleures audiences TV soient encore réalisées par l’équipe de France de football ? Ancien d’une chaîne qui a inventé la mise en scène télévisuelle du football dans les années 90 sous la houlette de Charles Biétry, Manuel Alduy démonte le paradoxe : « Le sport est déjà raconté comme une série télévisée par Canal et d’autres, avec des rendez-vous hebdomadaires, des personnages récurrents… Si l’on prend l’exemple du foot, les images de fiction sont rarement exceptionnelles par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir toute la saison : il y a un vrai problème de production value, ça coûte cher de tourner dans un stade ! »Dans une économie où chaque minute et chaque figurant doivent être rentabilisés, difficile de faire des folies. Surtout quand l’investissement n’intéresse pas forcément les diffuseurs… « Canal+ a déjà une offre sportive très riche, rappelle Alduy, et les autres programmes doivent s’adresser à un autre public pour ne pas déséquilibrer la chaîne. Et c’est vrai pour toutes les chaînes généralistes. Libres de ces contraintes, peut-être que Netflix ou même beIN pourront faire différemment ».

La fiction française n’a jamais été aussi intéressante qu’aujourd’hui

Univers

En attendant, la situation est un brin morose, et les scénaristes font le tour des guichets, désespérant de voir leurs histoires en short portées à l’écran. Antonio Del Casale, auteur d’une série de mockumentary sur le football, est de ceux-là : « La moitié du temps, la première réaction c’est “j’aime pas le foot”. Alors que c’est pas la question ! Je parle des coulisses, d’un univers avec ses règles, ses codes… Pas du sport ou du jeu en lui-même ». Si l’intérêt du public existe (à condition de correspondre au désir d’une chaîne), et si les scénaristes ont un appétit pour le sujet, on peine à comprendre pourquoi la connexion peine encore à se faire. Producteur chez Calt, Xavier Matthieu a peut-être une réponse : « Les formats feuilletonnants, de 26 ou 52 minutes, sont encore assez jeunes en France, et ce sont eux qui permettent d’explorer un univers, de faire une radioscopie de personnages aux problèmes universels. Ce qui est propre à leur univers, ici le sport, ce n’est que de la cuisine ». Et celui qui fut scénariste de H, référence de la sitcom “à la française”, de terminer sur une touche d’optimisme : « La fiction française n’a jamais été aussi intéressante qu’aujourd’hui : regardez Chefs, que l’on a produit, ou Dix pour cent, sur un univers encore plus particulier que le sport… Il n’y a pas de mauvais univers ! Moi, je crois en la puissance des auteurs : l’un d’eux doit rencontrer un producteur, puis un diffuseur, et on arrêtera de se poser ces questions ». Une lueur d’espoir en forme d’appel à projets ?

David Alexander Cassan — Illustration de Pierre La Police pour Episode/ARTE

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