Petite histoire des musiques de génériques de série

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11 min readMar 23, 2017
Article initialement paru dans Episode, le magazine web de toutes les séries par ARTE

Réflexe de Pavlov du spectateur, la chanson de générique a parfois côtoyé les sommets des charts. Tour d’horizon des morceaux qui nous ont ravis avec le plus de style ces cinquante dernières années.

Illustration de Bruno Mangyoku

Nous sommes disposés à écouter l’histoire que l’on se propose de nous raconter

Les premiers thèmes musicaux télévisés sont largement inspirés de la radio car le concept même de générique indicatif vient de de la radio. Ce média, voyant ses programmes se multiplier, avait dû inventer une manière de les distinguer les uns des autres pour les auditeurs. Ainsi, les premiers génériques télé comme Les Envahisseurs ou La Quatrième dimension se calquent naturellement sur un format radio : une voix nous raconte et nous explique ce qui va se produire, la musique saisit et prépare mais ne sert pas encore de pont symbolique et physique entre nous et le film. Cette étape se produit avec les premiers grands génériques classiques comme celui de Mannix, composé par Lalo Schifrin, ou celui de d’Amicalement vôtre, composé par John Barry. On peut d’ailleurs dire de ce dernier objet qu’il est l’archétype du générique parfait puisqu’il présente Tony Curtis et Roger Moore qui sont très différents, montre le concept grâce au « split-screen » (ces deux gentlemen vont collaborer non sans une certaine tension) et pose une ambiance grâce à une musique qui fortifie ces idées. Un thème presque tragique, solennel et martial, étrangement ancré à l’Est avec ses notes de sitar. Ça y est, nous sommes disposés à écouter l’histoire que l’on se propose de nous raconter.

L’ère Post & Carpenter ou l’Amérique victorieuse

Dans l’histoire de la musique de générique, les années 1980 sont fondatrices, notamment grâce au travail du célèbre duo de compositeurs formé par Pete Carpenter et Mike Post. Carpenter, tromboniste de jazz et arrangeur musical, déjà connu pour son travail de composition sur Ma sorcière bien aimée (1964) rencontre le jeune compositeur Mike Post qui travaille pour la même émission de variétés que lui. Leur association fera immédiatement des merveilles, d’abord avec le générique de Rockford Files qui mêle guitares, synthés et harmonica pour illustrer les aventures du détective privé Jim Rockford, puis avec la chanson thème de The greatest American Hero. Une série au pitch alambiqué qui décrit les péripéties d’un humain missionné par les extra-terrestres pour faire le bien sur terre. Plus que le thème musical, la réussite de ce morceau tient aux paroles un peu cheesy mais encourageantes qui laissent penser à tout un chacun que lui aussi pourra changer le monde : « Suddenly I’m up on top of the world/It should have been somebody else». Ce single — cité dans Seinfeld des années plus tard — se classa d’ailleurs dans le Billboard Hot 100 de l’année 1981.

Mais on connaît davantage Post et Carpenter pour le fameux « Dun Dun » de New York, Police Judiciaire, et pour les génériques de Hill Street Blues, Chips, Magnum et L’Agence tous risques. Avec Hill Street Blues — roman-feuilleton qui décrit, grâce à un casting fait d’acteurs au physique ordinaire, le quotidien difficile d’un commissariat — et son thème au piano volontairement doux et mélancolique, le duo décale l’esprit guerrier des séries policières. Les représentants de l’ordre, semblent-ils suggérer, sont des humains comme les autres qui traversent, eux aussi des moments difficiles dans un rêve américain pas si rutilant. Le public comprit visiblement ce qu’ils voulaient dire puisque le disque finit 10e dans les charts cette année-là.

Au même moment, Magnum fait son entrée sur les écrans. La série a été créée parce que CBS venait d’arrêter Hawai Police d’État mais ne voulait pas fermer ses bureaux de production à Hawaï. La chaîne imagine alors le personnage de Magnum, détective privé lazy et joyeux, qui porte moustaches, chemisettes de surf et shorts, se lève tard et aime conduire des grosses cylindrées qui ne lui appartiennent pas.

Le premier générique du show est un thème jazz classique et peu porteur qui ne séduit qu’à moitié les téléspectateurs. Post & Carpenter sont appelés à la rescousse pour dynamiser l’ensemble, avec le succès qu’on connaît. Dès les premières mesures, nous voilà immédiatement dans le grand huit de l’Action, avec ses voitures et ses hélicoptères. Les riffs de guitare à la Van Halen donnent un côté rock et les cordes aussi rassurantes que drôles, associées au sourire mutin de Tom Selleck et au style de vie cool qu’il incarne, finissent de nous persuader de nous asseoir devant la télé à chaque fois que cette merveille musicale retentit. Plus généralement, les compositions musicales du duo à cette époque cristallisent par leurs accords et leurs harmonies, l’essence du rêve américain, fait d’énergie, de victoire, de volonté et d’espoir.

Le choc Miami Vice

Le Miami Vice Theme, entre synthés new wave et guitares viriles, est numéro 1

En 1984, le directeur des programmes de NBC veut créer une série policière qui, en faisant référence à la culture jeune, pourrait toucher l’auditoire de MTV. Elle sera produite par Michaël Mann et mettra en scène deux flics aux caractères contrastés mais complémentaires. La série se distingue très vite de ses concurrentes grâce aux partis pris esthétiques de Michaël Mann qui y mêle scènes d’action et longues séquences musicales filmées comme des clips vidéo. Ainsi se succèdent au cœur de la série une série de tubes, de Aerosmith à ZZ Top. On pense notamment au In The Air Tonight de Phil Collins qui transforma une banale séquence en voiture en une scène mélancolique, la plus représentative de toute l’esthétique eighties. Aujourd’hui, cette bande originale composée de hits semble des plus ordinaires mais à l’époque, ce fut une véritable révolution. Le Miami Vice Theme, entre synthés new wave et guitares viriles, est numéro 1 au Billboard hot 100 Singles en 1985 et reste le seul générique à avoir atteint un tel niveau. Quant à l’album Miami Vice Soundtrack, il s’écoulera à plus de 4 millions d’exemplaires. Se procurer cette bande originale, c’était s’approprier tout le concept, s’y identifier et rouler des heures en voiture dans des rues désertes en se prenant pour Don Johnson.

La glue des bons sentiments

Les années 1980 ont aussi donné naissance à une myriade de thèmes dit « familiaux », plutôt harmonieux et rassurants mais dégoulinant de bons sentiments et accompagnant pour la plupart des génériques dits « de personnages », c’est-à-dire qui présentent les acteurs. Nous les citons dans un but cathartique, pour les évacuer après y avoir été exposés beaucoup et longtemps, voire beaucoup trop longtemps. Prenons d’abord Fame ( « I’m gonna live forever» ) série dérivée du film d’un même nom et dont la musique a emballé toutes les adolescentes qui rêvaient de faire une école de danse contemporaine. Acheter le disque correspondait, d’une certaine manière, à être déjà sélectionnée. Parmi les plus gluants, on peut citer le générique de Madame est servie, ou pire, celui de Ricky ou La Belle vie dont le « Together, were going to find our way » nous hante encore. Mais celui qui atteint les limites du genre est peut-être celui de The Love Boat. Ce thème musical, façon up-beat disco, est excellent et drôle pour peu qu’on apprécie le kitsch et l’esthétique camp — Amanda Lear le reprend d’ailleurs systématiquement sur scène depuis 2008 -, mais son association avec les « posing shots » ultra-brite des membres d’équipage et des invités ramène en une minute le concept de générique télé à ce qu’il est à l’origine : un carton de présentation.

L’exception française

Certaines séries américaines ont connu un succès retentissant en France grâce à l’adaptation de leur générique. C’est le cas de Dallas dont la musique, plutôt disco aux État-Unis, a, pour la télé française été carrément transformée et agrémentée de rimes croisées par un certain Jean Renard (grand manitou de la chanson) puis vaillamment chantée par un groupe formé spécialement pour l’occasion, les… Dallas. Un morceau bravache qui, par sa lourdeur et sa brutalité, ordonne d’une certaine façon au spectateur de se mettre devant sa télévision pour goûter à « l’univers impitoyable » de Southfork. La série fut un vrai succès commercial et son thème aussi. Mais les Français étaient-ils à ce point peu adaptables qu’il faille leur expliquer par le menu tout ce dont l’histoire allait être faite ? La question reste ouverte, surtout quand on prend aussi le temps de réécouter les paroles ajoutées aux versions françaises de Starsky et Hutch ou de L’Agence tous risques. Dans ces années-là, en France, soulignons tout de même la belle réussite du générique de Châteauvallon, série produite par Antenne 2 pour contrer Dallas et ses records d’audience sur TF1. La chanson associée au thème — Puissance et Gloire, interprétée par Herbert Léonard -, se classa dans le top 50 français en 1985. Composés par Vladimir Cosma, thème et chanson ressemblent étrangement aux compositions que Giorgio Moroder proposa deux ans plus tôt pour le film Flashdance.

Du générique-trombiniscope au manifeste esthétique

David Lynch bricole le premier générique mode d’emploi

Dans les années 1990 perdurent encore pour un temps les génériques tromboscopiques mais la formule finit vraiment de s’essouffler avec des séries comme Beverly Hills, ou Buffy dans lesquelles la musique n’a plus valeur que d’accompagnement. Les temps ont changé mais personne ne semble s’en rendre compte, sauf peut-être David Lynch qui bricole, avec Twins Peaks, le premier générique mode d’emploi. Un programme narratif, esthétique et sémiotique résumé en 2'36 et dans lequel est intriqué le sublime morceau d’Angelo Badalamenti qui fonctionne lui aussi comme un élément narratif. À l’instar des images, qui donnent toutes les apparences de l’anodin, le morceau ressemble à première vue à une simple illustration. Mais les choses sont plus compliquées : les images jouent, si on les analyse mieux, sur un jeu d’oppositions binaires (haut/bas, nature/industrie, droite/gauche) et la musique qui avance de balancements en balancements et de tensions en apaisements, reflète et accompagne cette hésitation de fond entre le bien et le mal qui sera au cœur de la série.

Peut-être moins énigmatiques mais tout aussi rafraîchissantes, apparaissent au début des années 2000, les séries Les Sopranos et Six feet Under dont les génériques sont clairement passés du côté narratif et programmatique. Les paroles du thème des Sopranos, Woke up this morning des Alabama 3, annoncent clairement la couleur : « You woke up this morning/Got yourself a gun/Mama always said you’d be The Chosen One ». À l’image, un montage d’images de ville et de route, le visage d’un homme peu avenant à travers une vitre, un cigare : dans cette série, un « méchant » sera le héros. Comme un indice supplémentaire, les Alabama 3 disent avoir composé cette chanson en s’inspirant de l’affaire Sara Thornton, une femme qui poignarda son mari après qu’il l’eue maltraitée et battue pendant des années. Six feet under, dont le générique a été créé par le studio Digital Kitchen, propose une expérience différente. Des images qui paraissent dignes d’un film d’horreur : des mains qui se lâchent, un corbeau, une tombe, un arbre, des nuages qui passent à toute allure… Mais dans l’oreille, une mélodie agréable et cyclique, emplie de de pizzicati — qui miment un départ sur la pointe des pieds — avec, ici et là, des percussions légères et un okarina qui évoquent les rituels sacrés des premiers Indiens. Cette série parlera de la mort, soit, mais d’une façon inédite.

Différence et répétition

Un procédé musical qui permet d’amener du similaire là où les choses diffèrent est à l’œuvre dans The Wire qui choisit de faire décliner au fil de ses saisons par plusieurs interprètes, une seule et même chanson, le Way down in the Hole de Tom Waits, chien mouillé du blues. Un morceau aux paroles gospel qui parle de la lutte entre le bien et le mal et délivre un message simple : il faut rester droit et s’en remettre à Jésus pour « faire rester le diable dans son trou ». Mais la supplique prend différentes couleurs selon qu’elle est chantée par Steve Earle, Tom waits ou les Blind boys of Alabama et ces fines fluctuations accompagnent discrètement les variations visuelles du générique qui annoncent à chaque nouvelle saison les thèmes qui seront abordés. Ce dispositif musical et graphique permet de produire une sensation de connivence chez le spectateur mais lui suggère aussi que, comme dans la vie, si des changements se produisent en surface, les problèmes de fond restent les mêmes.

Même agencement mais cette fois avec un effet comique pour Weeds et son thème Little Boxes, standard folk, contestataire et parodique écrit en 1962 Malvina Reynolds. Une chanson drôle et caustique, qui dénonce la banlieue proprette, ses valeurs bourgeoises et l’étroitesse d’esprit de ses habitants. Ici, les images du générique (qui rappellent celles de Jacques Tati) ne bougent pas d’une saison à l’autre et illustrent littéralement la chanson qui elle change, dès la saison 2 en étant réinterprétée par Joan Baez, Elvis Costello, Randy Newman ou Donovan. Un filon que la créatrice de la série, Jenji Kohan, aurait dû continuer de creuser plutôt que de nous imposer l’insupportable et long thème d’Orange is the new Black.

Les thèmes musicaux à l’ère du binge watching

À l’heure où les séries ne se regardent plus à la télévision mais sont « binge watchées» sur des écrans, on peut s’interroger sur l’utilité d’avoir un vrai générique plutôt qu’un simple indicatif sonore sur lequel seraient déroulés les noms et les fonctions. Le générique mille fois entendu sert de pause pour aller se chercher un verre d’eau ou un dernier gâteau dans le placard de la cuisine avant de retourner à l’histoire. Si le générique est long, il est possible de le laisser tourner pendant que nous effectuons ces opérations, et s’il nous plaît, eh bien il est toujours possible de le regarder. Mais cette possibilité pour le spectateur de faire ce qui lui plaît ne semble pas convaincre tous les showrunners et deux écoles s’affrontent clairement : les adeptes du thème court et les adeptes du thème long.

En réalité, les thèmes courts le sont souvent par obligation notamment pour les séries produites pour des Networks, qui disposent de moins de moyens et de moins de temps, devant laisser la place aux publicités. C’est le cas de The Walking Dead sur AMC dont le thème, une boucle angoissante de cordes évoquant la fuite, fonctionne néanmoins très bien. Les chaînes dédiées à la création comme HBO, peuvent prendre davantage leur temps. Le cas Game of Thrones est exemplaire à ce sujet : un générique interminable mais beau et malin en forme de chevauchée fantastique autour d’une carte. Celui de l’excellente série britannique Broadchurch, produite par la BBC, prend aussi le parti pris de la longueur avec un thème tragique un peu anxiogène mais intense, composé par Olafur Arnalds et qui, décliné à plusieurs moments de la narration, accentue l’entrée fracassante du crime extraordinaire dans la vie paisible d’une bourgade sans histoires. Mais parfois, comme pour Mad Men, sur HBO, un générique — hommage à Saul Bass — très court et évoquant une dégringolade, marche parfaitement.

Pour Karen Thomson, aux commandes des génériques de Treme et The Wire et interrogée par le journaliste Éric Verat pour les besoins de son livre Génériques ! : Les séries américaines décryptées (éd. Moutons électriques), il est « souhaitable d’avoir une véritable séquence de générique créée spécialement ». Au niveau marketing et commercial, la stratégie est efficace pour tout le monde : le bon générique donne au show « une empreinte spécifique » qui amplifie et habille la marque et « induit un réflexe de Pavlov positif ». Il peut transporter en quelques minutes le spectateur dans un endroit où il se sentira chez lui. Et puis il servira de « pause pop-corn, comme un entracte à l’époque du cinéma du bon vieux temps. »

Anne Pauly — Illustration de Bruno Mangyoku pour Episode/ARTE

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