Sorcières et fières de l’être

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5 min readMar 1, 2017
Article initialement paru dans Episode, le magazine web de toutes les séries par ARTE

Femme au foyer, tentatrice ou guérisseuse, la sorcière des séries a plusieurs visages. Mais, incarnation hyperbolique de la femme, elle sert toujours, surtout, de catalyseur aux luttes féministes.

Illustration par Mathilde Valéro

“Witches are people too !”

En 1963, Betty Friedan publie “The Feminine Mystique”, un essai qui mettra le feu aux poudres de la révolution féministe en révélant pourquoi les « housewives » américaines, en dépit d’un niveau de vie confortable, étaient au bord de la crise de nerfs. L’auteure y explore l’idée folle selon laquelle les femmes trouveraient l’épanouissement personnel en dehors des rôles qui leur sont traditionnellement assignés. La même année, sur ABC, la sorcière Samantha, héroïne de Bewitched (Ma sorcière bien-aimée en VF) fait son entrée dans les foyers américains. Son époux Darrin (rebaptisé Jean-Pierre dans nos contrées) est le pur produit de son époque. Il n’aura de cesse d’exiger de Samantha qu’elle réprime sa nature profonde et se conforme aux normes de la vie maritale. Notre héroïne fera bien sûr de nombreux compromis durant les huit saisons de Bewitched, mais elle continua de défier l’autorité masculine et revendiquer son indépendance.

Dans l’épisode 7 de la saison 1, Darrin est chargé de créer une campagne de pub pour Halloween où figurent des sorcières, « de vieilles biques ». Samantha s’insurge face à ce stéréotype discriminatoire : « Est-ce que tu apprécierais d’être toujours représenté comme quelqu’un de différent ? ». Elle organise alors un mouvement de protestation, avec un slogan qui parlera à n’importe quelle population opprimée : « Les sorcières sont aussi des personnes ! ». Au même moment germait, au campus de Berkeley, la grogne pour le mouvement des droits civiques. Derrière sa frimousse d’épouse modèle et son nez qui tortille, Samantha a marqué un tournant dans la représentation de la femme au foyer : sa volonté d’émancipation, symbolisée par ses pouvoirs, est perçue comme une atteinte envers la masculinité toute relative de Darrin.

Une histoire de rebranding

Samantha a bien déblayé le terrain pour ses sœurs wiccanes, et redorer le blason des sorcières a nécessité un rebranding complet. Exit la méchante créature verte du Magicien d’Oz, et bonjour la « girl next door ». Tout ça pour parvenir, après de nombreuses années, à des héroïnes aux multiples facettes qui font voler en éclat les clichés. En adoptant le point de vue de jeunes femmes en pleine mutation, les séries de sorcières s’attaquent à des problématiques plus réalistes et féministes. Ainsi, Willow, dans Buffy contre les vampires, va découvrir à ses dépends que, comme le veut l’adage, de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. Si sa sexualité n’est jamais véritablement dépeinte comme un péché mortel, difficile d’ignorer le parallèle entre sa tragique relation avec Tara et sa descente aux enfers. Julia, dans The Magicians, sombre aussi dans l’addiction. La sorcellerie est souvent une métaphore de la drogue, comme le laisse maladroitement entendre le premier épisode « The Secret Circle », où les parents s’inquiètent de l’impact d’une telle pratique pour leurs enfants. Pour ces jeunes femmes, qui se posent beaucoup de questions sur leur identité, la magie semble être un remède à tout, et surtout au passage à l’âge adulte. Mais quelle que soit cette identité qu’elles cherchent tant à affirmer, qu’elles soient adolescentes en proie aux angoisses existentielles, gentilles épouses ou détentrices d’un savoir ancestral, les sorcières restent autant un objet de fascination que de peur.

La femme, source de tous les maux

Les femmes sont souvent les coupables toutes désignées des pires cataclysmes

Si l’Histoire nous a bien appris une chose, c’est que les femmes sont souvent les coupables toutes désignées des pires cataclysmes. La faute à Eve, qui a commis le péché originel, ou encore Jézabel, la prophétesse qui a corrompu les serviteurs du Christ. Au XXIème siècle, si l’on n’accuse plus les femmes d’être des suppôts de Satan, nos sociétés contemporaines continuent de les diaboliser. La figure de la sorcière, en particulier dans les séries, catalyse ce ressentiment. Deux critères récurrents attisent systématiquement leur persécution : le savoir et la sexualité. De l’avorteuse de Penny Dreadful (la « Cut wife » jouée par Patti Lupone) à l’empoisonneuse Geillis dans Outlander, leur plus grand péché est de mettre en péril l’ordre établi par les hommes et l’Église. Dans la série Salem, Mary Sibley a d’ailleurs choisi de tirer les ficelles de l’intérieur, parée de la vertu puritaine en vigueur. Dans la série française Inquisitio qui se déroule en 1380, Madeleine est une femme savante qui arbore tous les atours de la putain au service du Diable : elle est belle, a les cheveux roux, elle est libre, vit seule dans la forêt et possède un immense savoir médicinal. En somme, elle est aussi désirable que crainte.

Si les pauvres mortels sont bien prompts à brûler ces hérétiques, les sorcières font aussi parfois l’objet de toutes les convoitises. Et à ce petit jeu, les forces maléfiques (masculines) se tirent la bourre. Cole dans Charmed, Azazel dans Hex, Lucifer et Dracula dans Penny Dreadful… tous ces démons ne veulent qu’une chose : posséder la sorcière, corps et âme.

Avec la non-mixité comme dernier rempart, elles sont plus fortes ensemble

Pour faire acte de résistance face à l’oppression masculine, les sorcières se sont réunies en assemblée. Le « coven » est, à bien des égards, un refuge pour femmes persécutées, mais aussi une école de la vie pour les plus inexpérimentées. Les anciennes peuvent y transmettre leur savoir et préparer la prochaine lignée de femmes instruites et puissantes. American Horror Story y a même consacré sa troisième saison avec “Coven”, dans laquelle, une fois n’est pas coutume, la menace vient de l’intérieur. Les sœurs Halliwell de Charmed, quant à elles, combattent les forces du mal sous le même toit, source de leurs pouvoirs, tandis que l’adolescente Sabrina, l’apprentie sorcière, tire le meilleur parti de ses tantes. De True Blood à Witches of East End, la transmission se fait de femme en femme et de génération en génération. Avec la non-mixité comme dernier rempart, elles sont plus fortes ensemble. Au masculin, le mot « sorcier » n’est d’ailleurs pas du tout connoté de la même façon, que l’on pense à Harry Potter ou à L’apprenti Sorcier de Walt Disney. À l’image des Noirs et du « N word », ou des LGBTQ avec le terme « queer », les sorcières se sont réapproprié une insulte pour en faire un symbole de force et d’émancipation.

Delphine Rivet — Illustration de Mathilde Valero pour Episode/ARTE

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