Violetta

EPISODE
EpisodeMagazine
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5 min readMar 23, 2017
Article initialement paru dans Episode, le magazine web de toutes les séries par ARTE

Elle a des airs inoffensifs de bluette adolescente, mais vous auriez tort de ne pas prendre Violetta au sérieux. Cette telenovela musicale argentine taillée sur-mesure pour les jeunes filles en fleurs est un rouleau compresseur que les parents européens n’avaient pas vu venir. Et pendant que leur progéniture rêve d’amour et de célébrité, leur portefeuille, en revanche, l’a senti passer.

Illustration par Achraf Amiri

À la conquête du vieux continent

Coqueluche des fillettes de 8 à 14 ans, Violetta, la première telenovela de Disney Channel, a déferlé sur le monde de 2012 à 2015, avant de frapper de plein fouet la France, à peine cinq mois après sa première diffusion dans son pays d’origine, l’Argentine. L’histoire de cette adolescente, du nom de Violetta, donc, qui ne vit que d’amour et de chansons, est née d’une coproduction entre l’Amérique latine, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Imbroglios sentimentaux, trahisons, secrets de familles, le tout dispersé sur trois saisons de 240 épisodes au total… Violetta a adopté tous les codes de la telenovela (ces soaps hyper addictifs qui cartonnent en Amérique du Sud) pour les transposer à l’univers des ados. Quoi de plus universel que les turpitudes de l’âge ingrat ? Mais plus qu’une fiction télé, Violetta est une marque. Jamais diffusée aux États-Unis, elle a pourtant séduit le reste du monde en se concentrant sur ces marchés très en demande de produits plus « locaux ». Après les pays hispanophones, les autres ont suivi et ce, en dépit d’un doublage plutôt hasardeux. La franchise s’est alors déclinée en français, en italien, en russe et en portugais. Les anglophones, peu habitués à ce procédé, ont donc été épargnés. Culturellement, le reste du monde était mûr pour accueillir les émois de la jeune Violetta.

Un impact culturel qui dépasse les frontières

Outre la série et son sujet universel, ce sont plus de 2 millions d’albums des chansons originales qui se sont vendus. Redoutable machine marketée pour plaire aux pré-adolescentes, elle se décline en livres, en journaux intimes, en concerts… Si la cible des 8–14 ans est particulièrement prisée des marques, c’est parce que ces fillettes sont à un âge où elles commencent à émettre des opinions sur ce qu’elles aiment. Les études de marché ont aussi montré que la majorité des pré-adolescentes sont volatiles. Elles sont capable d’idolâtrer leurs héroïnes pendant trois ans environ, puis passent à autre chose. Violetta n’est là que pour les accompagner un temps, avant qu’elles ne se tournent vers de nouveaux repères. On comprend mieux pourquoi la série s’est arrêtée en 2015, après trois saisons et au sommet de sa gloire. En attendant de pouvoir financer elles-mêmes leur passion fugace pour Violetta, ce sont les parents qui raquent. Il faut toutefois reconnaître un mérite à la série : dans son sillage, la langue espagnole a connu un regain d’intérêt chez les fillettes. Car la série a beau être doublée, les chansons, elles, sont en version originale. Comme avant elles Tokio Hotel avec l’allemand, les petites Tinistas (nom donné aux fans) se sont soudain prises de passion pour la langue. En France, les académies ont enregistré une nette hausse des inscriptions en cours d’espagnol durant la diffusion de Violetta. Ainsi, lors des huit concerts parisiens qui se sont tenus en janvier 2014, et dont les 22 000 places au Grand Rex se sont vendues en quelques heures, les jeunes groupies pouvaient s’époumoner sur « En mi mundo » sous le regard médusé des parents qui les accompagnaient bien malgré eux.

Violetta, une idole soigneusement calibrée

« Tu dois être la fille que tout le monde voudrait être ! » lui dit son prof de musique. C’est même la mission numéro 1 de Violetta, à l’écran et au-delà. Elle est ce que les publicitaires appellent un « produit aspirationnel ». Un idéal que la cible aspire à devenir. Son héroïne, incarnée par la jeune actrice de 19 ans Martina Stoessel, a tous les atours de l’adolescente bien sous tous rapports. Timide, gentille, jolie sans être menaçante pour ses copines… bref, c’est un cliché. La série, en s’adressant à des pré-ados qui ne veulent plus être considérées comme des petites filles, leur offre une vision biaisée de la féminité. Tout le merchandising qui l’entoure en atteste : des journaux intimes rose bonbon, aux vêtements à strass et froufrous, en passant par les trousses de maquillage en forme de cœur, Violetta renforce tous les stéréotypes de genre. Mais si ses tenues de scènes sont des robes de princesse en version très raccourcie, la jeune fille reste un modèle de conservatisme. « Amour, musique, passion. Voilà qui je suis ! » clame fièrement la jeune héroïne. Les jeunes fans, qui s’identifient aux problèmes rencontrés par Violetta, voient en elle une grande sœur qui leur ouvre les portes de la vie d’adulte, par le biais des parents qui vivent également des aventures rocambolesques. Toute la machine commerciale qui l’entoure travaille à brouiller les barrières entre réalité et fiction. Ainsi, on suit l’ascension de l’héroïne vers la célébrité, en parallèle de l’actrice qui devient une icône pour les petites filles. Ces dernières peuvent assister en live aux performances hyper rodées de leurs idoles en concert. Comme Hannah Montana avant elle, Violetta joue sur leur fascination pour la célébrité et les histoires sentimentales. Terminée depuis 2015, elle a tout de même connu une suite au cinéma dans le film, sorti un an plus tard, TINI, la nouvelle vie de Violetta. Et pour les générations qui suivent, la relève est déjà assurée avec Soy Luna, toujours sur Disney Channel et aussi en provenance d’Argentine, qui vient d’achever sa saison 1.

Delphine Rivet — Illustration de Achraf Amiri pour Episode/ARTE

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