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Êtes-vous plutôt victime, sauveur ou bourreau ?

Déjouez les jeux psychologiques qui s’inscrivent de façon naturelle dans nos interactions grâce au triangle de Karpman et l’approche systémique

Kamélia Sassi
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8 min readNov 10, 2018

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Saviez-vous que le fondement de nos interactions est principalement basé sur des jeux psychologiques que nous pratiquons tous, et ce de manière plus ou moins inconsciente ? L’un de ces jeux est comparable à des scènes de théâtre, où inlassablement les mêmes actes se jouent, et nous contraignent parfois, à endosser des rôles malgré nous.

Le psychiatre Stephen Karpman a analysé les jeux psychologiques auxquels se livre l’être humain de manière quasi instinctive. Son analyse transactionnelle, menée sur les dysfonctionnements qui se trouvent au cœur des modes de communications dans nos sociétés actuelles, a donné naissance à un modèle social d’interactions de l’individu connu sous le nom de : Triangle dramatique.

Le triangle infernal

Le triangle de Karpman est une représentation exprimant les différents rôles que nous occupons TOUS, de manière plus ou moins inconsciente. Ces rôles que nous endossons vont susciter chez notre interlocuteur, le fait d’endosser à son tour le rôle complémentaire au nôtre. Ce modèle d’interaction social recense 3 rôles :

  • La victime : la victime ne souhaite pas prendre la responsabilité de ce qui lui arrive, défaitiste, fataliste, ne fait pas d’effort pour reprendre le dessus sur les évènements… La victime se plaint, s’apitoie sur son sort… Ces traits de personnalité vont attirer inéluctablement les 2 autres profils complémentaires, le bourreau et le sauveur. Car effectivement, toute victime a besoin d’un sauveur, mais avant tout, pour avoir le statut de victime, il faut un bourreau. Si la victime ne trouve pas de « vrai » bourreau, elle l’inventera (addiction, maladie, institution…), car il est primordial de continuer de se sentir légitime dans son rôle de victime.
  • Le sauveur : le sauveur vient immédiatement au secours des victimes qui sont, dès lors, sous son contrôle et dépendantes de lui. Son rôle lui apporte estime et confiance. Il conforte la victime dans son rôle en accentuant son incapacité afin d’induire que, sans lui, elle serait perdue et ainsi, il assoit un contrôle total sur cette dernière. Il a donc tout avantage à ce que la victime le reste, sinon il perdrait sa raison d’exister.
  • Le persécuteur lui, libère ses pulsions agressives sur une personne disposée à les accueillir et s’en accommoder, la victime. Il est à la fois exaspéré par la victime, mais également en quête de celle-ci, car nécessaire à son équilibre. Mais le persécuteur est avant tout une personne qui a besoin de s’en prendre à une tierce personne pour soulager son agressivité, qui se manifeste de manière permanente ou non. Il arrive que le persécuteur soit une ancienne victime lui-même, qui prend sa revanche, voire un sauveur qui n’a pas trouvé de victime à sauver et n’a donc pu se réaliser dans ce rôle.
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Ne nous méprenons pas, la victime de l’un peut être le bourreau de l’autre. En effet ses rôles sont interchangeables selon les situations, les environnements, les périodes de la vie, les protagonistes et même, parfois, les moments de la journée… Ces rôles s’occupent souvent de manière quasi instinctive, car nous avons tous potentiellement les trois personnages en nous.

Un exemple concret

Nous pouvons retrouver ses situations dans un contexte privé ou professionnel.

Un exemple flagrant se trouve dans la relation parent/enfant. L’enfant est une victime naturelle, qui ne sait intrinsèquement pas prendre ses responsabilités et réagit avec ses émotions. Le parent, aussi bienveillant qu’il puisse être pourra instinctivement endosser le rôle de persécuteur en étant par exemple trop exigeant, répressif, intolérant… Ou le rôle de sauveur en étant passif, confortant et encourageant l’incapacité de l’enfant pour lui être agréable… Il se peut que l’enfant soit le persécuteur malgré lui en imposant ses colères sur un parent dépassé, qui sera alors victime. Il existe même des configurations où l’un des parents est bourreau et l’autre sauveur. L’ensemble de ces contextes est délétère pour le développement intellectuel, cognitif et émotionnel de l’enfant.

La minute sociologique : l’approche systémique

Il n’est pas toujours aisé de se sortir du prisme du triangle dramatique, surtout si son ancrage est ancien, car il est le fruit du conditionnement cérébral profond. Nous comprenons à présent qu’il suffit qu’une personne endosse l’un des trois rôles, pour nous pousser, malgré nous, à camper un rôle complémentaire, et donc à entrer dans l’écosystème de notre interlocuteur. Le réel obstacle à l’évolution de ces situations réside dans le fait que des personnes ont bâti leur système d’interaction sur un rôle qu’ils habitent désormais de manière naturelle. Ipso facto, le fait d’en sortir est une remise en cause entière de leur mode de vie, qu’ils ne sont pas prêts à assumer.

On peut définir un système comme un ensemble d’éléments en interaction organisés en fonction d’un but commun. Le triangle de Karpman est une illustration concrète de cette approche. Si nous l’étudions sous un angle systémique, les éléments qui composent le système sont ses principaux protagonistes. Ils sont nécessaires à son existence. Ainsi, nous comprenons que tous les éléments du système (sauveur, victime, persécuteur) luttent pour maintenir le système quoiqu’il arrive, car il légitime les différents comportements.

L’approche systémique repose sur 3 principes :

Le principe de totalité : un système est un tout indénombrable. En d’autres termes ce sont tous les éléments qui composent le système qui justifie son existence, on ne peut pas les décomposer. Tous les éléments du système sont nécessaires à sa pérennité, bourreau, victime et sauveur luttent, inconsciemment pour perdurer « ensemble ».

Le principe d’homéostasie : un système cherche toujours à retrouver son équilibre antérieur lorsqu’il est modifié. Ce principe nous aide à comprendre la résistance au changement naturelle que nous exerçons tous plus ou moins. En effet, le système tel qu’il est construit devient la norme et en sortir met l’individu en état d’alerte tel, qu’il fera tout pour le maintenir, autrement dit la victime sera toujours en quête de son bourreau.

Le principe d’équifinalité : Ce principe nous explique que le système tend à atteindre son but, quels que soient les chemins empruntés. Pas de variation d’objectif, mais une variation des moyens est envisageable pour atteindre l’objectif, la finalité. Dans le triangle de Karpman, seront remis en cause les protagonistes qui seront remplacés au besoin, mais pas le système lui-même.

Cette approche, dans sa globalité, nous aide à comprendre la propension à la résistance au changement de l’individu. Elle décline également, d’un point de vue psychologique, la nature intrinsèque de l’individu pour qui les cadres d’un système sont structurants et rassurants, que le système soit sain ou non.

Comment sortir du triangle infernal ?

La première étape consiste à connaitre l’existence de ces jeux psychologiques et de prendre conscience que l’on se trouve dans l’un des trois rôles. IL faut donc analyser scrupuleusement ces relations, comprendre les jeux de rôle qui se mettent en place en notre présence pour ainsi comprendre comment se structurent nos interactions.

Comment déceler les différents acteurs du système ? Les victimes prononcent souvent les mêmes discours, quelle que soit la situation à laquelle elles sont confrontées, des phrases types : « ça n’arrive qu’à moi, de toute manière je n’ai jamais de chance, malgré mes efforts vous n’êtes jamais content… » De fait il est assez facile de les repérer. Les bourreaux quant à eux, sont dans la répression, la critique, l’insatisfaction et prononce souvent des phrases de type “ Tu fais toujours les mêmes erreurs, tu n’es jamais à la hauteur, tu ne fais décidément rien de bien, qu’est-ce que je vais faire de toi… » Enfin le sauveur lui a besoin de démontrer qu’il fait des efforts pour sa victime au détriment de sa vie parfois “je vais t’aider malgré la montagne de chose que j’ai à faire, je n’ai pas le temps, mais je vais quand même venir te chercher, effectivement tu ne peux pas réaliser cela seul je vais t’aider, telle personne s’en prend à toi injustement ou profite de toi… » Cette liste, non exhaustive, donne le ton des discours de chacun. Ce n’est pas toujours évident d’admettre que l’on est une victime ou un persécuteur. Le sauveur lui, cependant, se reconnait plus facilement.

Une fois la situation dysfonctionnelle identifiée, la seconde étape consiste à comprendre qu’une restructuration totale de la relation est nécessaire. C’est donc un grand chamboulement qui risque de se produire. Cette étape est souvent un frein à la prise de décision et au passage à l’action.

Voici quelques clés pour sortir de ce cercle infernal :

  • La victime doit rechercher l’indépendance, elle doit admettre et comprendre qu’elle est capable de reprendre en main sa vie et surtout elle doit prendre ses responsabilités et arrêter de chercher des causes tierces à ce qui lui arrive
  • Un sauveur doit apprendre également à exister par lui-même et arrêter de baser son utilité et son estime de soi sur le fait de venir en aide à autrui. Il doit accompagner « ses » victimes vers l’autonomie, et ne plus faire les choses à leur place afin de plus avoir l’ascendant sur elles et ainsi, les remettre en capacité.
  • Le bourreau quant à lui, doit sortir de la critique destructive, qui ne reflète souvent que ce qu’il pense de lui-même. Sinon, il doit trouver un autre défouloir dans le but de ne plus céder à la facilité de se décharger sur une personne plus faible. Ainsi la première étape sera de passer sur des critiques constructives qui seront inscrites dans un désir de faire évoluer la victime et non de la rabaisser ou dominer. Par la suite, il faudra instaurer des dialogues plus bienveillants qui s’inscrivent dans un désir de progression, pour lui et son entourage.

Quand les jeux inconscients deviennent conscients

Il existe en outre, des situations ou l’un ou la totalité des protagonistes sont parfaitement conscients de ce jeu psychologique et souhaite le faire perdurer de manière totalement délibérée afin d’en tirer un avantage certain.

Dans ces cas, la meilleure stratégie pour se sortir de cette relation toxique est de mettre en place la stratégie du miroir. Cette stratégie consiste à imiter son interlocuteur afin de plus tomber dans le piège du rôle complémentaire.

Vous êtes face à une victime ? Victimisez-vous davantage, vous êtes face à un sauveur ? Faites preuve de compassion pour donner l’illusion de le sauver à son tour, un bourreau dans les parages ? Critiquez et fustigez-le de manière égale à ce que vous subissez, cela devrait calmer ses pulsions.

Que faut-il retenir ?

Nous sommes tous confrontés à un moment où un autre de nos vies, à des relations malsaines, néfastes, pénalisantes ; que nos interlocuteurs soient bienveillants ou non. La prise de conscience de se trouver dans une telle situation est en soi un pas en avant pour faire évoluer la situation et reprendre le contrôle. Sortir du triangle dramatique et déjouer ces jeux de rôles, qui sont délétères, ne sera pas toujours facile, mais nécessaire pour assainir vos échanges, vos relations et par contagion vos réflexions et votre énergie.

L’idée est de reprendre le contrôle de notre image et se poser les bonnes questions, quels sont les bénéfices de cette relation ? Est-elle saine ? Comment puis-je modifier mon positionnement ? Pour parvenir à un résultat optimal, il faudra passer par la case neutralité et le détachement émotionnel. De nombreuses études prouvent l’impact de nos interactions quotidiennes et de notre entourage sur nos mécanismes de pensée, notre enthousiasme et la qualité de nos vies d’une manière plus générale. Sortir du schéma présenté est une nécessité pour notre santé mentale.

Vous êtes prêt ? Feu… Déjouez !!

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Kamélia Sassi
Essentiel

Fondatrice du blog www.lecerveauenebullition.com je m’intéresse à l’immense potentiel du cerveau #sciencescognitives #neuroergonomie #cerveau #potentiel