(photo : NeONBRAND pour Unsplash)

Bienveillance, que de crimes on commet en ton nom !

Anne-Paule DUBOULET
Essentiel

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Oui, bon, d’accord, ce n’est pas tout à fait la citation exacte… Lamartine parlait de la liberté, au nom de laquelle nombre de crimes ont été commis.

Je me fais quand même régulièrement la réflexion que, au nom de la bienveillance, nombre de parents vivent plus ou moins bien les injonctions qui leur sont faites dans les magazines, réunions de parents, formations à la parentalité,… voire finissent par être un peu (voire complètement) perdus. On prend un temps pour en parler ?

Déjà, de quoi s’agit-il ?

La bienveillance consiste à se montrer attentionné et gentil envers quelqu’un, sans attendre quelque chose en retour. On « veut son bien » en quelque sorte, étymologiquement le mot vient de là.

Depuis quelque temps, je trouve que la bienveillance est mise à toutes les sauces, jusqu’à en devenir indigeste. Sur Amazon, le mot-clef « bienveillance » sort plus de 3 000 (!) références parmi les livres et j’ai même vu passer récemment une offre d’emploi qui demandait de la bienveillance dans les savoir-être (remarquez, ça change des sempiternels « rigueur » et « dynamisme », comme si quelqu’un voulait d’un collègue mou du genou et qui se trompe tout le temps).

Restons dans le cadre de l’éducation. Se montrer bienveillant avec son enfant, et plus généralement avec les membres de sa famille, est un comportement essentiel, et je ne crois pas avoir jamais entendu quelqu’un professer le contraire. Nous nous devons d’accueillir ce que font et disent nos enfants en cherchant à faire leur bien.

Avoir des paroles bienveillantes, c’est féliciter après la réalisation de quelque chose, rassurer sur la capacité à bien faire avant un examen, encourager quand l’envie de faire quelque chose n’est pas là.

Avoir des actes bienveillants, c’est préparer un bon pique-nique avant une sortie scolaire, passer une demi-heure à expliquer une règle de grammaire vraiment tordue, confier la réalisation de quelque chose de compliqué puis relever ce qui a été bien fait si le résultat n’est pas à la hauteur des espérances.

Au final, c’est dire ou faire quelque chose qui montre à notre enfant qu’il a de la valeur pour nous, qu’on l’écoute et tient compte de ses besoins. « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », dit-on, et se montrer bienveillant est une preuve d’amour.

Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, et nombre de parents finissent par oublier de pratiquer la bienveillance envers… eux-mêmes !

Je me souviens ainsi d’une scène de la vie quotidienne qui m’a beaucoup marquée. Attablés à la terrasse d’un restaurant, mon mari et moi étions à côté d’un jeune couple avec une petite fille de 3 ans environ.

La petite était très remuante, et les parents n’ont pas pu profiter de leur déjeuner : la maman et le papa se relayaient pour l’emmener se promener sur la terrasse pendant que l’autre parent mangeait une bouchée de sa pizza, puis repartait l’emmener voir les jets d’eau, le petit chien d’une dame attablée plus loin, la vitrine d’un magasin,…

Ils n’ont pas pu s’asseoir ensemble un instant, si bien qu’au bout d’un moment, alors que la petite fille voulait absolument monter sur un banc et commençait à crier pendant que sa mère lui expliquait que le banc était haut et que c’était dangereux, sa maman, à bout, lui a mis une gifle.

Depuis près d’une heure que les parents allaient, venaient, se levaient, se rasseyaient, avalaient au vol une bouchée de leur plat… les pauvres étaient à bout, et ont fini par craquer et frapper la petite fille.

Évidemment, celle-ci s’est mise à hurler, les parents l’ont embrassée et cajolée, avant de recommencer à l’emmener voir les jets d’eau, les fleurs dans les bacs à fleurs, … sans pouvoir profiter de leur dessert.

Comprenons-nous bien : il n’est pas question ici de jeter la pierre ou de juger de jeunes parents qui essaient sincèrement de passer un bon moment en famille avec leur enfant. Essayons plutôt de comprendre ce qui s’est passé.

Voulant profiter de cette sortie avec leur petite fille, et ayant probablement en tête cette notion de bienveillance à son égard, ils se sont oubliés eux-mêmes. Ils n’ont pas pensé que la bienveillance était valable aussi pour eux !

C’était un samedi ou un dimanche midi, il faisait beau, la terrasse agréablement ombragée et les pizzas délicieuses. Une alternative aurait consisté à expliquer à la petite que, une fois servis, papa et maman allaient manger, et qu’après ils l’emmèneraient se promener sur la terrasse. Mais que pendant qu’eux mangeaient, elle allait rester auprès d’eux et s’occuper avec les quelques jouets qu’ils avaient apportés (ce qui était le cas).

Peut-être que cela ne lui aurait pas plu, peut-être qu’elle aurait protesté, mais dans ce cas-là il aurait possible de se montrer bienveillant mais ferme : oui, elle veut aller voir la vitrine de l’opticien avec les lumières qui clignotent, et on va y aller, mais elle va attendre un peu parce que les pizzas sont meilleures quand elles sont chaudes, et que papa et maman sont contents de discuter tous les deux.

Pour peu qu’on prenne le temps d’expliquer les choses, les enfants peuvent supporter une (petite) contrariété. Et cela fait partie de l’éducation que d’apprendre à gérer une frustration : on ne peut pas avoir tout ce qu’on veut, tout de suite.

S’accorder de la bienveillance pour soi en tant que parent est indispensable. Si élever des enfants demande du temps, de l’investissement, des efforts,… cela ne doit pas devenir un calvaire et une source d’épuisement. Je me souviens que la maman du restaurant, après avoir giflé la petite, avait l’air malheureux elle aussi, et regrettait très probablement son geste. Mais quel parent peut affirmer être toujours resté zen, maître de lui ? Certainement pas moi, en tout cas !

On peut être bienveillant et dire « non », ou « pas maintenant ». On peut être bienveillant et punir son enfant parce qu’il a eu un comportement inacceptable au vu des valeurs importantes dans la famille.

La bienveillance, ce n’est pas du laxisme, ce n’est pas laisser ses enfants dire et faire ce qu’ils veulent sous le prétexte qu’il faut être gentil avec eux. En faire des adultes respectueux des autres, qui se montreront à leur tour bienveillants envers leurs proches, implique de poser des limites et de les faire respecter. Être « un parent acceptable », pour reprendre l’expression de Bruno Bettelheim, implique de prendre conscience que la bienveillance, comme la charité bien ordonnée, commence par soi-même.

Et vous, que vous inspire cette notion de bienveillance ? Vous êtes-vous aussi déjà demandé comment la concilier avec la fermeté ou la notion de limite ?

Prenez soin de vous !

Anne-Paule de www.coachetplus.fr

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