Californie : La Culture De l’Individualisme, De La Technologie Et Du Travail

Mathilde Guimard
Essentiel
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9 min readFeb 26, 2022

Le cadre culturel et sociétal dans lequel évoluent les startups contribuent à leur succès. Mais au-delà de bonnes pratiques des entrepreneurs, les startups font partie d’écosystèmes sociaux qui, du fait de la culture, l’histoire et la mentalité des personnes qui le constituent, favorisent — ou non — l’émergence de licornes !

Randall Fahey, entrepreneur de la Silicon Valley, considère que la culture est, à l’échelle mondiale, la dernière chose à disrupter pour faire de l’entrepreneuriat un écosystème global. La culture californienne devrait-elle être la référence en matière de technologie ? C’est la question que je me suis posée pour rédiger cet article.

Après plusieurs mois d’immersion à San Francisco et Los Angeles, je pense aujourd’hui qu’une startup basée en Californie aura sensiblement plus de chances de prospérer. Et ce, en raison de 3 facteurs structurels que j’ai pu observer sur la base de mes 65+ interviews menées et de mon expérience personnelle:

  • L’individualisme est le pilier de la société californienne.
  • La technologie est une source d’enthousiasme majeure.
  • Le travail est au cœur du lifestyle californien.

1/L’individualisme : le pilier de la société californienne

Lorsque j’ai rencontré Carlos Diaz, qui a créé plusieurs startups en France et dans la Silicon Valley, il m’a dit : “aux États-Unis, la valeur la plus importante, c’est la liberté. En France, c’est la liberté ET l’égalité”. Cette différence est importante dans la manière dont la société et l’économie sont structurées : elle conduit à plus de débats en France, à plus de licornes aux États-Unis ! 🤪

Ce qui émerge du principe fondamental de liberté, c’est l’individualisme. Cela signifie faire « ce que l’on veut » mais aussi être pleinement responsable de soi-même. Ce n’est qu’en comptant sur soi-même que l’on peut aller plus haut. Ainsi, l’agrégation de ces individus motivés par l’indépendance bâtit un système qui pousse à l’entreprenariat. Un système qui incite les gens à prendre des risques et qui conduit donc à l’innovation. L’application de ce principe dans l’économie, c’est le libéralisme — ce que l’on connait tous des États-Unis.

Pour les Américains, le libéralisme récompense l’entreprenariat quand le système européen le fait dans une moindre mesure:

  • La vision d’Andrew Van Valer, CEO chez Esaiyo Inc., est la suivante :”Vous n’êtes pas récompensé si vous êtes un bon entrepreneur en Europe, mais vous l’êtes si vous êtes un bon employé. L’objectif du travail est principalement d’obtenir un poste pour assurer ses arrières.”
Andrew Van Valer, COO at at Esaiyo Inc. (Santa Cruz)
  • Celle de Patrick Consorti, Executive in Residence dans plusieurs entreprises de San Francisco : “En Europe, si vous gagnez, vous devez redistribuer vos gains aux perdants. Ici, quand on gagne, on fait ce qu’on veut de notre argent. » Ainsi, ce que tu n’as pas, tu le construis par toi-même… en lançant une startup !
Patrick Consorti, Executive in Residence in 3 companies (SF)

Au contraire, on considère ici que l’un des principes fondamentaux en Europe est la responsabilité individuelle du bien commun. La notion d’”État-nation” en France participe au sentiment qui fait que s’occuper du peuple dans son ensemble est une priorité, ce qui existe moins aux États-Unis. Cela expliquerait en partie pourquoi notre économie est davantage contrôlée et régulée par les autorités publiques.

Pour que le système libéral américain fonctionne, la concurrence est règle d’or… ainsi que le fait de vivre dans l’instant présent, comme le font les Californiens. Se concentrer sur le court terme est opportun pour les startups pour 2 raisons:

  • Premièrement, parce que “si vous ne le faites pas, votre concurrent le fera”. La nécessité d’agir rapidement conduit à des relations commerciales qui ne sont ni personnalisées ni exclusives. Pour Angelika Blendstrup, mentor chez Inovexus, les gens aux États-Unis sont « task-oriented » : les relations durent jusqu’à ce que la tâche soit accomplie. Une fois l’objectif atteint, la relation se termine. Faire durer les choses dans le temps et faire des plans sur le long-terme n’est pas la règle commune, ce qui favorise la flexibilité des startups.
  • Deuxièmement, ce que j’appellerais la “pay culture” est favorable pour les startups. Les californiens sont prêts à payer. En Europe, l’argent est davantage sacralisé et parfois utilisé comme une réserve pour l’avenir. Ici, c’est un moyen d’obtenir ce que vous voulez tout de suite. Les grandes entreprises vous donneront facilement un gros budget (x10 par rapport à l’Europe) pour développer de nouveaux produits. D’autre part, le prix n’est pas le problème majeur. Les startups peuvent donc fixer des prix plus élevés. C’est le “Charge for it. Charge for everything” comme je l’ai une fois entendu !

L’individualisme, en poussant les gens à aller de l’avant et ce, rapidement, est propice à l’émergence de licornes. Mais quand il s’agit de décacornes, la technologie a un rôle à jouer !

2/ La technologie : une source d’enthousiasme pour les californiens

Les Californiens, en recherchant davantage l’indépendance que la sécurité, ont une attitude particulière vis-à-vis des nouvelles technologies : elles provoquent un grand enthousiasme quant au futur, voire une excitation.

A San Francisco, la question des voitures autonomes a été un sujet récurrent dans beaucoup de mes conversations. En France, sa démocratisation me laissait perplexe, par méfiance des dérives potentielles de cette nouvelle technologie. À San Francisco, les discussions sont enflammées à ce propos et les gens sont excités par la révolution qui pourrait avoir lieu en matière de transport, tant au niveau personnel qu’en entreprise. Les San-Franciscains ont davantage confiance dans la « data », dans ce que « les ordinateurs disent », que moi. Un de leurs arguments principaux, c’est que les humains causent plus d’accidents que les algorithmes. Convaincant, après tout !

Plus généralement, les Californiens sont excités à l’idée de changement. Il y a deux explications principales:

  • La première est historique : l’Europe est fondée sur des siècles de construction, de lois établies, de luttes menées que nous sommes réticents à détruire aujourd’hui. L’histoire américaine, plus récente, est plus encline à vouloir repartir de zéro pour tout refaire, quel que soit le temps investi, comme me l’a partagé Sophie Durey, Venture Program Manager dans un Family Office à San Francisco. Dans le business, il est donc plus facile de saisir de nouvelles opportunités.
Sophie Durey, Venture Program Manager at Tamar Capital (SF)
  • La seconde raison concerne l’éducation : les étudiants californiens sont fortement exposés à la technologie. C’est l’explication que m’a donnée Jeremy High, CEO d’une startup. Stanford, située au cœur de la Silicon Valley, et Berkeley proposent de nombreux programmes axés sur l’innovation. Ces universités et les entreprises technologiques collaborent : Ruby Peven, une de mes amies à San Francisco, intervient régulièrement auprès de son ancienne classe pour corriger les projets des étudiants, et ce, directement depuis Intuit, la licorne américaine dans laquelle elle travaille. Les savoirs se transmettent immédiatement, du niveau senior au niveau junior. Ici, la créativité dans le système éducatif français est considérée comme moindre.
Jeremy High, CEO at Fresh Portal (Pacific Grove)

Cette attitude favorable à l’égard du changement nous mène à 2 conséquences favorables pour les startups :

  1. D’abord, un processus de décision plus rapide. En regardant vers l’avenir, les Californiens ne se demandent pas “et si ?” lorsqu’il s’agit de prendre une décision. L’Europe serait plus axée sur la perfection en s’assurant que la solution fonctionnera parfaitement avant de la concrétiser, ce qui prend du temps !
  2. La seconde conséquence est l’adoption démocratisée et précoce de la technologie. En Californie, les gens de tous âges et de toutes classes sociales utilisent la technologie 24/24 via les applications et la connectivité. Les rues de San Francisco prouvent bien que la technologie est au cœur de leur vie quotidienne : elles sont remplies de publicités B2B SaaS. Le message est clair : le jargon des startups est familier de tous ! Dans le métro parisien, la publicité est plus diversifiée : elle n’est ni entièrement axée sur la technologie, ni exclusivement orientée B2B.
B2B PM Software ads in SF streets

Bien sûr, cet environnement est spécifique à San Francisco. La ville est considérée comme un petit village interconnecté où tout le monde se connait, en plus d’être « High-Tech ». Andrew Van Valer, m’a d’ailleurs parlé d’un mythe dans la Bay Area qui dit qu’”un serveur peut facilement devenir richissime à San Francisco rien qu’en écoutant les conversations à table car il saurait, en avance, dans quels secteurs investir”.

Ainsi, l’environnement technologique contribue à l’émergence de startups. Il fait aussi gagner du temps aux gens… pour travailler !

3/Travailler : le lifestyle californien

En demandant une fois à une startuppeuse pourquoi les startups californiennes étaient connues pour être successful, j’ai obtenu comme réponse : “Nous travaillons beaucoup”. Cela impliquait probablement que nous, Européens, travaillions moins… ce qui m’a contrariée ! J’ai donc enquêté : ici, travailler fait partie à 100% du lifestyle californien et occupe leur esprit 24 heures sur 24.

  • Tout d’abord, il y a une différence dans la pratique : les californiens travaillent de 7h30 à 17h, sans pause. Ils déjeunent sur leur bureau. Pas de café « bavardage ». Et quand ils ont terminé, certains startuppers commencent à travailler sur leur « side projects », des projets personnels ou secondaires.
  • Ensuite, il y a une différence dans l’organisation de leur journée, qui est basée sur le travail. Les applications, familières à tous, sont utilisées pour toutes les tâches quotidiennes considérées comme faisant perdre du temps. Ainsi, utiliser les vélos Lyft ou Uber est le moyen le plus efficace pour se déplacer, même chose avec les applications de livraison pour le déjeuner, Amazon Delivery pour faire ses courses et Meetup pour sortir. L’utilisation massive des technologies fait gagner beaucoup de temps aux Californiens. Ce mode de vie se développe au-delà des frontières, étant donné qu’une grande partie des entreprises B2C qui réussissent aujourd’hui sont celles qui font gagner du temps aux gens.
  • Enfin, « prendre le temps » semblerait ne pas être quelque chose de commun ! Andrew Van Valer considère que: “Profiter de la vie, c’est un truc européen !” Cela ne signifie pas que le mode de vie américain est ennuyant, mais que prendre le temps de déjeuner, de diner, aller dans les bars après le travail avec des amis jusqu’à minuit n’est pas dans la culture (à Los Angeles, il est difficile de trouver un bar ouvert après 21 heures). Comme je l’ai entendu à plusieurs reprises, s’ils ont 10 jours de vacances par an, ils en prennent 6 !

Ce qui importe ici, c’est de changer le monde et de laisser son empreinte. D’après Boris Frochen, co-fondateur de Ramp-Up Lab, il s’agit de sacrifier beaucoup aujourd’hui pour construire un avenir meilleur : comme l’ont fait les États-Unis pendant 100 ans entre le 19e et le 20e siècle pour construire leur empire.

Et voilà comment j’en arrive à évoquer le rêve américain ! Avant de venir ici, l’idée selon laquelle aller aux Etats-Unis était un facteur suffisant pour gagner beaucoup d’argent me semblait utopique. En fait, ma compréhension du fameux rêve américain était mauvaise. Une de mes amies à Los Angeles, née dans une famille de la classe moyenne à Boston, a grandi en étant convaincue que, si elle travaillait, tout irait bien. Elle n’a jamais été pessimiste quant à son avenir. C’est une idée partagée par la majorité ici : si vous travaillez dur, vous réussirez.

Le rêve américain entraîne un fort désir d’émancipation. Pour cela, la productivité est un principe fondamental. Selon Mélanie Girod, Finance Consultant dans plusieurs startups à San Francisco, la productivité est quasiment une règle sociale en Californie. Il faut être actif, essayer. « Faire des choses » est très valorisé. Il ne s’agit pas nécessairement de gagner de l’argent : mon hôte à Venise avait 65 ans et créait des combinaisons de surf. Mes amis à San Francisco étaient passionnés de dessin ou de photographie et y consacraient la majorité de leur temps libre. Ce n’était pas un passe-temps occasionnel.

La Californie : terre de l’entrepreneuriat !

Plus je passe de temps ici, à m’acculturer, plus je comprends pourquoi les startups californiennes sont réputées pour leur réussite et sont des exemples pour beaucoup d’entrepreneurs. Il y a des facteurs culturels en Californie qui poussent à l’entrepreneuriat, ce qui rend presque naturel l’émergence de startups ! La société dans son ensemble soutient cet écosystème technologique, ce qui, pour certains ici, n’est pas encore le cas en Europe.

Si la culture est la dernière chose à bouleverser pour faire de l’entrepreneuriat un écosystème global, c’est une bonne chose pour Inovexus : notre essence même est la culture californienne. Notre objectif est précisément d’insuffler cet état d’esprit, bien connu de Philippe Roche, le fondateur d’Inovexus, aux entrepreneurs européens. Pour ce faire, nous pouvons compter sur nos mentors qui ont tous vécu en Californie pendant une vingtaine d’années. C’est notre ADN cross-border !

A très vite,

Mathilde

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Mathilde Guimard
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5 months backpacking in California to meet entrepreneurs for @Inovexus. My objective? Learning US best practices in the technology and startup ecosystem