Charlie Munger : Érudition et simplicité
Certains hommes ont suffisamment conscience de leur valeur pour ne pas éprouver le besoin d’occuper le devant de la scène.
C’est le cas de Charlie Munger.
Associé principal du multimilliardaire Warren Buffet, il s’occupe aux côtés de celui-ci de faire fructifier l’argent des milliers d’investisseurs du fonds Berkshire Hathaway, l’un des plus grands du monde.
Le moins que l’on puisse dire c’est que ces deux personnages font figure d’originaux au sein de la communauté des investisseurs. Ils refusent de s’aventurer dans le secteur des hautes technologies, méprisent ouvertement la plupart des fonds d’investissement et la façon dont ils sont gérés, passent le plus clair de leur temps à lire plutôt qu’à gérer les entreprises dont ils ont le contrôle…
Deux hommes discrets qui ne doivent leurs performances records, d’après eux, qu’à leur bon sens, leur curiosité et leur tempérament.
Avant de devenir investisseur, Charlie a étudié le droit… et la météorologie. Il est également un joueur accompli de poker et de bridge. Il déclare régulièrement passer 5 heures par jour à lire et Bill Gates avoue avoir eu des conversations fascinantes avec lui sur des sujets aussi obscurs que les habitudes de nidification des rats musqués.
Charlie est un homme cultivé, un érudit. Mais c’est aussi un homme simple.
Warren Buffet et lui sont connus pour leurs habitudes frugales. Loin des idées préconçues que l’on se fait souvent des milliardaires isolés dans leurs penthouses à Manhattan ou sur leurs yachts aux Caraïbes, Warren et Charlie passent le plus clair de leur temps à Omaha dans le Nebraska où ils ont leurs bureaux depuis plusieurs décennies maintenant.
Je viens de terminer la lecture d’un livre intitulé « Charlie Munger : l’investisseur avisé » (je vous conseille d’ailleurs la version originale du livre et non la version traduite) qui reprend des extraits des multiples interventions de Munger afin d’essayer d’essayer d’apporter un éclairage sur sa philosophie d’investissement.
J’ai été agréablement surpris de voir que l’auteur avait fait le choix de se concentrer sur les principes guidant les décisions de Munger plutôt que sur d’obscures considérations purement financières.
Au cours de la lecture de ce livre, j’ai été particulièrement marqué par deux éléments.
1 — L’ÉLOGE DE LA SIMPLICITÉ.
« Nous avons pour passion de garder les choses simples » — Charlie Munger
Lorsque l’on gère des milliards de dollars d’actifs, vouloir faire en sorte que les choses soient les plus simples possible ne paraît pas une mauvaise idée.
La complexité est bien souvent la source d’erreurs qui auraient pu être évitées.
Étant donné que Munger co-dirige l’un des fonds d’investissement les plus prisés du monde, on peut aisément imaginer que le nombre de propositions qu’il reçoit chaque jour doit être très élevé.
Il lui faut donc un système pour jauger, classer et déterminer rapidement quelles sont les opportunités les plus intéressantes.
Il s’avère que ce système est d’une simplicité « enfantine ».
« Nous avons trois corbeilles : on garde, on écarte et trop difficile… Soit nous avons un éclairage privilégié sur un sujet, soit nous l’écartons dans la corbeille “trop difficile” ». — Charlie Munger, rapport annuel de Wesco en 2002
Le processus décisionnel de Munger et Buffet est le fruit de nombreuses années d’expérience destinées à accomplir une seule chose : réduire la marge d’erreur autant que possible.
La stratégie des deux investisseurs est simple : ne pas investir lorsque l’on ne maîtrise pas un sujet donné, investir gros lorsque tous les indicateurs sont réunis.
Cela suppose d’être à l’aise avec le fait de parfois rester inactif sur un marché qui est bien souvent fébrile pour ne pas dire frénétique.
« Il est remarquable de voir combien de gains à long terme des gens comme nous ont accumulé en évitant en permanence de prendre des décisions stupides et non en essayant d’être très intelligents. »
– Charlie Munger, rapport annuel de Wesco, 1989
Ce qui pourrait passer pour de l’humilité est en fait l’expression d’une qualité rare, mais centrale dans le succès qu’ont connu Munger et Buffet : leur capacité à connaître précisément leurs cercles de compétences respectifs… et tout faire pour ne pas en sortir.
« La plupart des gens qui s’essaient à l’investissement ne s’en tirent pas bien. Mais le problème c’est que bien que 90 % d’entre eux n’aient aucun talent particulier, tout le monde regarde autour de soi et se dit : “Je fais partie des 10 % restants.” — Charlie Munger, assemblée générale de Wesco, 2004.
Savoir ce que l’on sait, avoir une méthodologie claire, des critères simples et s’y tenir. La recette de deux des hommes les plus riches du monde pour minimiser la marge d’erreur.
Il y a sans doute des leçons à en tirer.
2 — S’INSTRUIRE POUR COMPRENDRE LE MONDE.
“La première règle c’est que vous devez avoir de multiples modèles. Si vous n’en utilisez qu’un ou deux, la nature de la psychologie humaine est telle que vous torturerez la réalité de façon à ce qu’elle se conforme à votre modèle.” — Charlie Munger, USC Business School, 1994.
Lecteur avide à la curiosité insatiable, Munger a passé sa vie à étudier de nombreux domaines afin d’essayer d’en tirer les modèles mentaux à même de lui permettre d’avoir la vision la plus objective et exhaustive de la réalité et du monde qui l’entoure.
Faire les bons choix suppose d’avoir les bonnes informations… Mais aussi les bons outils pour les analyser.
Le livre évoqué plus haut reprend de manière assez complète, bien trop pour que je puisse le résumer ici, les principaux biais cognitifs dont nous sommes tous victimes.
Munger a tout fait pour essayer de diminuer l’emprise que ces biais pouvaient avoir sur lui au cours de son processus décisionnel. Et pour cela il a besoin des bons outils.
Dans son plaidoyer pour la quête d’une sagesse universelle, Robert Hagstrom écrit dans son livre intitulé Investing : The Last Liberal Art que “chaque discipline est entrelacée avec toutes les autres dans un processus qui rend le tout plus robuste. L’individu réfléchi retirera d’importants modèles mentaux de chaque discipline, l’idée centrale étant de les combiner pour aboutir à une compréhension cohésive.”
La lecture donc comme moyen d’acquérir ces modèles mentaux, mais aussi la mise en pratique grâce à l’exercice de “l’art de l’investissement”.
Warren Buffet résume cela avec ses propres mots de la manière suivante :
“En fait notre travail consiste à corréler de plus en plus de fait et d’informations et, de temps en temps, de voir si cela peut aboutir à une action.” — Warren Buffet
Il s’agit là d’une quête qui peut sembler sans fin au regard de la quantité d’informations disponibles, du nombre de disciplines qui s’offrent à nous. Et c’est sans doute le cas… Mais comme dirait Munger :
“Je crois en l’importance de maîtriser le meilleur de ce que les autres n’ont jamais pu trouver. Je ne crois pas qu’il suffise de s’asseoir et d’essayer de tout imaginer par soi-même. Personne n’est assez intelligent pour ça”.
–Charlie Munger, Stanford Law School, 1998
Pour ceux d’entre vous qui souhaiteraient plonger dans l’univers passionnant (et un peu étourdissant) des modèles mentaux, je ne peux que vous inviter à jeter un œil au blog de Farnam street et à cet article en particulier :
Deux idées simples, mais puissantes tirées de la philosophie d’un homme qui, avec l’aide de son partenaire, a réussi à accomplir ce qui n’avait jamais pu être fait avant. Cela force le respect.
Prenez soin de vous.
Thomas