Comment être maître de soi grâce à la conscience de soi

Emmanuel de Mûelenaere
Essentiel
Published in
11 min readJun 10, 2019

Mon précédent article décrit comment gérer ses émotions en comprenant le fonctionnement de son cerveau. Lorsque nous avons pris conscience des émotions qui demeurent en nous, et que nous sommes devenus responsables de celles-ci, c’est la maîtrise de soi qui va nous permettre d’adopter le meilleur comportement résultant de nos émotions.

Avec la maîtrise de soi, nous pouvons commander nos comportements et jugements dans toute situation émotionnelle

Nous savons que notre cerveau reptilien est capable de nous pousser à adopter des comportements automatiques par instinct. Mais il n’y a pas que par instinct que nous pouvons adopter de tels comportements. La rapidité de notre cerveau limbique (le centre de nos émotions) nous conduit également à avoir des réflexes spontanés. La théorie du réflexe conditionné proposée par Ivan Pavlov démontre que notre organisme, au travers d’un apprentissage, peut également associer certains stimuli de l’environnement avec des réactions automatiques. Or, lorsque nous agissons par instinct ou par conditionnement, c’est sans utilisation de notre cerveau cortical (le centre de la raison). C’est donc, d’une certaine manière, une influence externe qui détermine nos comportements. Ce n’est pas nous qui en prenons la décision proprement dit.

Ainsi nous répondons d’une certaine manière à toute une série de stimuli. Que ce soit par instinct ou par conditionnement, l’élève peut éprouver des frissons lorsqu’il entend la cloche sonner au terme de la dernière heure du dernier jour de la semaine. De même, les susceptibles ont le réflexe de s’offenser lorsqu’on les taquine. Et les colériques manifestent automatiquement leur mécontentement de manière brutale. Il nous arrive continuellement d’adopter sans que nous le voulions des comportements inefficaces voire néfastes lorsque nous sommes confrontés à certains événements qui génèrent en nous certaines émotions.

Comme le dit Kahneman, Prix Nobel d’économie en 2002, « nous ne pensons pas de la manière dont nous pensons penser ». Pour lui, nous croyons penser de façon réfléchie et rationnelle, mais en réalité nous ne fonctionnons la plupart du temps que par automatisme.

La maîtrise de soi, c’est l’aptitude à commander les comportements et jugements qui résultent de son instinct et de ses émotions. Lorsque nous sommes maîtres de nous-mêmes, nous ne répondons pas de manière automatique à un stimulus, mais nous faisons appel au centre de la raison de notre cerveau pour adapter nos réactions en fonction de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous utilisons notre intelligence rationnelle pour ne pas nous faire dominer par nos intelligences situationnelle et émotionnelle (cfr. article). Ceux qui ont une bonne maîtrise d’eux-mêmes sont notamment capables de retarder l’assouvissement d’une pulsion pour miser sur un assouvissement ultérieur plus grand. Ils arrivent par exemple à ne pas se vanter d’un exploit, car ils savent qu’ils tirent une plus grande satisfaction lorsque quelqu’un d’autre s’en rend compte par lui-même.

Viktor Frankl, professeur de neurologie et de psychiatrie, nous donne une bonne leçon sur l’espace qu’il peut y avoir entre un stimulus et notre réponse. Pendant sa déportation dans un camp de concentration lors de la Seconde Guerre Mondiale, Frankl utilisa la conscience et la maîtrise de soi pour définir lui-même comment la torture allait l’affecter. Il parvenait ainsi à s’imaginer en train de donner cours sur ce qu’il vivait dans les camps. Si la plupart des gens répondent au stimulus « maltraitance » par une dégradation émotionnelle et mentale, Frankl préférait trouver un sens à ses souffrances. Si la plupart des gens sont conditionnés à répondre au stimulus « emprisonnement » par la perte de dignité, Frankl préférait cultiver son petit lopin de terre qui représentait sa liberté intérieure. C’est ainsi qu’il découvrit qu’entre un stimulus et la réponse qui peut sembler la plus naturelle, l’être humain possède toujours la liberté de choisir. Dans les circonstances les plus extrêmes, il est parvenu à choisir sa propre réponse face à la fatalité.

Le processus de maîtrise de soi est composé de 3 étapes : détermination d’un comportement, évaluation de son coût énergétique et de son impact sur la situation finale, et adoption du comportement si le rapport impact/énergie est favorable

Avant toute chose, il est important de bien faire la distinction entre l’émotion d’une part, et le comportement que l’on choisit d’adopter à la suite de l’émotion d’autre part. Toute émotion possède une intention positive, celle de nous fournir l’énergie pour nous mettre en action suite à un événement. Il faut donc accepter et accueillir avec gratitude les émotions qui nous habitent. En revanche, les comportements que l’on adopte peuvent être inefficaces (peu d’impact), inutiles (pas d’impact) ou même néfastes (impact négatif). Etant donné que l’être humain possède la capacité de choisir ses comportements dans toute situation, c’est sur ceux-ci que nous allons travailler.

Voici les 3 étapes à suivre pour avoir une meilleure maîtrise de soi. Cela commence par l’identification du comportement que nous sommes tentés d’adopter suite à la perception d’une émotion. Déterminer son comportement est fortement lié à la conscience de soi : si nous prêtons attention à nos émotions, nous sommes également conscients de nos actions.

Après avoir déterminé la réaction que vous êtes sur le point d’exprimer, pensez à deux choses avant d’agir en adoptant le comportement en question. Premièrement, estimez ce que celui-ci vous coûtera en énergie. Toute action demande de l’énergie. L’action de penser peut par exemple nous prendre énormément d’énergie lorsque nous devons sans cesse nous rappeler quelque chose d’important, ou lorsque nous nous rongeons de remords. Deuxièmement, évaluez l’impact qu’aura votre comportement sur l’issue de la situation. Avez-vous une influence sur les évènements ? Et si oui, est-ce que le comportement que vous avez choisi est réellement celui qui vous permettra d’arriver à vos fins ?

La dernière étape est la suivante. Soit vous considérez que le rapport impact/énergie est favorable et vous adoptez ce comportement, soit vous le jugez défavorable et déterminez un nouveau comportement plus adéquat.

Par exemple, je suis en train de lire dans le salon aux côtés de mon fils âgé de 10 ans, et celui-ci vient de faire tomber un vase en jouant avec un ballon. L’émotion qui m’envahit automatiquement est l’énervement, et le comportement qui me vient aussitôt est le hurlement sur mon fils. Avant toute chose, je prends une seconde pour entretenir la réflexion suivante : « Je ferai bien d’hurler un bon coup. Il a fait une bêtise, alors il mérite d’être puni. Et puis cela soulagera mon énervement. Mais après tout, quoi que je fasse, le vase ne peut être réparé. Et je ne suis pas certain que le hurlement soit tellement plus efficace qu’une conversation constructive avec mon fils. D’ailleurs, hurler me demandera beaucoup d’énergie. Cela m’empêchera de lire pendant les dix prochaines minutes, car je vais y repenser sans cesse pour justifier mon attitude ou pour m’en vouloir si ma réaction est excessive. Finalement, je vais discuter calmement avec lui et m’assurer de ce qu’il ait pris conscience de sa bêtise. »

Bien souvent, nous n’avons pas la moindre influence sur l’issue d’une situation. Nous sommes conditionnés à déverser toute notre énergie pour tenter de renverser une situation dans laquelle notre rapport impact/énergie est nul. Tout ce que nous pouvons faire dans ce cas, c’est l’empirer. Lorsque nous nous rendons compte que nous avons peu ou pas d’influence sur une situation, ce qui arrive bien plus souvent que nous le pensons, abstenons-nous de tout comportement instinctif ou conditionné.

D’un autre côté, il se peut que nous puissions avoir une influence sur les événements, mais que le comportement que nous avons choisi d’adopter n’ait aucun impact sur ceux-ci. Avant d’agir, ayons le réflexe de réfléchir pour déterminer le comportement le plus constructif. Beaucoup adoptent des comportements instinctifs qui sont inutiles, voire néfastes. Des pulsions héritées de nos origines de primates qui auraient été profitables dans la nature en cas de survie, mais qui ne le sont absolument pas dans notre société du XXIe siècle.

Voici d’autres exemples de comportements qui peuvent engendrer de grandes pertes d’énergie, soit parce que le niveau d’énergie nécessaire est trop élevé, soit parce que l’impact sur l’issue finale est trop faible. Ceux-ci sont classés par type d’émotions.

Colère — Les comportements qui résultent des émotions de type « colère » sont généralement de grands consommateurs d’énergie. Lorsqu’on rate une sortie d’autoroute par exemple, on peut avoir tendance à s’énerver. Notre énergie vient alimenter des comportements ou pensées liées à notre frustration, alors qu’elle devrait être entièrement allouée à notre concentration sur la route. Si les mauvaises expériences se multiplient lors du trajet, lorsqu’un autre véhicule vient par exemple prendre notre priorité de droite, ou lorsque nous nous faisons klaxonner sans raison, nous bouillonnons et arrivons de mauvaise humeur à notre destination. Toutes les pensées liées à notre irritation absorbent notre énergie et celle-ci n’est plus allouée à ce pour quoi nous nous sommes déplacés. En outre, les comportements entraînés par les émotions de colère sont les plus impulsifs, on les adopte généralement sans réfléchir. Or, dans de nombreux cas, notre niveau d’influence est proche de zéro. Lorsque l’on s’énerve parce qu’on a raté une sortie de route ou parce que notre priorité de droite a été violée, notre niveau d’influence et l’impact que nous pouvons avoir sur le résultat final sont nuls. Nous ne pouvons plus changer le cours des événements. Toute énergie investie dans ce type de situation est une perte sèche.

Peur — Il existe beaucoup de situations où les comportements liés aux émotions de type « peur » comme le stress n’ont aucune influence possible sur la tournure des événements. Lorsque notre enfant va passer son premier jour à l’école ou étudie ses examens, on peut avoir tendance à stresser pour lui. Notre énergie sert alors à alimenter nos pensées d’angoisse, ce qui est parfaitement inutile lorsque l’on a confié son enfant à l’instituteur, et néfaste dans le cas des examens puisque l’étudiant devra faire face au stress de deux personnes au lieu d’une seule. Ces comportements sont également très énergivores car ils s’étalent généralement sur une longue durée. Les stressés repassent leurs idées en boucle pour être sûrs de s’en rappeler, et y consacrent donc beaucoup d’énergie. Rappelons-nous que l’émotion de stress n’est pas nuisible en soi. Celle-ci joue le rôle indispensable de nous mettre en mouvement lorsque cela s’avère nécessaire. En revanche, retourner ses idées constamment et dans tous les sens est néfaste car cela pompe toute notre énergie. Un meilleur comportement consiste par exemple à structurer sa pensée et à dresser un état des lieux sur la situation pour faire la part des choses entre ce pour quoi nous devons réellement nous inquiéter et le reste. Nous pourrions également planifier notre temps de manière à savoir à quoi nous attendre et remettre à leur place les moments où nous devons nous mettre en alerte, ou inscrire quelque part ce dont nous devons nous rappeler.

Tristesse — Les comportements que l’on adopte lorsqu’on éprouve des émotions de type « tristesse » sont trop peu souvent adéquats. Quand on se sent blessé, par exemple lorsqu’un collègue a dénigré notre travail, on peut vouloir se lamenter ou au contraire se venger. Dans les deux cas, l’énergie dépensée ne soigne pas notre blessure. De meilleures réactions seraient par exemple de déclencher en nous la volonté de nous améliorer de sorte que tout nouveau dénigrement ne soit guère justifié, ou tout simplement de considérer le jugement de notre collègue comme infondé car émis sous le coup de l’émotion. Ces deux approches peuvent cicatriser notre blessure de façon à nous rendre plus forts qu’avant. Il n’y a qu’avec de tels comportements constructifs que l’émotion de « blessure » aura joué son vrai rôle. De même, les émotions de déprime ou de malheur doivent activer en nous la volonté d’améliorer notre sort, et non de se morfondre et se plaindre, qui sont des comportements énergivores et inutiles. Si nous ne ressentions pas l’émotion de dépression suite à un échec, nous ne parviendrions pas à trouver l’envie de nous perfectionner. Dans un autre registre, lorsque nous perdons un proche, la place qu’occupait celui-ci est soudainement remplacée par un vide. Notre deuil doit servir à nous reconstruire pour combler ce vide, et non à nous anéantir. Frankl a su démontrer dans les pires conditions que nous pouvons choisir notre réaction dans toute situation.

Joie — Les comportements qui résultent des émotions de type « joie » peuvent tout aussi bien être néfastes. Ainsi, lorsque nous ressentons de la fierté parce que quelqu’un nous a complimenté ou parce que nous avons réussi quelque chose, il convient soit de le garder pour nous comme récompense intérieure qui serait source de motivation pour plus tard, soit de le partager avec des personnes empathiques qui seraient réceptives à notre bonheur. Mais n’en faisons pas une raison pour nous croire supérieurs aux autres ou pour nous vanter ou nous adonner à la moquerie. Nous ne ferions que détériorer nos relations avec les autres ou cultiver la jalousie et les ressentiments, et nous n’aurions plus personne pour nous complimenter à l’avenir. Si le niveau d’énergie nécessaire pour se vanter ou se moquer est faible, l’impact est souvent négatif et donc le rapport impact/énergie défavorable.

Les émotions sont inévitables, et les comportements instinctifs ou conditionnés peuvent être de grands consommateurs d’énergie tout en étant inefficaces, inutiles ou même néfastes. Cependant, l’homme possède la faculté extraordinaire de pouvoir choisir lui-même ses comportements en fonction de sa situation. Réagir uniquement par instinct ou par conditionnement est digne d’un animal. Nous détenons cette richesse de pouvoir agir en fonction de bien plus de facteurs, et donc de manière plus idéale voire optimale.

Ce concept peut paraître complexe à mettre en pratique pour certaines émotions. Mais prendre conscience de ce que des comportements peuvent être énergivores alors qu’inutiles est déjà un grand pas en avant. Et parvenir à ne plus s’engager dans des activités consommatrices d’énergie alors que nous sommes dépourvus d’influence sur la situation est mieux encore. Le cas échéant, nous aurons réfléchi avant d’agir de manière instinctive ou conditionnée, et cela constitue le début de la maîtrise de soi. Ensuite, nous n’aurons plus qu’à identifier le comportement correspondant au rapport impact/énergie le plus favorable.

Comment bénéficier de la puissance de la maîtrise de soi

Lorsque vous submerge une émotion vive, réfléchissez à deux choses avant d’adopter un comportement : l’énergie nécessaire pour entreprendre ce comportement, et l’impact de ce dernier sur la situation. N’adoptez ce comportement que si le rapport impact/énergie est favorable

Cela fait quelques années maintenant que je m’efforce à répertorier les principaux facteurs qui influencent le potentiel humain, et à comprendre comment tirer le meilleur parti de ceux-ci par des pratiques concrètes.

J’ai rassemblé les résultats de mes recherches dans un guide composé de 16 modules se déclinant en 51 pratiques, toutes capables de révolutionner notre quotidien. La maîtrise de soi est l’un de mes premiers modules.

Vous pouvez découvrir les autres dans « Notre fabuleuse odyssée » ou sur www.fabulousodyssey.com.

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