Comment Ulysse et l’Odyssée nous apprennent-ils à mieux vivre ?

Nicolas Toussaint
Essentiel
Published in
6 min readJan 7, 2019
Ulysse regardant l’horizon se lamentant de retrouver un jour son île — Evren Aydin

3500 ans après l’écriture de l’Odyssée, la légende d’Ulysse continue de résonner avec ferveur dans nos consciences. Pourquoi ?

Quelles leçons Ulysse aux milles tours nous enseigne dans ses aventures épiques ? Quel héritage universel a-t-il laissé ?

Ulysse n’existe pas en tant qu’Ulysse. Ulysse c’est un mythe, un type, un ensemble.

Ulysse c’est toi, c’est moi, c’est nous.

Ulysse est multiple et protéiforme, courageux et rusé, il échoue souvent mais se relève toujours. Plein d’abnégation et de force de caractère dans la souffrance, il symbolise l’humanité dans toute sa fragilité, ses erreurs et ses errances. Alors vraiment, il n’aurait rien à nous apprendre ?

Ulysse c’est notre frère.

Ulysse n’a rien à voir avec Superman. Il a peur, il doute, il échoue. De la fin de la guerre de Troie à son retour chez lui, il ira de navires fracassés en compagnons tués, d’échecs cuisants en succès divins. Affrontant enfers, monstres répugnants et déesses mystérieuses à la chaîne.

Mais tu sais quoi ? Au bout du compte, il finit bien par rentrer.

Ulysse c’est le chaos et la lumière, le yin et le yang, le ciel et la terre.

Qui n’a pas lu l’Odyssée en s’identifiant à ce bon vieux Ulysse ? Toi aussi tu as tes propres cyclopes, tes illusions et tes démons… Ils prennent simplement d’autres formes.

Creuser le mythe d’Ulysse c’est gagner en perspective, être plus à même de répondre à ses problèmes et inquiétudes, être plus humain quoi. Alors si, seul un soir, tu te tritures le cerveau, tu te perds dans des conjectures, tu veux baisser les bras… Pense à Ulysse. Il est d’un grand secours.

Aujourd’hui nous partons en voyage dans trois de ses aventures de l’Odyssée d’Homère. Nous verrons qu’elles peuvent toutes nous aider à mieux vivre, ici et maintenant.

L’oubli chez les Lotophages

Nous sommes après la guerre de Troie. Comme tous les guerriers grecs, Ulysse veut rentrer chez lui après dix années de guerre pénible. Pourtant le sort en a décidé autrement.

Alors que le bateau d’Ulysse aborde le cap Malée, il aperçoit enfin les côtes de son Ithaque natale, son royaume. Il va pouvoir retrouver sa femme Pénélope et son fils Télémaque après une interminable attente.

Chaleur et excitation se propagent dans tous les membres de son corps. Enfin il rentre. Tout voyageur connaît le sentiment indescriptible que procure la vue du cocon familial après de longues aventures. Alors tu le comprends Ulysse.

Mais alors qu’il se rapproche de son île, une énorme tempête s’abat sur le navire. Il touchait son but et tout finit par foutre le camp, devant ses yeux. Pendant sept jours le bateau dérive en sens inverse. Ses rêves explosent en mille fragments. Ulysse ne le sait pas encore mais il vient d’en reprendre pour dix ans. Il ne retournera chez lui qu’au prix des pires souffrances.

Le bateau du malheureux finit par atterrir sur une île bien étrange. L’île des Lotophages. Un peuple indigène qui comme ça, de prime abord, a l’air accueillant. À peine ont-ils mis pieds à terre que ce peuple étrange leur offre en guise d’accueil une plante du nom de Lotos.

Ulysse refuse, certains de ses marins y goutent. Un bonheur extatique s’empare d’eux, une transe magnifique. Mais on se rend rapidement compte que les marins ne savent plus rien, qu’ils ont même oublié leurs prénoms.

Le lotos c’est la plante de l’oubli, de l’effacement de l’identité, de la perte de substance. Le lotos c’est du LSD puissance mille avec effets durables. Un kiff continuel sans but ni raison. Ces marins ne sont plus que des ombres en méga trip.

Alors qu’Ulysse vient de rater son royaume d’un pouce, la voilà sa première épreuve : résister à l’oubli, à l’apitoiement et au désespoir. Ne pas oublier ses valeurs profondes et le pourquoi il voulait rentrer. Il aurait pu tomber dans le piège du lotos et se perdre pour toujours à gambader à poil sur une île avec le sourire aux lèvres.

Le lotos c’est l’avertissement qui pèse sur nous tous : l’oubli du pourquoi du comment. Qui n’a jamais, quand tout commence à partir en vrille, voulu baisser les bras ? Lorsque l’on vient de subir une déception, on a simplement envie de s’affaler sur son sofa à bouffer du lotos. Oublier quoi, se retirer du monde. Dans ces instants, ami, rappelle-toi qui tu es. Ne perds pas de vue ton pourquoi… Même les héros grecs ont subi des déceptions, des échecs et des trahisons.

L’ego chez le Cyclope

Ulysse s’en va vers de nouveaux dangers. Il n’a pas cédé aux sirènes de l’oubli. À peine a-t-il levé les voiles qu’une brume opaque et mystérieuse enveloppe le navire et semble le diriger vers de nouvelles galères. Les dieux de l’Olympe sont-ils en train de jouer aux dés et de s’amuser avec l’équipage ?

Le bateau échoue sur l’île d’un monstre terrifiant : le cyclope Polyphème. Une gigantesque créature avec un unique œil, se nourrissant de tout ce qui lui tombe sous la main, même d’hommes. Vous connaissez la légende. Ulysse et son équipage sont fait prisonniers. Le rusé finit par s’en sortir grâce à… sa ruse. Il mystifie le cyclope en disant qu’il s’appelle personne, le fait boire comme un trou, lui perce son œil puis finit par quitter la grotte sous un mouton. La classe du mec… Il est fort ce Ulysse.

Même lui doit le penser. Il n’en peut plus Ulysse. Le genre de moment où l’on se sent grisé par sa propre réussite, fier comme un coq avec l’ego qui se met à enfler. La vanité, Ulysse aussi la connait. Il aurait pu la jouer profil bas mais il se moque de l’aveugle :

« Cyclope, si on te demande qui a aveuglé ton oeil, dis que c’est Ulysse, fils de Laerte, Ulysse d’Ithaque… »

Ce qu’il a oublié, ce pauvre mortel, c’est que Polyphème, c’est le fils de Poseidon. En lui donnant son vrai nom, il vient de réveiller la colère du dieu de la mer. Il va lui faire payer son outrage. Ulysse est maudit. Le rêve du retour continue de s’évaporer.

Quelle leçon alors ? Que notre pauvre ego est une bête bien indomptable. Tant d’occasions de se penser supérieur après une victoire, une réussite et une circonstance favorable. En sport, au travail et dans la vie quotidienne on peut vite devenir, comme Ulysse, content de soi. Alors, attention à la rechute. Poseidon n’est jamais bien loin dans ce genre de situation. Humilité.

L’immortalité chez Calypso

Quelques péripéties plus tard, notamment après s’être fait foudroyer son bateau par Zeus — sombre histoire de marins qui se sont grillés une entrecôte de vache du dieu Soleil, on ne va pas rentrer dans les détails — , Ulysse échoue, seule et épuisé, sur une île. Il n’a plus rien, plus d’hommes, plus de navire. Rien.

L’île appartient à la nymphe Calypso. Un paradis perdu, jurassic parc sans les dinosaures : plages paradisiaques, végétations luxuriantes, lacs émeraudes à qui mieux mieux. Avec une femme rayonnante de beauté qui s’amourache de lui.

Qui ne serait pas heureux ?

Perso je signe de suite. Pas Ulysse faut croire. Le bougre a toujours sa lubie en tête : retrouver sa patrie. Mais le temps s’écoule étrangement sur cette île. Une, deux, dix années défilent ?

Ulysse n’a aucun moyen de s’en aller. Il mène une vie de nabab avec une nymphe mais se morfond dans la nostalgie des temps anciens.

Calypso, voyant son mal-être, lui propose l’immortalité à condition qu’il reste pour toujours à ses côtés. À quoi bon devenir immortel si c’est pour rester sur cette île de malheur ? Pense Ulysse.

Il préfère mourir chez lui entouré des gens qu’il aiment ; et refuse donc le confort et le luxe éternels. Alors, les dieux prennent pitié du vagabond et décident de le renvoyer enfin chez lui.

La leçon ? Avec un pourquoi fort, on peut bien nous offrir l’immortalité et tous les conforts, on ne dévie pas d’un pouce. On peut se perdre, être tenté, certes, mais on en revient toujours à cette mission originelle.

Quand on te proposera un job alléchant mais que tu sais, instinctivement, que ce n’est pas pour toi… N’oublie pas Ulysse.

Les points à retenir

  • On peut bien errer des décennies, se perdre en chemin, être tenté d’oublier : il y a toujours de l’espoir pour celui qui ne lâche rien.
  • Comme Ulysse, on est tous enclins aux mauvaises décisions et aux aventures délicates. Passages obligatoires dans une vie qu’on ne doit pas essayer d’éviter
  • N’oublions pas l’épisode du Cyclope. De l’humilité dans la victoire, de l’abnégation dans l’échec.
  • On peut endurer n’importe quoi, si on sait pourquoi on l’endure.
  • Confort, luxe et immortalité s’ils vont à l’encontre de notre mission, nous refuserons.

On peut bien avoir des dieux contre soi, ils ne peuvent pas s’acharner toujours. Il existe bien une Ithaque salvatrice au bout du tunnel.

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