Comment mieux gérer nos émotions en comprenant le fonctionnement de notre cerveau

Emmanuel de Mûelenaere
Essentiel
Published in
10 min readJan 25, 2019

Paul MacLean a introduit en 1969 la théorie du cerveau triunique, une modélisation de l’architecture fonctionnelle de notre cerveau. Celle-ci veut que l’espèce humaine ait successivement acquis au cours de son évolution trois cerveaux distincts, du plus primitif au plus complexe : le cerveau reptilien, le cerveau limbique (aujourd’hui apparenté au cerveau paléomammalien), et le néocortex (aujourd’hui apparenté au cerveau néomammalien).

Nous savons aujourd’hui que la réalité est plus complexe que la thèse de MacLean, qui défendait une certaine autonomie entre chacun des 3 cerveaux. Mais même si son modèle est une simplification de la réalité, il reste très utile pour son avantage pédagogique et permet d’expliquer un grand nombre de phénomènes humains.

Le cerveau reptilien est le siège de nos instincts de survie et de nos besoins fondamentaux comme la conservation, la reproduction, la respiration, le rythme cardiaque ou l’alimentation.

A l’origine de nos réflexes innés et de nos pulsions les plus primaires, on dit qu’il est le cerveau de l’intelligence situationnelle. Lorsqu’il identifie un danger, il déclenche presque instantanément l’alarme pour libérer de l’adrénaline, ce qui a pour effet de mettre notre corps en état de stress de façon à ce que nous puissions répondre à la menace le plus rapidement possible.

C’est par exemple notre cerveau reptilien qui, en cas d’attaque, nous poussera à la fuite, à la défense ou à la paralysie, selon ce qu’il juge le plus approprié pour notre survie.

Il serait le principal responsable de nos comportements primitifs comme l’agressivité, l’égoïsme, la territorialité ou l’hostilité à l’égard d’une personne appartenant à un groupe différent. Le cerveau de nos plus lointains ancêtres était essentiellement constitué du reptilien.

Aujourd’hui, il est encore le principal cerveau de beaucoup d’animaux comme les reptiles, les amphibiens, les poissons et les oiseaux.

Le cerveau reptilien a la particularité de n’avoir qu’une mémoire à court terme. Il est « préprogrammé » selon les espèces et les individus, et puis ne peut pas s’adapter ou se modifier. En conséquence, nombre de nos instincts sont identiques à ceux de nos premiers ancêtres.

Le cerveau limbique est le siège de nos émotions, de nos intuitions et de nos croyances. Il nous aide à différencier le bien du mal. C’est lui qui perçoit nos émotions ainsi que celles des autres, et qui exprime nos émotions.

C’est grâce à lui que nous pouvons interagir avec autrui. Le cerveau limbique est rapide dans ses actions, comme le reptilien. Il peut déclencher des émotions presque instantanément.

En revanche, contrairement à ce dernier, le limbique peut apprendre et s’adapter lentement. Son apprentissage est long et difficile car il a tendance à utiliser ce qu’il connaît de mieux, et donc à agir par réflexe plutôt que par de nouveaux comportements qui nécessitent plus d’efforts.

Le cerveau cortical, ou néocortex, est le siège de l’analyse, du raisonnement, du langage et de la créativité. C’est là que sont prises nos décisions rationnelles. Le néocortex est capable d’imaginer et de se projeter dans le futur. Il est curieux, nuancé et apte à prendre du recul. Il est le centre de l’intelligence rationnelle, et est apparu en dernier au cours de l’évolution.

Les mammifères supérieurs, tels que les chimpanzés, dauphins et baleines, jouissent également d’un néocortex, mais dont le volume est plus petit proportionnellement au reste du cerveau et du corps.

Chez l’homme, le néocortex comprend environ 80 % de la matière cervicale. Il est capable de se modifier et de se développer de façon extraordinaire, au moyen d’apprentissages qui entraînent la création de nouvelles connexions neuronales.

Sans entraînement, il dispose de temps de réaction plus lents que les deux autres cerveaux, mais il peut maîtriser ces derniers grâce à sa faculté de conscience.

La conscience, ce n’est rien d’autre que la capacité de notre cerveau cortical à observer les agissements de nos cerveaux reptilien et limbique. C’est donc avec de l’entraînement et notre capacité à tirer des leçons des expériences passées que nous pouvons augmenter la vitesse de traitement de notre néocortex et ainsi piloter le reste de notre cerveau, c’est-à-dire nos émotions et nos instincts.

Nous faisons chacun partie d’une société dite évoluée. Pourtant, tous les jours nous essuyons des régressions comportementales, comme lorsque nous sommes blessés parce que nous n’avons pas obtenu ce que nous voulions, ou lorsque nous nous mettons en colère après avoir raté une sortie d’autoroute.

Cela s’explique par une dominance subite de notre cerveau reptilien sur nos autres cerveaux. Afin de mieux gérer nos émotions, nous devons garder à l’esprit le principe suivant : l’intelligence suprême est celle qui repose sur un juste équilibre entre les intelligences situationnelle, émotionnelle et rationnelle.

Autrement dit, une utilisation efficace de notre cerveau est fondée sur une répartition équitable entre nos cerveaux reptilien, limbique et cortical.

Lorsque l’un des éléments du triangle prend le dessus sur les deux autres, cela nous est néfaste. Un cerveau reptilien trop influent nous enfuit, au nom de notre survie, dans un pessimisme dénué de raison.

Lorsqu’on laisse notre cerveau limbique prendre le contrôle, ce sont nos émotions qui mènent la danse au préjudice de toute réflexion rationnelle.

Enfin, si c’est notre néocortex qui prend toutes les décisions, nous perdons ce qui fait de nous des êtres humains, et ressemblons davantage à des machines asociales.

Nous devons la survie de notre espèce à nos émotions qui ont guidé nos comportements

L’émotion est une expérience de l’état d’esprit en réaction aux influences internes et externes, et s’exprime chez l’individu sous la forme d’un comportement.

Il y a des situations où la raison ne nous est d’aucune aide pour prendre des décisions. L’émotion et l’intuition nous permettent de décider dans ces situations pour lesquelles aucun argument rationnel ne peut nous soutenir et où l’urgence prime sur l’évaluation minutieuse du contexte.

C’est le cas par exemple lorsque nous devons choisir le nom de notre enfant ou, plus simplement, notre couleur de chaussures. Dans ce type de situations, notre néocortex ne peut pas agir seul. Nous devons laisser notre cerveau limbique prendre la décision.

Selon Daniel Goleman, le psychologue qui a popularisé le concept d’intelligence émotionnelle, chacune de nos émotions possède un rôle spécifique et prépare notre corps à une certaine réaction.

Ainsi, la peur fait affluer notre sang vers les muscles de nos jambes pour nous préparer à la fuite, pendant que notre corps se paralyse un moment pour nous laisser le temps de choisir la meilleure réaction.

Le corps sécrète des hormones pour nous maintenir en alerte et concentrer l’attention sur le danger. Lorsque nous approchons d’une falaise, la peur nous empêche d’atteindre le bord. Si nous sommes coincés au bord, elle nous paralyse pour nous laisser le temps de réfléchir à une solution.

La colère nous fait sécréter de l’adrénaline pour nous fournir en énergie, et envoie le sang vers les mains afin de nous préparer à une attaque. Lorsque notre enfant est en danger, une colère incontrôlée nous rendrait prêts à tout pour qu’il soit à nouveau en sécurité.

La tristesse engendre quant à elle un ralentissement de l’activité pour permettre l’assimilation d’une déception ou le deuil d’une lourde perte. Grâce à la tristesse, nous pouvons évaluer les conséquences d’un événement douloureux et déterminer les meilleures actions à entreprendre. Lorsque notre parent décède, le deuil nous permet de réfléchir à la meilleure manière de vivre sans la personne qui nous a élevé.

Enfin, la joie nous permet d’exécuter nos obligations plus rapidement et avec enthousiasme. Les impressions négatives sont alors inhibées pour favoriser l’action. Lorsque nous sommes dans une période sans tracas, le bonheur nous permet d’accomplir tout ce que nous ne pourrions pas faire en état de peur, colère ou tristesse.

Nous devons la survie de notre espèce à ces émotions qui ont guidé nos pulsions, c’est-à-dire les comportements que nous adoptons instantanément et sans réflexion.

Mais avec l’évolution fulgurante des derniers millénaires, certains comportements engendrés par nos émotions sont devenus inappropriés dans nos sociétés

Notre répertoire émotionnel, avec les réactions automatiques qui en découlent, s’est forgé à une époque où l’environnement était nettement plus menaçant qu’il ne l’est aujourd’hui.

Nous étions la proie d’autres espèces et les techniques de chasse, pêche et cueillette ne permettaient pas la production de nourriture que nous connaissons à l’aube du troisième millénaire. Il fallait beaucoup de chance pour dépasser les 30 ans.

Grâce à notre intelligence, nous avons développé l’agriculture et mis en place des techniques pour dominer les espèces plus fortes que nous.

Aujourd’hui vivant presque exclusivement en société, une partie du répertoire émotionnel de notre cerveau limbique, couplée aux réflexes de survie émis par notre reptilien, sont devenus inadéquats.

Selon Goleman, « les réalités nouvelles de la civilisation sont apparues avec une telle rapidité que la lente marche de l’évolution n’a pu en suivre le rythme. […] Alors que, dans un lointain passé, une explosion de colère pouvait conférer un avantage décisif pour la survie, des faits comme la possession d’armes à feu par des enfants de douze ans en ont rendu les effets désastreux ».

L’homme adulte civilisé a dû apprendre une série de lois et de règles morales afin de contenir certaines réactions qui autrefois étaient automatiquement déclenchées par ses émotions.

Sans ces lois et règles morales, nos réactions seraient disproportionnées. La colère, notamment, serait dévastatrice. Sans loi, nous serions peut-être prêts à tuer pour protéger notre descendance.

Sans règle morale, nous serions peut-être prêts à hurler sur notre collègue qui ne se comporte pas comme nous le souhaitons. Nous dirions tout ce que nous pensons sans aucun filtre. L’enfant qui, instinctivement, garde tous ses jouets pour lui n’apprend que plus tard, via des règles morales, que le partage est plus intéressant dans notre société.

Tous les jours, nous devons nous efforcer à canaliser nos émotions pour maîtriser nos pulsions.

Le problème qui persiste malgré les lois et les règles morales, c’est que lorsque notre cerveau perçoit une menace, il ne fait pas bien la différence entre le danger que représente un simple conflit verbal et celui de se faire poursuivre par un taureau.

Dans les deux cas le rythme cardiaque s’accélère, la respiration augmente sa fréquence et les muscles se resserrent. Le cerveau coupe l’accès du cortex vers le limbique pour donner plein pouvoir à ce dernier. Le centre de la raison n’a plus voix au chapitre, et il devient difficile de prendre une décision rationnelle.

Goleman parle de « hijack amygdalien », l’amygdale étant une partie du système limbique. Dans ce type de situation où notre esprit est inondé d’émotions et où nous agissons comme des poules sans tête, il nous faut absolument reprendre le contrôle.

Notre conscience de soi nous permet d’identifier nos émotions à tout moment, afin d’en prendre le contrôle et d’éviter qu’elles ne prennent le contrôle sur nous

La conscience de soi, c’est l’habilité pourvue par le néocortex à identifier à tout moment son état émotionnel. Il ne s’agit pas d’identifier ce à quoi nous pensons (« j’ai envie d’aller dehors », « j’ai soif », « il fait chaud »), mais de mettre des mots sur nos émotions (« je me sens coupable », « je suis fier », « je suis jaloux »). C’est par la conscience de soi que nous pouvons faire agir notre néocortex afin d’éviter une prédominance des cerveaux reptilien et limbique.

Nous n’avons pas nécessairement conscience de la présence de toutes nos émotions. Cependant, que nous en soyons conscients ou pas, celles-ci impactent notre comportement. Et moins nous sommes conscients de leur présence, plus elles prennent le contrôle de nos actions, de nos réactions et même de nos jugements.

A contrario, plus nous sommes conscients de nous-mêmes et des émotions qui nous habitent, plus nous pourrons utiliser à bon escient l’énergie fournie par celles-ci et maîtriser nos comportements.

Le processus de conscience de soi est composé de 3 étapes : d’abord nous identifions nos émotions, ensuite nous acceptons celles-ci sans les juger, et enfin nous en devenons responsables

Nous pouvons faire usage de notre conscience de soi à travers un procédé simple composé des 3 étapes suivantes.

Tout d’abord, nous prenons le recul nécessaire pour identifier les émotions qui nous habitent en cet instant. Nous y attachons un nom précis. Plus nous sommes précis, mieux nous pourrons comprendre les besoins qui leur sont associés.

La seconde étape consiste à accueillir ces émotions avec tolérance, à les accepter sans les juger. Une émotion n’est ni bonne ni mauvaise, et toute émotion possède l’intention positive de nous pousser à agir suite à un certain événement.

Par le simple fait de les accepter, nous prenons le contrôle sur elles et les empêchons de prendre le contrôle sur nous. Nous en devenons alors responsables, et donc capables d’agir sur elles.

Quand nous sommes irrités par exemple, pour une raison dont nous ne nous souvenons pas forcément, il nous arrive de répondre brutalement sans que nous le voulions. Il arrive même que nous ne nous rendions pas compte de l’inadéquation de notre comportement.

Mais aussitôt que nous prenons conscience des émotions qui nous habitent, nous réévaluons la situation, et un champ de possibilités s’ouvre à nous.

Comme l’écrit Goleman, « reconnaître que l’on est de méchante humeur, c’est déjà vouloir ne plus l’être. » C’est pour cela que la conscience de soi nous permet d’agir de manière plus responsable, comme nous le souhaitons vraiment. Elle permet de compléter l’émotionnel par un peu de rationnel.

C’est par la conscience de soi que nous possédons les émotions qui nous habitent, et évitons d’être possédés par elles. Sans conscience de nous, nous ne pouvons neutraliser notre état émotionnel pour choisir notre action de manière objective, optimisée en fonction de la situation.

Si la conscience de soi est une compétence intérieure, invisible à autrui, elle est la base de l’intelligence émotionnelle. Ceci fait d’elle une compétence essentielle à développer.

Comment bénéficier de la puissance de la conscience de soi

Régulièrement dans la journée, prenez conscience des émotions qui vous habitent, et acceptez-les afin d’agir de façon responsable

Plusieurs fois par jour, prenez du recul pour identifier avec précision les différentes émotions qui vous habitent. Acceptez ces émotions sans les juger. Ainsi vous arriverez à en prendre le contrôle. Cela vous permettra de ne plus agir de façon purement situationnelle ou émotionnelle, mais en conscience, c’est-à-dire de manière réfléchie et responsable.

Cela fait quelques années maintenant que je m’efforce à répertorier les principaux facteurs qui influencent le potentiel humain, et à comprendre comment tirer le meilleur parti de ceux-ci par des pratiques concrètes.

J’ai rassemblé les résultats de mes recherches dans un guide composé de 16 modules se déclinant en 51 pratiques, toutes capables de révolutionner notre quotidien. La gestion de ses émotions est l’un de mes premiers modules.

Vous pouvez découvrir les autres dans « Notre fabuleuse odyssée » ou sur www.fabulousodyssey.com.

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