Dis, comment on dessine le temps ?

Anne-Paule DUBOULET
Essentiel
Published in
6 min readJul 17, 2020

Cette question pourrait être posée par un enfant, juste après « On va où quand on est mort ? » et « Pourquoi le ciel est bleu ? ». Cette fois, ce sont les difficultés d’une lycéenne qui m’ont amenée à la formuler. Nous étions en train de regarder toutes les deux un problème de physique, dans lequel il s’agissait de calculer la vitesse et l’énergie d’une bille qu’on lâche à une certaine hauteur, et qui tombe sur le sol. sLe professeur conseillait fortement de faire un schéma, ce qui semblait insurmontable à cette jeune fille : comment représenter le moment pendant lequel la bille tombe ? Certes, on peut faire deux dessins pour représenter la situation initiale et la situation finale, mais comment représenter le temps qui s’écoule entre les deux ?

(photo Nile pour Pixabay)

Le temps est une notion qui reste abstraite, contrairement à l’espace. Par exemple, on peut dessiner un terrain de foot, la Terre, la surface de la table, mais on ne peut pas dessiner une heure, une vie, où le temps qu’il faut pour se couler un bain. On peut juste contourner le problème, par exemple en dessinant une pendule et en coloriant ses aiguilles. Le temps est même fourbe, car il nous donne des impressions différentes : les enfants savent bien qu’un tour de manège de 3 minutes est bien plus court que les 3 minutes qu’on passe à se brosser les dents !

Pourtant, être capable de se représenter mentalement la notion du temps est fondamental pour nos enfants. Savoir ce que c’est qu’une date, une durée, et pouvoir donner du sens à un texte qui fait allusion au temps est indispensable dans toutes les matières scolaires. Voici quelques exemples :

– Pour conjuguer les verbes, avec l’utilisation du futur antérieur (« je viendrai quand tu auras fini ») ou la différence entre le passé simple et l’imparfait (« je mangeais quand mon téléphone sonna ») ;

– Idem en anglais, avec la célèbre règle sur l’utilisation de « since » et « for » avec le présent perfect. Que de souvenirs ! Je vous entends d’ici vous écrier « Ah, mais oui, c’était comment déjà ? » ! Allez, je vous rafraîchis la mémoire : on utilise « since » avec une date de départ (« I’ve know him since last summer » : je le connais depuis l’été dernier) et « for » avec une durée (« I’ve know him for 10 years » : je le connais depuis 10 ans). Autant dire qu’un élève qui n’est pas au clair dans sa tête avec ces notions de durée et de date, ou qui ne sait pas comment se les représenter mentalement, n’a aucune chance de comprendre puis appliquer la règle…

– Dans tous les travaux pratiques de SVT, physique, chimie et autres, quand on observe un phénomène qui dure un certain temps et qu’il faut le décrire et éventuellement faire un schéma ;

– En Histoire évidemment, avec la nécessité de jongler mentalement entre des évènements qui ont lieu avant, après, en même temps les uns par rapport aux autres

– Etc.

Comment faire alors pour entraîner nos enfants à penser les notions de date, de durée, de moment, de temps… ? Voici deux idées d’activité à faire avec eux.

Premièrement, comme c’est l’été et que les enfants sont en vacances, un bon exercice consiste à se lancer dans un grand puzzle, et y consacrer un certain temps tous les jours.

(photo wonderland pour Unsplash)

Par exemple, avec un ado : un grand puzzle de 500 pièces auquel on consacrera 30 minutes par jour. Avant de se lancer, on prend les paris sur le temps que sa réalisation va prendre. Quand il est fini, par exemple au bout de 3 semaines, on se demande combien de temps cela a pris. Trois semaines ? Pas vraiment, plutôt 21 fois 30 minutes, soit 10 h 30. Et on discute sur cette notion de durée morcelée, de durée totale, en lui laissant le temps de se le représenter mentalement. Comment ferait-il pour le dessiner ou le schématiser ? Il est intéressant de comparer avec les estimations qui avaient été faites : étaient-elles optimistes ou pessimistes ? Il est connu que les enfants et les adultes précoces sous-estiment la durée plus fréquemment que le reste de la population. Un adolescent qui vous dit que son DM (devoir maison) de maths va lui prendre 2 heures maximum est autant de bonne foi qu’un adulte qui estime qu’il lui faut 2 heures pour nettoyer, poncer et repeindre la porte du garage… Deux heures plus tard, tous les deux seront sincèrement dépités de réaliser qu’ils n’ont absolument pas terminé !

On se demandera également si on aurait eu le même résultat pour le puzzle en travaillant 10 h 30 d’affilée. La réponse est non : les neurosciences ont montré que pour ce genre d’exercice, le cerveau, même quand on fait une pause, continue à réfléchir en « tâche de fond ». C’est pour cela que bien souvent, quand on reprend un puzzle, il est fréquent de placer tout de suite quelques pièces ! Et là, on peut risquer une comparaison avec le DM de mathématiques : en y passant 3 fois 1 heure, notre ado a toutes les chances de l’avoir plus avancé que quand il y passera 3 heures d’un coup…

Une astuce si vous manquez de place pour le puzzle : mettre un bulgomme et une nappe sur la table, et l’installer dessous. Ainsi il sera facile de le recouvrir après chaque séance, pour récupérer la table.

Deuxième idée d’exercice : faire germer une graine de haricot entre deux morceaux de coton qu’on maintient humides, et dessiner ou noter ce qu’on observe.

(photo Ivabalk pour Pixabay)

Il est prudent de faire tremper les grains une nuit avant, pour les ramollir et les faire germer un peu plus vite. Sur une feuille de papier, on fait écrire ou dessiner à l’enfant ce qu’on observe, par exemple : jour 1 : rien. Jour 2 : rien…. Jour n : les deux parties de la graine s’écartent un peu, etc.

On demande alors à l’enfant comment il s’imagine ce qui se passe depuis plusieurs jours, quand il y pense ? Et on cherche avec lui comment le représenter : un trait horizontal, avec des petits traits verticaux pour chaque jour ? Avec une case par jour dans laquelle on dessine, comme dans une bande dessinée ? Est-ce que ce ne serait pas mieux de noter l’heure, car si on n’indique que le jour, on ne sait pas si on a regardé parfois le matin et parfois le soir ? Où est-ce qu’on écrit ce qu’on voit, par rapport aux traits ?

Comment ferait-il pour raconter à quelqu’un son expérience ? Est-ce qu’il a spontanément envie de faire des gestes pour décrire ce qu’il a vu ? Etc. On explique alors que la durée, c’est la partie du temps qui s’écoule entre deux moments précis, ou bien qui sépare deux événements… et on lui laisse le temps d’y penser, pour qu’il ressente cette notion, et qu’il lui donne du sens.

On peut aussi réfléchir avec lui sur le fait qu’on n’a rien observé pendant plusieurs jours : il se passait bien quelque chose, pourtant ? C’est peut-être juste qu’on ne le voyait pas ? Si on demande combien de temps a pris la germination, quel point de départ faut-il prendre ? Il faut bien compter les jours où on ne voit rien, non ?

Cette idée de graine qui germe dans un processus invisible à l’œil nu me fait penser avec ce qui se passe chez beaucoup de jeunes, notamment ceux qui traversent des difficultés. Parfois on a l’impression qu’il ne se passe rien, qu’ils passent « à côté » des cours ou des activités qu’on leur propose. En fait ils grandissent, mûrissent, et on verra un jour quelque chose de très beau germer et grandir, pour peu qu’on ait la patience de continuer à en prendre soin….

À bientôt !

Anne-Paule de Coach&Plus — Découvrez ma lettre mensuelle sur cette page

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