Entrepreneurs, méfiez-vous des vanity metrics !

Dominique van Deth
Essentiel
Published in
4 min readNov 11, 2022

Ca y est ! J’ai finalement atteint les 5000 abonnés sur LinkedIn. Ce résultat, j’en suis fier, je l’ai même annoncé à mon réseau. Quelle reconnaissance sociale ! Pour en arriver là, croyez bien que j’ai dépensé beaucoup d’énergie.

Sauf qu’en réalité, ce résultat, c’est du vent. L’indicateur auquel je prête une telle attention, c’est en réalité une vanity metric comme tant d’autres.

Parce que mon nombre d’abonnés ne dit rien sur mon chiffre d’affaire.

Parce que mon réseau n’est pas forcément constitué des personnes qui comptent pour moi et pour mon projet.

Parce que, grâce au fonctionnement de LinkedIn, mon nombre d’abonnés augmente naturellement ce qui m’empêche de voir l’éventuelle mauvaise nouvelle (les bons contacts qui pourraient quitter mon réseau).

Vous aussi, vous devez vous méfier des vanity metrics qui fonctionnent comme des oeillères et vous distraient de ce qui est vraiment important : apporter de la valeur à vos clients.

Eviter la mascarade du succès

Les vanity metrics (indicateurs illusoires en français) ont été introduites par Eric Ries dans son livre Lean Startup. Pour les reconnaitre facilement, voici leurs caractéristiques :

  • Elles donnent une image favorable de ce qui se passe et flattent l’ego des dirigeants,
  • Elles sont sans rapport avec les progrès réels de votre entreprise,
  • Elles ne permettent pas d’identifier clairement ce qu’il faudrait faire pour améliorer la situation.

Le fait de fonder ses actions sur l’étude des comportements clients ne protège pas véritablement des vanity metrics car nous confondons facilement corrélation et causalité. Ainsi, lorsqu’une mesure progresse dans le bon sens, nous l’attribuons logiquement à nos efforts, alors que cela peut être dû à une coïncidence ou à un facteur totalement étranger à notre action.

Eric Ries propose deux outils pour correctement analyser les situations : l’étude de cohorte et l’A/B testing. Il complète son analyse avec les trois critères que devraient respecter les métriques idéales :

  • Actionables : le lien de causalité entre l’action menée et le résultat obtenu doit être démontré de manière quasi-scientifique,
  • Accessibles : tout le monde doit pouvoir avoir accès aux données de base et comprendre les opérations de traitement effectué. Comme le dit Eric Ries, derrière les chiffres, il y a des gens.
  • Auditables : garantir la crédibilité des données, quitte à faire des vérifications en parlant directement aux clients.

Dans la vrai vie, les recommandations d’Eric Ries posent d’énormes problèmes pratiques et rares sont les entreprises dont les métriques respectent les critères.

Quand la mesure entre en contradiction avec l’action

Si les beaux principes butent sur la réalité, c’est principalement pour deux raisons :

  • Le postulat d’une rationalité
  • L’altération de la mesure

Manager, selon Henri Fayol, c’est “de la prévoyance, de l’organisation, du commandement, de la coordination et du contrôle”. Toutes ces activités reposent sur un présupposé positiviste finalement assez fragile. Dans une entreprise, chacun, par son histoire, sa culture, est porteur d’une rationalité qui n’est pas nécessairement homogène. Les analyses montrent ainsi qu’on peut donner de la valeur à des informations qui ne sont pas pertinentes pour la décision et qu’à l’inverse, les décideurs collectent des informations qu’ils n’utilisent pas. C’est le modèle de l’anarchie organisée ou dit autrement de la poubelle. Et, de fait, les humains ont naturellement tendance à chercher du sens, même quand le hasard est à l’oeuvre ainsi que je l’ai développé dans Les illusions du management — la rationalité.

On dit souvent qu’on ne gère bien que ce qu’on mesure. Cette maxime issue de l’esprit scientifique nous conduit à penser le monde comme une immense machine qui réagit de manière mécanique. Pourtant, Alain Supiot dans La gouvernance par les nombres met en évidence la manière dont les mesures sont peu à peu intériorisées par les acteurs qui vont se mettre à faire du chiffre.

Le fait est que les êtres humains ne sont pas des machines, au contraire, ils vont s’adapter au contexte. Comme le dit Paul Valéry :

Le contrôle, en toute manière, aboutit à vicier l’action, à la pervertir […], dès qu’une action est soumise à un contrôle, le but profond de celui qui agit n’est plus l’action même, mais il conçoit d’abord la prévision du contrôle, la mise en échec des moyens de contrôle.

Retrouver le sens de la mesure

Alors comment faire pour échapper à la tyrannie des chiffres ? Eric Ries nous indique la direction quand il martèle “derrière ces indicateurs, il y a des êtres vivants”. Pour lui, il est essentiel de parler directement aux clients.

Les grands patrons passent énormément de temps à rencontrer leurs clients, cela devrait être le cas pour tous les entrepreneurs. En particulier, l’étude initiale des besoins ne peut pas être déléguée à un stagiaire ou un prestataire car le travail de mise en forme risque de gommer les insights (voir Comment identifier son business model ? La méthode Vianeo).

Quand vous définissez des mesures (car il en faut), il faut faire clairement la différence entres les mesures de fonctionnement (le nombre de rendez-vous pour un commercial) et les mesures de résultat (le chiffre d’affaire ou le nombre de vente).

Les premières sont très facilement manipulables (augmenter le nombre de rendez-vous sans intérêt) alors que les deuxièmes questionnent notre rationalité (est-ce grâce à la qualité de son travail que mon commercial a pu signer cette grosse affaire ?)

Quitte à prendre le contre-pied des méthodes à la mode comme les OKR, je suggérerai de ne pas trop se fixer sur des métriques précises mais au contraire de multiplier les analyses chiffrées et les contacts directs sur le terrain. Les collaborateurs doivent être convaincus qu’il est contre-productif de travailler pour les chiffres au détriment du client.

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