Est-ce que le gouvernement ferait un bon Product Owner ?
Et si on utilisait les principes agiles pour analyser l’action du gouvernement français dans sa lutte contre la COVID-19 ?
Depuis mars 2020, la COVID 19 chamboule profondément nos vies. Le gouvernement ainsi que l’ensemble des acteurs de santé gèrent une crise sans précédent qui risque de durer encore de longs mois. Quel que soit notre âge, notre situation sociale ou notre activité, nous constatons tous les jours les impacts de la COVID 19.
Et si on utilisait les principes agiles pour analyser l’action du gouvernement français dans sa lutte contre la COVID-19 ?
Une gestion « en mode agile » de la crise COVID fait du sens pour 4 raisons :
- Volatilité : la situation varie vite, et nécessite des réponses en continu
- Incertitude : même si quelques modèles existent, il est difficile d’anticiper l’évolution de la pandémie
- Complexité : de nombreux paramètres influent sur la propagation du virus, et les réactions de la société française face à celui-ci
- Ambiguïté : il est difficile d’avoir une vision claire et précise de ce qu’il se passe sur le terrain, malgré tous les indicateurs
On pourrait alors comparer la lutte contre le coronavirus à un projet de très grande envergure où nous serions tous les parties prenantes. Le gouvernement jouerait le rôle de Product Owner en priorisant les activités de son administration et du personnel médical (l’équipe agile) pour satisfaire la population française (les clients).
Note 1 : Pour comparer l’action du gouvernement français aux canons agiles du marché, nous utiliserons les 17 principes énoncés par le Manifeste de Disciplined Agile, qui sont plus généralisables en dehors de l’IT que ceux du Manifeste Agile original.
Note 2 : L’objectif n’est pas de rentrer dans un débat politique partisan, mais plutôt d’analyser les choix et actions du gouvernement français depuis Février 2020 suivant le filtre de l’agilité. Uniquement deux évaluations sont retenues : « Satisfaisante » ou « Peut mieux faire ».
Évaluations
1. Notre priorité absolue est de satisfaire les parties prenantes en leur fournissant rapidement et de manière continue des solutions utiles.
Les Français sont nombreux à critiquer l’action et des choix du gouvernement. Dans un sondage international de Mai dernier, les Français donnent ainsi la note de 4,1/10 à l’action du gouvernement. De plus, les choix récents de couvre-feux et les fermetures des bars, tout en laissant les écoles ouvertes donne quelques indices sur les priorités du gouvernement : la santé et l’économie. Les décideurs préfèrent miser sur le long terme et plutôt que la satisfaction immédiate des Français.
Évaluation : Peut mieux faire
2. Accueillir les exigences émergentes, même tard dans le cycle de vie de la livraison de la solution. Les processus agiles exploitent le changement pour l’avantage concurrentiel du client.
En janvier et février dernier, le gouvernement a mis du temps à comprendre les nouveaux enjeux de la COVID 19 et à adapter ses priorités. Après une longue phase à minimiser les risques en indiquant que cette « grippe » n’allait pas arriver en France, le gouvernement a dû revoir ses priorités dans la précipitation, ce qui a entrainé les dérapages de communication de ses porte-paroles.
Évaluation : Peut mieux faire
3. Fournir des solutions valables de manière continue, de plusieurs fois par jour à quelques semaines, dans le but d’augmenter la fréquence au fil du temps.
Est-ce que les administrations et les équipes de santé délivrent de la valeur régulièrement ? Oui, sans aucun doute. De nombreuses innovations ont vu le jour, les malades sont soignés et sans les efforts continus de l’ensemble de ces acteurs, la situation serait bien pire aujourd’hui.
Évaluation : Satisfaisante
4. Les parties prenantes et les développeurs doivent collaborer activement pour obtenir des résultats qui raviront les clients de notre organisation.
Le conseil scientifique ainsi que les responsables des services de santé collaborent avec le gouvernement depuis le début d’année pour apporter des solutions aux Français : le désengorgement des malades entre régions, l’adaptation régulière des mesures sanitaires en fonction des niveaux d’épidémie. Le conseil scientifique vient d’ailleurs d’être pérennisé.
Évaluation : Satisfaisante
5. Constituer des équipes autour d’individus motivés. Donnez-leur l’environnement et le soutien dont ils ont besoin, et faites-leur confiance pour qu’ils accomplissent leur travail.
Est-ce que les équipes de santé et les administrations ont bien l’environnement et le matériel nécessaire pour mener leurs activités ? Les médecins et infirmiers ont critiqué, en début de crise, le manque de masques à leur disposition. Les grèves récentes des personnels hospitaliers indiquent plus largement qu’il y a certainement encore des efforts à faire pour construire un environnement qui leur permette de faire leur travail correctement.
Évaluation : Peut mieux faire
6. La méthode la plus efficace pour transmettre des informations à une équipe de diffusion et au sein de celle-ci est la conversation en face à face, idéalement autour d’un tableau blanc.
Nous avons assisté à quelques modifications de la communication du gouvernement ces derniers mois. Olivier Véran le ministre de la Santé a par exemple commencé à dessiner des courbes pour clarifier les objectifs des mesures sanitaires.
Plus globalement, les principes du marketing et de la communication politique expliquent aussi qu’il est préférable de communiquer en face à face pour transmettre un message. Avec les nombreuses visites du gouvernement sur le terrain, les apparitions nombreuses dans les médias, ce principe est donc largement validé.
Évaluation : Satisfaisante
7. L’apport continu de valeur est la principale mesure du progrès.
Tous les jours, le nombre d’entrées et sorties dans les hôpitaux, en réanimation ainsi que le nombre de tests effectués servent à orienter les choix et les actions du gouvernement. Ce sont bien des indicateurs de la valeur générée par les services de santé.
Évaluation : Satisfaisante
8. Les processus agiles favorisent une prestation durable. Les commanditaires, les développeurs et les utilisateurs doivent pouvoir maintenir un rythme constant indéfiniment.
Est-ce que le système de santé, l’économie et la population française sont capables de continuer à ce rythme indéfiniment ? Sans l’ombre d’un doute, ce rythme entrainera une rupture du système tôt ou tard. Et cette rupture pourra venir de la fatigue des personnels hospitaliers, de la frilosité des marchés financiers à continuer à prêter à l’État français, de l’augmentation du chômage et de la précarité, ou de l’agacement des Français. Le rythme actuel n’est donc pas soutenable, d’autant plus que les réserves de lits, cash et bonnes volontés s’amenuisent.
Évaluation : Peut mieux faire
9. L’attention constante portée à l’excellence technique et à une bonne conception améliore l’agilité.
De nombreuses études ont été menées ces derniers mois pour mieux comprendre la COVID, et les moyens de lutter contre cette épidémie. On peut constater une quête permanente des équipes de santé et des scientifiques pour optimiser les protocoles sanitaires et limiter les contagions. En quelques mois, l’ensemble des magasins et des points de contacts avec le public ont été repensés dans les moindres détails pour intégrer les contraintes du COVID. Évaluation : Satisfaisante
10. La simplicité — l’art de maximiser la quantité de travail non effectué — est essentielle.
Malheureusement, toute l’action du gouvernement n’a pas permis de produire des éléments concrets et efficaces dans la lutte contre le COVID 19. Par exemple, malgré les millions d’euros dépensés, l’application « StopCovid » a été un échec dans la lutte contre le coronavirus. Les injonctions contradictoires sur les masques participent aussi à ce gâchis de temps et d’énergie par le gouvernement et les administrations.
Évaluation : Peut mieux faire
11. Les meilleures architectures, exigences et conceptions émergent d’équipes auto-organisées grâce à des feuilles de route et à un soutien organisationnel.
La décentralisation et l’auto-organisation sont de plus en plus des réalités dans la lutte contre le coronavirus. Même si beaucoup de décisions restent à la main du gouvernement, les localités peuvent adapter dans une certaine mesure les modalités de la lutte contre le coronavirus. De plus, suite à de premières communications autoritaires et injonctives, le gouvernement préfère maintenant appeler à la responsabilité des Français pour le respect des gestes barrières ou la « règle des 6”.
Évaluation : Satisfaisante
12. L’équipe réfléchit en permanence à la manière de devenir plus efficace, puis expérimente, apprend et adapte son comportement en conséquence.
Deux éléments de réponse permettent de valider ce principe Agile :
- le rapport critique de l’action gouvernementale est une première étape dans l’instauration de cycle d’amélioration
- l’approche « Test & Learn » adoptée pour le couvre-feu, prévue pour 6 semaines, et qui sera reconduit ou non en fonction des résultats de l’expérience
Évaluation : Satisfaisante
13. Exploitez et faites évoluer les actifs au sein de votre entreprise, en collaborant pour ce faire avec les personnes responsables de ces actifs.
L’industrie vestimentaire, pharmaceutique et ainsi que de nombreux autres partenaires ont réorienté leurs activités afin de répondre aux besoins du gouvernement et des Français. On peut citer l’exemple de Décathlon qui a mis à disposition ses masques pour aider les services de santé en manque de matériel. De nombreuses entreprises de textiles ont aussi conçu et distribué des masques pour compléter l’offre de masques en coton.
Évaluation : Satisfaisant
14. Visualiser le travail pour produire un flux de livraison fluide et maintenir le travail en cours (WIP) au minimum.
De nombreuses métriques sont analysées pour permettre d’assurer la continuité des services de santé :
- le nombre de places disponibles en réanimation
- le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux
- le nombre de cluster, ainsi que la positivité des tests effectués
La notion de MVP quant à elle visible avec les attestations qui ont été proposées lors du confinement en mars dernier. Les premières étaient rudimentaires et uniquement au format papier, tandis que des versions numériques ont été rendues disponibles quelques semaines plus tard.
Évaluation : Satisfaisante
15. Faire évoluer l’ensemble de l’entreprise, pas seulement les individus et les équipes, pour soutenir des équipes agiles, non agiles et hybrides.
Au-delà de l’administration et des services de santé, l’ensemble du pays a repensé son mode de fonctionnement avec la crise COVID. Le télétravail autrefois l’exception est maintenant la règle plusieurs par semaine pour beaucoup de Français. Et ces pratiques innovantes, développées pendant la crise, vont certainement s’ancrer dans les usages et perdurer.
Évaluation : Satisfaisant
16. Nous mesurons notre travail et ses résultats, en préférant les mesures automatisées à celles recueillies manuellement, pour prendre des décisions fondées sur des données.
De nombreuses évaluations existent, sont partagées quotidiennement et permettent d’adapter les actions du gouvernement :
- le nombre de nouveaux cas
- le nombre de décès
- le nombre de clusters
Malgré les problèmes initiaux de remontée de données d’EPHAD, il n’y a plus aujourd’hui de déficit de mesures de l’avancé de l’épidémie.
Évaluation : Satisfaisante
17. Nous offrons une transparence totale à nos parties prenantes dans tout ce que nous faisons et produisons, afin de permettre des conversations ouvertes et honnêtes et une gouvernance efficace de notre équipe
Malgré les nombreuses communications du gouvernement, il est difficile d’affirmer que les Français sont tenus au courant de tout ce qui est fait, et que des conversations honnêtes sont tenues. Entre les problèmes de communication de début de crise, les annonces soudaines de confinement ou couvre-feux, sans possibilité de débat à l’Assemblée nationale, ce principe Agile n’est pas respecté.
Évaluation : Peut mieux faire
Résultats
Sur les 17 principes Agiles analysés, le gouvernement en tant que Product Owner de la crise COVID 19 obtient une note de 11, soit 65 % de réussite.
C’est un bon début, cela montre une certaine volonté d’adapter son mode de fonctionnement aux spécificités de la COVID pour être plus réactif. Mais il existe encore une belle marge de progression au gouvernement français pour devenir un bon Product Owner.
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