Jim Collins : une approche itérative du bonheur
3 cases dans un tableur, des règles simples et une bonne dose de discipline, voilà la recette du bonheur et de l’épanouissement. C’est en tout cas ce que défend Jim Collins.
Peut-être plus qu’une recette il s’agirait d’un outil fiable pour déterminer quelle direction donner à votre vie. Voici comment Jim l’utilise:
- Dans la première case, il note les observations générales relatives à sa journée (il décrit de manière succincte la manière dont elle s’est déroulée ainsi que les faits qui l’ont marqué).
- Dans la seconde case il écrit le nombre d’heures passées à travailler de manière approfondie et concentrée, ce que Cal Newport appelle le Deep Work. Pourquoi se concentrer sur cet élément? Parce que Jim Collins a décidé d’en faire une priorité. A tel point qu’il s’est fixé comme objectif d’accumuler chaque année au moins 1000 heures de travail de “qualité”. Le fait d’assurer un suivi poussé de cette donnée fait aussi office dans une certaine mesure de mécanisme de responsabilisation.
- Dans la troisième case, il note sa journée sur une échelle allant de -2 à +2 (-2,-1,0,1,2). Les très mauvaises journées seront donc notées -2 et les meilleures +2.
Il est important de le faire chaque jour sans exception, se souvenir des faits est une chose mais Collins a remarqué qu’essayer de se rappeler à distance son ressenti par rapport à une journée précise était complexe dans la mesure où l’état d’esprit dans lequel on se trouve à ce moment-là aura tendance à influencer voire à biaiser notre appréciation.
Au bout de quelques mois Collins peut revenir sur son tableau et essayer de déterminer ce que les journées notées +2 ont en commun, se faisant il sera sans doute à même de définir un certain nombre de paramètres qui contribuent à son épanouissement et donc essayer d’intégrer une quantité plus importante de ces choses dans ses journées à venir.
A contrario il pourra également prendre conscience des choses qui reviennent de façon récurrentes dans les journées qu’il aura notées comme étant de mauvais jours et essayer de minimiser l’importance ou la présence de ces éléments par la suite.
De manière itérative et en l’espace de quelques mois il sera donc à même d’identifier ce qui est important et ce qui joue un rôle primordial dans son épanouissement.
Je trouve cette manière de procéder particulièrement intéressante dans la mesure où elle s’avère quelque peu contre-intuitive.
J’ai le sentiment que l’être humain lorsqu’il tente d’appréhender la question complexe de l’épanouissement et du bonheur a tendance à procéder de manière prospective. Il se projette, il imagine, il espère… Mais parfois il fantasme, il enjolive et surtout, au fil du temps, il change.
Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis fixé un objectif, où je me suis lancé dans une quête, imaginant que j’en ressortirai grandi et plus heureux pour au final me rendre compte une fois la destination atteinte que ce n’était pas nécessairement le cas.
Parfois parce que l’image, la représentation que je m’étais fait du résultat à atteindre ou plutôt de ce que ce je ressentirai une fois ce résultat atteint était faussée, biaisée.
Parfois parce que je n’étais plus la même personne que celle qui avait entrepris cette quête des mois ou des années plus tôt. Mes aspirations, mes envies et mes besoins n’étant plus les mêmes, je ne tirais plus mon bonheur des mêmes choses.
Regarder en arrière à intervalles réguliers comme le fait Collins lui permet de s’appuyer sur des éléments concrets, relativement objectifs mais surtout de prendre des décisions informées. La manière qu’il a de procéder est très méthodique, codifiée et rationnelle.
Certaines personnes le font parfois de manière plus intuitive grâce à un journal qu’ils tiendraient de manière régulière. Revenir sur les entrées précédentes permettrait d’avoir à distance une vision relativement claire du ressenti à un moment précis. Le problème c’est que la plupart du temps les gens tiennent un journal pour se vider l’esprit plus que dans l’optique d’y revenir plus tard.
La technique de Collins me rappelle dans une certaine mesure la notion de “ideal day” évoquée par Ryan Holiday dans l’un de ses articles.
What Does Your Ideal Day Look Like? If you don’t know what your ideal day looks like, how are you ever going to make decisions or plans for ensuring that you actually get to experience them on a regular basis? It’s important to take an inventory of the most enjoyable and satisfying days of your life. What did you do? Why did you like them? Now be sure that your job, personal life, even the place you’ve chosen to live takes you towards these, not away from them. If you don’t want an office, don’t set up an office. I run my company remotely. If you enjoy being in harness and that’s what makes you feel good, then you’ll probably need something that has a lot of responsibilities and set requirements. If you enjoy influence more than material success, then make sure you pick something that allows for that. If you’re a quiet person, then you need a lifestyle that will let you be quiet — not one that forces you to be constantly not yourself.
J’aime beaucoup cette idée. Si tout était possible à quoi ressemblerait votre journée idéale? Répondre à cette question est en fait relativement simple. Le plus dur est d’agir de manière cohérente afin d’atteindre cet idéal par la suite.
J’ajouterais un point important à la citation ci-dessus. Je pense qu’il est intéressant de faire cet exercice de manière régulière, à plusieurs mois, voire années, d’intervalle. C’est ce que j’ai fait et les conclusions que j’en ai tiré sont assez intéressantes.
Je me suis de nouveau prêté à l’exercice très exactement à 1 an après l’avoir effectué la première fois. A la suite d’une année riche en rebondissements et difficile à bien des égards, je me suis rendu compte que ma vision d’une journée idéale… N’avait pas changée du tout.
Elle était restée exactement la même.
Malgré tout ce qui avait pu se passer, toutes les pistes que j’avais pu explorer, toutes les questions que je m’étais posé, lorsque je prenais le temps de m’asseoir seul face à une feuille blanche, sans autre contrainte ou obligation que celle d’imaginer ma journée idéale, j’en revenais toujours aux mêmes éléments : du temps en famille et avec mes amis, beaucoup de temps pour apprendre et nourrir mon insatiable curiosité, du temps pour écrire, créer ou construire, des rencontres et des échanges avec des personnes que j’admire, être proche de la nature et du temps pour me dépenser (beaucoup) physiquement. Tout simplement.
Je suis donc aujourd’hui de plus en plus convaincu que ces éléments sont indispensables à mon épanouissement.
Mais comme je l’évoquais plus haut, le plus compliqué n’est pas tellement d’identifier ce que l’on veut. Il existe de nombreux outils et exercices pour ça.
Non, le plus dur est d’agir de manière cohérente avec les envies et les objectifs que l’on se fixe.
Par exemple, je sais qu’être salarié ne me permet pas d’avoir la liberté à laquelle j’aspire et pourtant j’ai le sentiment d’être incapable de monter une entreprise qui me permettrait de subvenir aux besoins de ma famille tout en m’autorisant à me consacrer aux projets qui sont importants pour moi (si certains des lecteurs de cet article ont des conseils sur la marche à suivre, je suis preneur).
Je ne suis pas très épanoui à Paris parce que trop loin de la mer, au bord de laquelle j’ai grandi, mais j’ai choisi une carrière qui rend difficile le fait de quitter la capitale sauf si je choisis de me reconvertir.
J’ai un mode de vie qui ne me permet pas toujours de passer autant de temps avec mes amis et mes proches que je le voudrais mais je peine à trouver un autre moyen de m’organiser. J’ai beaucoup de projets qui sont très importants pour moi, je me donne un mal de chien pour les mener à bien mais parfois cela suppose de faire des sacrifices.
Prendre les décisions difficiles. Agir en conséquence.
J’écrivais il y a quelques mois dans un article défendant l’idée selon laquelle la volonté n’est pas suffisante lorsqu’il est question de changement les mots suivants :
J’ai l’intime conviction que nous avons tous une quantité limitée de volonté. Les manquements et les erreurs de jugement liés à la fatigue décisionnelle sont bien connus des psychologues et ont une incidence sur notre capacité à faire des choix au quotidien.
Je ne suis pas le premier à défendre cette idée et de nombreux articles ont été écrits sur le sujet. Ce qui m’intéresse, une fois ce constat effectué, c’est de savoir ce que l’on en fait.
J’ai alors repensé aux paroles entendues dans un podcast de Noah Kagan. Celui-ci revenait sur sa rencontre avec une personne qu’il admirait beaucoup autour d’un déjeuner quelques semaines plus tôt. Noah raconte qu’il fut très étonné de voir le serveur n’apporter qu’une carte au début du repas mais qu’il fut bien plus étonné encore de voir que son interlocuteur ne passait pas commande.
Malgré cela, le serveur revint quelques minutes plus tard avec deux plats.
A la fin du repas l’homme qui faisait face à Noah se leva, prit son manteau et se dirigea vers la porte. Kagan ne put s’empêcher de lui faire remarquer qu’ils n’avaient pas payé, ce à quoi son interlocuteur répondit que tout était déjà réglé.
Intrigué par ce qui venait de se passer, Kagan l’interrogea sur le déroulement pour le moins inhabituel de ce déjeuner. L’homme qui lui faisait face lui répondit :
“I do whatever I can to avoid friction in my life.”
Je trouve cette idée d’une simplicité et d’une élégance folle.
Déléguer, prévoir, planifier, automatiser… Autant de moyens possibles pour cet homme d’éviter les frictions, de mettre en place des systèmes pour éviter tout ce qui pourrait interférer avec le déroulement de sa journée comme il l’entend.
Apprendre à dire non est un autre moyen efficace, bien que parfois compliqué, de réussir à éliminer les points d’accroche, les pertes de temps, la mobilisation inutile de ressources (humaines, matérielles ou financières).
Une fois que l’on a réussi à avoir une vision claire de ce à quoi ressemble une journée idéale, et parce que la volonté ne suffit pas toujours ou bien parce qu’il n’est pas évident de faire les bons choix, alors se pose la question des systèmes que l’on peut mettre en place pour éviter les frictions.
De ce que l’on peut faire en amont pour alléger le poids des décisions, pour faciliter ce qui est nécessaire au bon déroulement de notre journée idéale et, à moyen terme, à notre épanouissement.
Le meilleur dans tout ça, c’est que l’on peut choisir la manière dont on aborde ces questions. Certains y verront un challenge, un casse-tête à résoudre qui nécessitera d’eux qu’ils engagent leurs capacités intellectuelles. Comprendre le monde dans lequel ils évoluent pour interagir avec lui et le changer.
D’autres y verront un jeu. Quelque chose de ludique.
A vous de choisir.
Pour ceux qui souhaiteraient essayer le système imaginé par Jim Collins, j’ai pris la liberté de créer un tableau très simple avec un système de filtre, notamment concernant les notes attribuées à chaque journée et le nombre d’heures passées sur ce que j’ai nommé le Focus#1.
Jim Collins a choisi de tracker le nombre d’heures passées à travailler de manière productive mais peut-être que pour vous il s’agira du nombre d’heures passées à jouer du piano, ou les heures passées avec vos proches. Voilà ce à quoi je fais référence lorsque je parle de Focus #1. J’envisage sérieusement de me prêter au jeu et je serais ravi d’échanger avec ceux qui décideront d’en faire de même.
Le tableau est en téléchargement sur mon site (en bas de l’article) : https://thomas-tissot.com/articles/2019/2/27/jim-collinsnbsp-une-approche-itrative-dunbspbonheur
Prenez soin de vous.
Thomas