Le bonheur est-il dans la durée ou dans le présent ?

Matthieu Giovanetti
Essentiel
Published in
6 min readMay 8, 2019

Au départ la philosophie a été conçue pour répondre à nos besoins les plus profonds et confronter nos perplexités.

Marc Aurèle, empereur de l’Empire romain, l’homme le plus puissant de la planète, s’asseyait chaque jour pour écrire lui-même des notes sur l’humilité, la conscience de soi et le sens de la vie. Et Sénèque était à la fois un dramaturge estimé, l’un des hommes les plus riches de Rome, un homme d’État célèbre et un conseiller de l’empereur Néron.

Les enseignements de tels sages du stoïcisme sont extrêmement populaires ces jours-ci. Tim Ferriss, auteur de “La Semaine de 4 heures”, l’utilise comme son “système d’exploitation personnel” et, bien sûr, Ryan Holiday, auteur prolifique en développement personnel, en parle aussi tout le temps.

Contrôler ou ne pas contrôler, telle est la question

Nous associons principalement le stoïcisme à l’instauration d’un sens étrange de calme face à tout. Dans de nombreux esprits, le stoïcisme est lié à une indépendance affective, semblable à celle de Dexter …

En effet, de nombreux stoïciens ont souligné qu’étant donné que la vertu suffisait au bonheur, un homme sage serait émotionnellement résistant au malheur.

Et selon le philosophe William Irvine, le but ultime du stoïcisme était la “tranquillité”, qui, a-t-il dit, était définie comme “le fait d’éviter les émotions négatives dans la mesure du possible”.

C’est ici que l’enseignement stoïcien le plus connu entre en jeu. La première étape pour y parvenir consiste à diviser strictement le monde en éléments qui nous incombent, et tout le reste.

En fin de compte, comme vous ne contrôlez pas le résultat, ne cherchez pas à y attacher votre bonheur et votre estime de soi.

Vous n’avez pas à vous soucier de ce que vous contrôlez, puisque vous en avez le contrôle. Vous n’avez pas à vous soucier de choses sur lesquelles vous n’avez aucun contrôle, car vous ne pouvez rien y faire.

En mettant en avant cette dichotomie du contrôle, le stoïcisme est un moyen efficace de retrouver le sentiment que nous avons une emprise sur nos vies.

Ressentir de la joie : un sentiment plus complexe qu’il n’y paraît

Pratiquer la “dichotomie du contrôle” est la raison pour laquelle le stoïcisme est mieux connu, mais il a aussi d’autres atouts à sa portée. Une autre pratique recommandée est la “visualisation négative” : imaginer comment les choses pourraient être pires.

Imaginez ce que ce serait votre vie si vos plus grandes peurs se réalisaient.

Si vous supposez que ce que vous craignez peut arriver va certainement arriver, mesurez-le dans votre esprit et estimez le montant de votre peur, vous comprendrez ainsi que ce que vous craignez est relativement insignifiant, prédit le stoïcien.

La visualisation négative est une astuce psychologique qui réduit les niveaux d’attentes et augmente ainsi votre bonheur.

Sénèque, dans ses célèbres lettres à Lucilius, conseille maintes fois de limiter nos désirs pour augmenter notre joie :

“Les richesses ont empêché beaucoup d’hommes d’accéder à la sagesse; la pauvreté est libre et sans fardeau… Les hommes ont souffert de la faim quand leurs villes ont été assiégées et quelle autre récompense pour leur endurance ont-ils obtenu que de ne pas tomber sous le pouvoir du vainqueur ? Combien plus grande est la promesse du prix de la liberté éternelle et l’assurance qu’il ne faut craindre ni Dieu ni l’homme ! Même si nous mourons de faim, nous devons atteindre cet objectif.”

Comme ce passage l’indique, ce n’est pas seulement l’évitement des émotions négatives qui concerne les stoïciens. Ce n’est pas pour rien que Sénèque a conseillé à son cousin Lucilius d’en faire de sa priorité numéro un:

“Avant tout, mon cher Lucilius, fais-en ton affaire: apprends à ressentir la joie.”

En conclusion, le stoïcisme ne vise pas seulement à vaincre le négatif, mais aussi à maximiser le positif.

Le sentiment du bonheur sans raison

Il y a d’autres humeurs temporaires, joyeuses, mais elles ne sont pas “une joie joyeuse”, selon Sénèque.

Si vos intuitions sont comme les miennes, vous répondrez que l’idée de joies peu gaies n’a pas de sens. Cependant, si nous rappelons l’importance accordée par les stoïciens à la distinction entre ce que vous pouvez contrôler et ce que vous ne pouvez pas, il semble que ce que veut dire Sénèque est que les plaisirs dont la source est purement interne sont les seuls véritables.

“Le vrai bonheur est de profiter du présent, sans dépendre anxieusement de l’avenir, non pas pour se divertir d’espoirs ou de craintes, mais pour se reposer de ce que nous avons, ce qui est suffisant, car il ne manque de rien.” — Sénèque, Lettres à Lucilius

Celui qui éprouve une joie véritable ne veut rien de plus que cela.

Cela vous semble-t-il peu réaliste, ou psychologiquement exigeant ?

Les philosophes du Mysticisme ne sont pas forcément en désaccord. Ils affirment que les personnes véritablement heureuses sont beaucoup plus rares qu’on ne le suppose.

Selon les mystiques, ces états mentaux sont la règle et non l’exception. Vous vous sentez bien, non pas parce que le monde a raison, mais votre monde a raison parce que vous vous sentez bien.

Sénèque applique la distinction entre ce que vous pouvez contrôler et ce que vous ne pouvez pas obtenir avec le sentiment de bonheur.

Ce sentiment robuste de bonheur sans raison me semble être une priorité dans nos vies. Quoi de mieux que de se sentir bien à chaque minute?

Et pourtant, quelque chose à propos de l’idée-même de la gaieté éternelle ne me paraît pas tout à fait juste.

Le paradoxe d’une gaieté éternelle dans la vie réelle

Jusqu’ici, nous avons vu deux revendications fondamentales :

(1) Si votre bonheur est causé par quelque chose qui pourrait vous être enlevé, qui vous est extérieur, alors ce n’est pas une joie réelle.

(2) Heureusement, il y a une “joie éternelle”, mais seulement dans la mesure où l’âme la découvre pour elle-même et en elle-même.

Mais le fait d’être heureux pour une raison est en réalité une forme de douleur. Le bonheur dépend de la source, et s’il y a un changement à cet égard, votre bonheur disparaîtra. Et puisque rien n’est permanent, cette source de bien-être disparaîtra aussi. Par conséquent, votre bonheur actuel n’est que souffrance déguisée.

Le plaisir est simplement un plaisir apparent, car son origine dépend de quelque chose qui n’est pas permanent.

C’est extrêmement déroutant. La vie consiste à désirer et à réussir ou à échouer, à tomber, à remonter, à être en colère et à perdre, puis à être extatique lorsque vous atteignez le sommet.

Si vous pensez que ces sentiments sont irréels, allez vivre, faites un choix, tombez amoureux, faites-vous mal, revenez en arrière, et vous allez changer d’avis.

Beaucoup de bonnes choses dans la vie proviennent de contrastes. Puis-je vraiment être satisfait si je ne me suis jamais senti triste ? Peut-être, mais pas de la même manière. Les expériences de solitude renforcent les sentiments ultérieurs de camaraderie.

L’idée d’une gaieté éternelle semble passer à côté de ces contrastes inhérents au fait de vivre.

Je me trouve en plein désarroi.

D’un côté, mon objectif est de devenir un être humain heureux, agréable et éclairé.

De l’autre, la philosophie m’affirme qu’il existe un état de bonheur de pure conscience.

Se pourrait-il que le seul moyen de connaître le vrai bonheur consiste à devoir comprendre la véritable nature de soi-même et de l’univers ? Quelle serait cette conscience mystique avec un C majuscule en chacun de nous ?

Voilà où j’en suis dans cette réflexion philosophique de pur questionnement, adaptée de l’article de Maarten Van Doorn.

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