Hank Moody — Californication

Le (dangereux et problématique) mythe de l’artiste maudit

Valentin Decker
Essentiel
Published in
5 min readMar 25, 2018

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Dans la série Californication, David Duchovny incarne Hank Moody, un écrivain vivant à Los Angeles qui a perdu l’inspiration, après avoir écrit un premier roman couronné de succès et adapté au cinéma.

Son éclair de génie ne dure qu’un temps ; une fois son premier livre publié, il perd l’inspiration et la flamme. Il devient irresponsable, cynique et se dévergonde.

Sa vie se résume à tenter de retrouver l’inspiration qui le fuit : il jongle entre drogue, alcool et non-respect des conventions sociales. Il conduit une Porsche Carrera vieillissante, comme symbole du succès passé qui l’a fuit.

Hank Moody concentre à lui seul un grand nombre de mythes qui entourent la vie d’artistes :

  • Il a eu, puis a perdu, l’éclair de génie
  • Il tombe dans tous les excès imaginables
  • Il vit en marge et ne respecte pas les conventions sociales

Fantasmes & mythes

Les artistes suscitent tous les fantasmes.

Quand on essaie d’imaginer le style de vie d’un artiste, il y a de fortes chances que cela ressemble à quelque chose comme ça :

  • On imagine un artiste reclus chez lui, à son atelier ou à son bureau. Il travaille seul, à moitié dans le noir. Il ne s’est pas douché depuis un bout de temps et se nourrit à peine. Il est négligé, en marge de la société et vit dans une condition misérable. Il est à moitié fou et incompris.
  • On image un artiste vivant dans les quartiers bobos de sa ville, qui se rend à toutes les expositions et dîners mondains, avec sa voiture de collection. On imagine un génie qui voit tout avant tout le monde, avec un don naturel. Il transforme tout ce qu’il touche en chef d’oeuvre.

Sa place dans la société est à part. Ce qu’il fait ne rentre dans aucun cadre préétabli.

Il est soit un artiste maudit, soit un artiste génie.

Il n’existe pas de milieu. Pas de compromis, ni d’entre deux.

C’est une vision que nous sommes nombreux à avoir instinctivement. Moi y compris.

Si l’on creuse ces deux catégories, on se rend compte qu’elles renferment chacune un très grand nombre d’autres clichés :

> L’artiste vit en marge de la société et refuse les normes sociales. Il est incapable de faire comme tout le monde. Il refuse de s’adapter aux règles et se comporte comme bon lui semble.

> Il refuse le système capitaliste, car l’argent corrompt son oeuvre. S’il n’est pas pauvre et ne vit pas dans une condition misérable, c’est qu’il n’est pas pur. Ceux qui gagnent de l’argent avec ce qu’ils font ne sont pas des artistes. Ils vendent leur âme au diable et font des compromis pour convenir au plus grand nombre.

> L’artiste passe ses journées enfermés chez lui à travailler comme un forçat. Il est forcément un bourreau de travail qui ne compte pas ses heures, car c’est le seul moyen pour lui de s’en sortir et joindre les deux bouts.

> L’artiste n’a pas à gagner d’argent puisqu’il fait un travail plaisant, pour lequel il est passionné.

> L’artiste est en retard, il est incapable de tenir la moindre deadline.

> L’artiste est excentrique, incontrôlable et ne se laisse pas dicter sa conduite.

> Il n’existe pas de modèle économique viable pour permettre à l’artiste de vivre de ce qu’ils fait. Son statut ne rentre pas dans le moule traditionnel du monde du travail. Ce qu’il fait ne s’insère pas dans la vie économique.

> L’artiste attend l’éclair de génie qui va faire décoller sa carrière et le rendre célèbre. Tout ne dépend pas de lui, il est tributaire de ce qui va passe dehors.

> L’artiste doit avoir la chance de se faire remarquer par quelqu’un d’influent. Il attend la personne qui va le choisir et qu’il va le sélectionner comme s’il était l’élu.

> Il doit absolument être le premier à faire ce qu’il fait. Si ce n’est pas à 100% original, cela ne peut pas être de l’art.

> La seule possibilité pour vivre de son art est de devenir une superstar et d’avoir des millions de fans à travers le monde.

> L’artiste atteint le succès, du jour au lendemain. L’inverse est également vrai : il peut exploser en vol à tout moment.

> L’artiste possède son talent de naissance et ce talent n’est pas accessible à tous. Ceux qui ne l’ont pas, n’auront jamais aucune chance.

Je pourrais continuer à lister ce genre d’absurdités pendant des heures, mais cela ne nous avancera pas.

Par contre, ce qui est intéressant, c’est d’essayer de comprendre d’où viennent ces mythes et pourquoi sont-ils si profondément imprégnés dans notre inconscient.

Pourquoi ces mythes existent et persistent ?

Pourquoi les adjectifs que l’on associe avec le mot « artiste » sont-ils toujours : torturé, génial ou maudit ?

Je vois 3 grandes explications :

1. Culture Populaire

Ces croyances sont entretenues par tous les éléments de culture populaire auxquels nous sommes exposés au quotidien : les films, la musique, les livres, les pièces de théâtre, etc.

En 1851, Henry Murger écrit Scènes de la vie Bohème. Son texte, qui raconte la vie bohème dans le Paris du XIXème siècle a été adapté à plusieurs reprises au théâtre, à l’opéra et au cinéma.

L’une des adaptations italiennes à l’Opéra, La Bohème, raconte la vie de 4 artistes qui vivent ensemble dans des conditions insalubres. Étant tous artistes, ils n’ont pas de quoi payer leur loyer et doivent brûler des livres pour se réchauffer tant bien que mal. Forcément.

Depuis, les références faites aux artistes qui dorment sous les ponts sont légion. Je parlais en introduction de Californication. Ce n’est qu’un exemple adapté à la sauce moderne.

2. Notre éducation

De notre naissance, jusqu’à nos 25 ans, l’ensemble de la société (l’école, nos parents, la société de consommation, la publicité, etc) nous explique que le plus important dans la vie est d’obtenir un diplôme et de trouver un boulot stable.

La vie d’artiste ne rentre pas dans ce cadre. Ce n’est pas la norme. Les seuls qui suivent cette voie sont des marginaux.

Être un artiste est toujours un plan B, un échec”. Voici ce qu’on doit penser.

3. L’image que renvoie eux-mêmes les artistes

La dernière explication vient des artistes eux-mêmes. Bien souvent, ce sont les premiers à se mettre en scène comme étant incontrôlables, fous et excessifs. Ils aiment renvoyer cette image de rockstar. Ils jouent avec les règles.

Ils ne veulent pas que leur réussite soit le fait de décisions stratégiques et de travail, non. Ce qu’ils veulent, c’est être considérés comme des génies au talent brut et naturel. Ils veulent être inatteignables. Ils veulent être différents.

Certains artistes à succès vont jusqu’à se priver et choisir eux-mêmes dans vivre dans des conditions misérables. Ça les rend plus authentiques, proche du “vrai art”. Celui qui souffre et qui galère.

L’artiste ne doit pas être un businessman, bon en marketing. Surtout pas.

Son truc, c’est la créativité. Rien de plus.

Le problème

Le problème, c’est qu’il n’y a rien de plus faux.

C’est l’idée que je défend dans mon second livre. Laisse-moi ton adresse mail si tu veux être tenu au courant de son avancé et sa sortie :

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