Les 5 formes de la résistance dans le processus créatif et comment les combattre

Nicolas Toussaint
Essentiel
Published in
6 min readDec 21, 2017
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Écrire n’est pas difficile. Ce qui est difficile, c’est de s’asseoir et de commencer à écrire.

Une force ancestrale, surpuissante et protéiforme réussit depuis l’aube de la création artistique à éloigner les artistes de leurs aspirations.

La résistance

Nous connaissons tous cette mélodie insidieuse qui, sous l’aspect de la raison, s’infiltre avec véhémence dans notre esprit, nous pousse à vaquer à nos occupations les plus futiles et à remettre nos projets artistiques à un futur — imaginaire.

Nous ne pouvons la palper, la voir et la sentir, trompeuse et sournoise, elle détruit nos ambitions, instille le doute et finit par brûler toute créativité.

Tant de talentueux confondus, dupés et perdus dans ses pièges les plus grossiers. Si seulement ils avaient pu mettre des mots sur leur mal, de nombreux chefs-d’œuvre auraient dépassé la nuit trouble de la création pour venir rayonner sur l’humanité.

Nous ne pouvons ignorer ses forces sous peine d’échouer, Le combat est inégal, le rapport déséquilibré.

La résistance ne pouvant être annihilée, nous devons apprendre à identifier toutes ses ramifications pour pouvoir, malgré tout, coopérer avec et s’élever vers les plaines lumineuses du commencement, de la constance et de la finition dans le processus créatif.

Dans son livre The War of Art, Steven Pressfield parvient à mettre des noms sur les multiples visages de la résistance. Passons en revue les cinq principaux.

1. Procrastination

Un écrivain qui attend les conditions idéales pour travailler va mourir sans mettre un mot sur le papier — E. B. White

Tous les maux de l’artiste peuvent prendre la forme de la procrastination. Se terrer dans sa solitude, se couper du monde des vivants pour des heures, poursuivre son objectif avec ardeur sans céder aux supplications de notre bruyante société, voilà qui demande une abnégation et une volonté sans faille.

Le moindre signe de faiblesse, comptons sur la résistance pour s’y engouffrer. Le monde réel viendra le rattraper et des millions d’activités plus « importantes » se poseront à son esprit. Alors, l’artiste, s’il ne la reconnaît pas sous ses traits fallacieux, peut tomber dans l’abime de remettre continuellement à un demain hypothétique ses projets.

La procrastination est une force exponentielle, plus nous y cédons, plus le navire tangue et plus les écueils se multiplient à l’horizon. Elle nous ronge l’esprit à feu doux. Alors, la prochaine fois que cette voix suave nous adresse des mots d’amours, disons-lui simplement que nous ne sommes plus dupes ! Passons à l’action. Aujourd’hui.

2. Satisfactions immédiates

La volonté sait bien rarement résister à l’attrait du plaisir ; on veut toujours ce que l’on aime, mais il y a souvent du danger à aimer ce que l’on veut — Alfred Auguste Pilavoine

Qu’est-ce qui différencie la satisfaction durable de ses soeurs revanchardes qu’on appellera les « immédiates » ? Vous savez sûrement lesquelles la société occidentale dans laquelle nous vivons privilégie. Nous sommes bombardés par les immédiates à longueur de journée et les recherchons avec voracité. L’alcool, les relaxants, les drogues, la dernière série Netflix, faire l’amour apportent d’intenses satisfactions… éphémères.

Le soucis : ces shots de plaisirs ne durent pas éternellement et sont suivis par une descente, un retour à la réalité, brutal, parfois. Bien sûr, un verre de vin, un doliprane, un épisode de Stranger Things ou notre dernier rapport sexuel ne sont pas forcément des tentatives d’échapper à nos responsabilités. Pour le savoir, il suffit de mesurer le degré de vide que nous ressentons une fois l’euphorie terminée. Si nous nous sentons exténués mentalement, que nous cherchons des réponses à des questions du type “ Ma vie a-t-elle un sens ? ”, il est probable que la résistance se soit emparée de nous.

À contrario, terminer son livre, sa toile, sa sculpture ou encore son album se rangent dans la catégorie « satisfaction durable » et mènent vers le chemin du bien-être. La notion de bien-être reste bien vague et subjective, mais, on peut au moins s’accorder sur le fait que nous nous sentirons plus épanouis après avoir rempli un de nos objectifs artistiques qu’après avoir descendu une bouteille de whisky. Charles Bukowski, par exemple, maniait très bien l’art d’être ivrogne et d’écrire, de bien écrire. Combien de Bukowski pour de centaines d’oubliés ? Méditons.

3. Rationalisation

La rationalisation est le bras droit de la résistance. Son boulot consiste à nous prémunir de la honte que l’on pourrait sentir si l’on regardait vraiment en face les lâches que nous sommes de ne pas faire notre travail. — Steven Pressfield

La voix que prend la résistance peut prendre l’allure de la raison, de la sagesse et même de la prudence. On appelle ça la rationalisation. C’est une forme très vicieuse car les arguments qu’elle nous envoie sont convaincants et résonnent avec un vif écho dans notre esprit.

Notre œuvre peut attendre mais pas la demi-finale de la ligue des champions, notre œuvre peut attendre mais pas cette beuverie déguisée de l’année thème Gatsby, notre œuvre peut attendre mais pas nos enfants, notre conjoint qui nous attendent à dîner — sur ces trois exemples, un seul est rationnel, si vous ne l’avez pas identifié relisez le point précédent.

Plus nous cédons, plus nous mettons de côté nos objectifs, plus il sera difficile de stopper la rationalisation. La brèche s’entrouvre et de nouvelles voix n’hésitent pas à s’y précipiter. Le message ici n’est pas de devenir un ermite, simplement quand nous planifions nos heures de travail, rien ne doit pouvoir nous perturber, rien. Plus rien au dehors ne doit faire sens, pas même les dîners de famille.

4. Critiques et comparaisons

Comparaison n’est pas raison. — Raymond Queneau

De notre point de vue, les « autres » sont soit des bidons, soit des extraterrestres. La résistance peut prendre les formes des complexes de supériorité et d’infériorité.

Si nous nous mettons à critiquer, calomnier, pointer du doigt le travail des autres, il est probable que nous n’ayons pas encore commencé le nôtre. C’est une forme de résistance que de perdre du temps à s’occuper d’autrui.

D’une autre part, les comparaisons. Les autres seraient plus talentueux, prolifiques, inventifs, inspirés, déterminés, intelligents que nous ! Cela ne sert à rien de s’y mettre, nous n’arriverons jamais à faire mieux. Pourquoi se faire du mal ? Cette spirale infernale des comparaisons, peut, à termes, nous faire renoncer par peur de se confronter aux jugements du monde extérieur. Disons le clairement : il n’existe pas de peur plus irrationnelle que celle-ci. Personne ne nous scrute à la loupe prêt à démolir notre travail à la moindre occasion.

5. Le perfectionnisme

C’est la perfection même de l’homme que de découvrir sa propre imperfection. — Saint-Augustin

Il n’existe qu’une fine frontière entre le perfectionnisme et l’inaction. Vouloir atteindre toujours la perfection amène à l’insatisfaction chronique et à un dégout viscéral de l’art pratiqué. Relire, reformuler, effacer, encore et toujours, nous fait perdre un temps précieux que nous pourrions usé à d’autres projets.

S’en détacher est difficile, nous voulons donner de notre mieux, ne décevoir personne et si cela doit passer par des heures de corrections et peaufinages … qu’il en soit ainsi. Eh bien, non. Que cette virgule soit ici ou là, tout le monde s’en fout.

Une autre face du perfectionnisme : vouloir écrire au premier jet Hamlet ou l’Odyssée. Il n’y a pas de mal à être très ambitieux, mais cela a tout de même plus de chance de nous pétrifier que de nous transcender.

Les remèdes à la résistance

Ces cinq manifestations de la résistance apprivoisées, toutes les autres, vastes et variées, pourront être détectés plus aisément. Notre relation avec elle devient alors très ambiguë : nous tombons dans ses travers mais jamais très longtemps. Nous sommes parés à contrer l’adversité, n’avons plus la moindre excuse.

Pour finir, voici les grandes clés qui permettront de rendre le voyage de la création en compagnie de cette envahissante voisine qu’est la résistance moins pénible :

  • S’armer d’une patience tenace
  • Construire une routine quotidienne
  • Poser des objectifs précis à court et long termes
  • Écrire avec le cœur, être sincère dans sa démarche
  • Apprendre à être misérable

Créer n’est pas chose aisée. Il faut apprendre à recevoir des gauches, des droites, des uppercuts à n’en plus finir. La résistance, agile, pleine de prestesse et infatigable ne peut être battue sur son propre terrain. Changeons de paradigme, acceptons-là pour ce qu’elle est. La guerre, alors, est déjà presque gagnée.

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