Pourquoi avoir une déco qui nous ressemble nous rend plus heureux ?

Djamila KROURI
Essentiel
Published in
6 min readJan 23, 2021

Dans cet article, je m’intéresse à la décoration d’intérieur et l’ameublement. Est-ce une simple question d’esthétique superficielle ou au contraire un besoin plus profond ayant un impact direct sur notre bien-être et santé mentale ?

Les épisodes de confinement ont montré l’importance qu’avaient nos lieux de vie sur notre bien-être.

Certains l’ont bien vécu, d’autres, moins bien lotis, en ont souffert.

Tout le monde se souvient à l’annonce du premier confinement, des longues files d’attente devant les grandes enseignes de bricolage et de jardin. Soudainement, les gens se sont pris d’un besoin urgent de bricoler ou décorer leur intérieur.

Phénomène qui n’a pas dû étonné la sociologue Perla SERFATI — GARZON auteure de CHEZ SOI. LES TERRITOIRES DE L’INTIMITÉ publié en 2003, qui a consacré sa carrière à étudier les rapports entre la personne et l’environnement bâti.

D’après la sociologue, la maison est l’expression de nos pensées et actions, montre qui nous sommes vraiment, elle est le reflet de soi.

Elle y explique à partir de quand la société a commencé à s’approprier ses lieux de vie et à s’y sentir bien.

En 2020, le psychanalyste Patrick AVRANE publie MAISONS-QUAND L’INCONSCIENT HABITE LES LIEUX, l’auteur va jusqu’à dire que la maison est une « enveloppe » comme une seconde peau.

Pour lui : « la maison n’est pas faite que de pierres, de briques ou de béton, elle porte les traces inconscientes de ceux qui l’habitent. »

Ainsi, dans les rêves elle représente le corps. Cela expliquerait aussi les cambriolages vécus comme un viol de l’intimité.

Pour l’enfant, quand vient l’âge de la séparation du cocon familial, au moment d’entrer en crèche ou dans un environnement étranger, il exprime souvent le besoin d’emporter avec lui un doudou ou une tétine, symbole de son territoire intime, de sa seconde peau.

Le psychanalyste rappelle également que pour la plupart des gens, nous n’y habitons pas seul. Se pose alors la question de l’aménagement de nos espaces : intimes, familiaux, professionnels et du bon équilibre à trouver.

Pour certains, le télétravail durant le confinement s’est révélé être un exercice difficile, faute de moyens ou de préparation, où l’intrusion des enfants dans l’espace professionnel a été très mal vécu.

Je me demande alors comment vivaient nos ancêtres ? À partir de quand est nait ce besoin d’intimité et d’appropriation de nos lieux de vie ?

Pour Perla SERFATI et Patrick AVRANE, le processus a commencé au 19e siècle avec d’une part l’enrichissement de la population et d’autre part la disparition du risque à vivre seul ou isolé.

Selon Patrick AVRANE, l’intimité chez soi a mis fin à la promiscuité et la transparence. Il faut savoir que jusqu’au Moyen Âge les familles vivaient et dormaient dans des espaces ouverts, il n’y avait pas de chambre particulière ou de pièces à destination spécifique. Pas de « jardin secret ». La maison était ouverte au cercle familial comme aux étrangers.

Vivre reclus ou isolé de tout le monde était mal vu ou réservé aux personnes malades ou dangereuses pour la société.

Plus tard au 19e siècle, les questions d’ameublement et décoration étaient un privilège de bourgeois. C’était un signe d’appartenance à une certaine classe sociale. L’objectif était alors de ressembler le plus possible au voisin. C’est pourquoi on trouve encore aujourd’hui dans des villes, sur une zone concentrée, un ensemble de maisons construites dans des matériaux similaires. On pouvait aussi y lire sur la façade des emblèmes symbolisant la catégorie de métier ou la religion d’appartenance.

L’enrichissement global a permis au reste de la population d’accéder à plus de confort, ce qui a induit un nouveau besoin : l’individualisation et la passion pour l’objet rare.

Désormais, l’enjeu n’est plus d’imiter le voisin, mais au contraire de montrer sa singularité en s’appropriant son propre espace. Il est question aussi de se construire des « murs » de défense, de décider quelle partie de la maison nous laissons ouverte aux visiteurs et quelle partie relève de l’intime, du « jardin secret ».

Les Grands Magasins

C’est ainsi que sous l’administration du Baron Haussmann, on a commencé à construire dans les appartements des couloirs, entrées, galeries de réception ou chambres de bonne pour ne pas mélanger les espaces intimes des espaces publics.

C’est dans ce contexte historique exceptionnel avec la transformation de la capitale de France grâce aux travaux haussmanniens qu’Émile ZOLA a écrit son roman Au Bonheur des Dames.

Nous sommes sous la Troisième République, l’idéologie de l’époque est de faire croire que le progrès social profitera aux petits employés. Comment ? Par des systèmes astucieux, on fait miroiter l’accessibilité de l’objet rare à des prix abordables ou au moyen de crédits. Si l’on met de côté l’aspect visionnaire du roman de Zola et les effets dévastateurs que les grands magasins ont eus sur le petit commerce, on s’aperçoit que le 20e siècle est dans la continuité de ce modèle. Des galeries Lafayette, magasins Printemps à IKEA ou AMAZON, tous ces commerces ont pour vocation d’entretenir le consumérisme.

Néanmoins, tout le monde n’a pas forcément les moyens de faire appel à un Décorateur ou un Architecte. Ces enseignes représentent une bonne alternative pour les personnes qui souhaitent personnaliser leur intérieur. Ainsi, chiner dans les brocantes à la recherche de l’objet rare fait partie d’un des loisirs préférés des Français.

Maison cocon

En plus de personnaliser son intérieur, il ressort une volonté de se sentir à l’abri chez soi, une ambiance douillette, comme dans un cocon. À la manière de nos amis norvégiens, on peut constater la grande influence scandinave dans les tendances déco et sur les réseaux sociaux. On se plait à se photographier en grosses chaussettes blotties dans un plaid, un chocolat chaud à la main au coin d’une cheminée pour ceux qui ont la chance d’en avoir une. La recette du « Hygge » le bonheur à la danoise.

Seulement, le 21e siècle, avec les crises sanitaires, le réchauffement climatique et l’accroissement démographique, pousse la société à répondre à de nouveaux défis environnementaux et sociétaux. Le réveil post-moderne entraine une remise en question du consumérisme à outrance, de la préservation des milieux naturels et de la densité urbaine. C’est dans ce contexte, qu’est nait le minimalisme et la mode de la « seconde main. »

Le concept est de désencombrer son espace de vie, se détacher des objets auxquels on a accordé trop d’importance. Les bénéfices de ce mode de vie sont multiples : consommer responsable, réduction des déchets, épargne reconstituée grâce aux économies réalisées, retour aux produits de qualité plutôt qu’à la quantité, gain de temps précieux sur le rangement quotidien et la liste est encore longue ! Le sujet mériterait un article dédié. Mais avant tout, le succès du minimalisme résulte de la sensation de bien-être qu’il procure à vivre dans un espace aéré et rangé. Le sentiment de maitriser son environnement et de rester focus sur ce qui nous semble essentiel.

Je conclurais donc par une citation de Patrick AVRANE : « La maison est comme notre corps, pour bien vivre, il faut être bien dans sa maison. Ne pas hésiter à changer les habits de sa maison comme on change ceux de son corps. »

Alors vive la Déco, vive le rangement ! Exprimez-vous !

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Djamila KROURI
Essentiel

Consultante immobilier, coach expert, anime le blog www.dja-chez-moi.com sur la sociologie urbaine, l'immobilier d'aujourd'hui et de demain.