Pourquoi j’ai quitté la médecine pour le conseil en entreprise ?

Le pouvoir de la culture

Aymeric de Fleurian
Essentiel
5 min readNov 14, 2018

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Pendant 12 ans, j’ai été psychiatre et j’ai aimé — à peu de choses près — l’ensemble de ce que j’ai fait. Les adolescents dont je m’occupais étaient en grande souffrance. Souvent, leur histoire s’écrivait au rythme des ruptures, des traumatismes et de la solitude.

La souffrance, celle des autres, accompagnait chaque jour mon quotidien. Trouver des réponses à la douleur lancinante d’une vie trop compliquée n’est pas chose facile. C’est un pari de chaque instant et il n’y a pas de garantie que l’énergie déployée soit source d’une amélioration.

Cette réalité brutale m’a conduit à interroger en permanence ce que je pouvais faire de mieux pour leur apporter plus de bien être. Après 6 années, s’est imposée à moi l’idée que cela dépendait de la qualité des expériences relationnelles que les “soignants” pouvaient leur offrir.

J’ai alors commencé à être particulièrement attentif à ma manière d’être auprès d’eux, à ce qu’ils soient toujours au clair avec ce que je cherchais à leur apporter et qu’ils perçoivent combien ils avaient de l’importance pour moi, bien que je restais avant tout leur médecin.

Le suivi en consultation a malheureusement ses limites et la frustration de ne pouvoir aider plus mes patients était de retour. C’est à cette époque que j’ai eu la chance de me voir confier une structure expérimentale d’hébergement pour adolescents en souffrance. Cette responsabilité a été un point de bascule dans mon parcours.

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Comment soutenir la cohérence d’une équipe ?

Face à ce projet pour lequel j’avais une liberté presque totale, ma conviction de l’importance de la qualité relationnelle n’a pas fléchi. La clarté de ce que je souhaitais développer se confrontait pourtant à la réalité du terrain. Comment faire pour que chaque membre de l’équipe que j’encadrais intègre ma vision et la restitue dans son intervention auprès des adolescents au quotidien.

Rétrospectivement, je considère que les 6 années que j’ai passé à affiner ce dispositif, à accompagner cette équipe et à apporter un authentique soulagement aux adolescents accueillis, ont été une profonde source de satisfaction professionnelle et une franche réussite sur le plan de la qualité des soins. Cela n’a été possible que lorsque j’ai compris et, encore plus qu’on m’a aidé à comprendre l’importance de construire une culture lisible, transmissible et vivante.

J’ai tout au long de ma carrière de psychiatre considéré que les vrais acteurs du soin psychique n’étaient pas les médecins mais les acteurs du terrain, ceux qui reçoivent avec le plus d’acuité la souffrance, qui doivent l’accueillir, la contenir et la transformer. J’ai ainsi toujours mis beaucoup d’efforts à m’assurer d’être un étai pour eux. “Prendre soin des équipes” est devenu mon leitmotiv.

Le soin psychique est avant tout un soin relationnel. La relation à l’autre est notre outil de travail principal. Si on ne prête pas une attention particulière à la qualité des dynamiques qui se déploient au sein d’une équipe soignante, rapidement elle se désagrège et n’est plus en capacité d’accueillir l’autre. Fin du soin.

J’ai progressivement pris conscience avec acuité et parfois dans la douleur de l’importance de mon rôle dans la cohésion de mon équipe. Si je voulais qu’ils fassent vivre ma vision, je devais m’assurer d’en être une incarnation constante. Mener par l’exemple a pris tout son sens pour moi. J’ai travaillé à être lisible, disponible, accessible, clair dans mes attentes, soutenant, compréhensif et valorisant. Les prémisses de l’efficience de cette équipe étaient posées.

Une équipe ne fonctionne que lorsque ceux qui l’accompagnent s’en donnent les moyens L’efficience est de la responsabilité de ceux qui encadrent, pas dans la contrainte mais dans le soutien.

Comment une culture partagée organise les relations ?

Accueillir l’autre, quel qu’il soit, adolescents, familles, partenaires, collègues, stagiaires.

Etre attentif à la réalité de l’autre, souvent différente de la nôtre, et prendre le temps de l’écouter et de la comprendre.

Se rendre lisible pour l’autre afin de lui permettre de savoir où on l’emmène.

Se rappeler des objectifs que l’on s’est donné.

Interroger en permanence le sens et l’intérêt de ce que l’on met en œuvre.

Ces valeurs sont devenues des habitudes au sein de l’équipe. Au travers des échanges, des expérimentations partagées et d’un travail constant de réinterrogation du dispositif, notre culture est née, s’est renforcée et est devenue transmissible à ceux qui nous rejoignaient.

Sans que tout soit parfait, il était possible de conflictualiser avec sérénité. La contradiction n’était plus une menace identitaire contre laquelle il fallait se défendre, mais un point de vue potentiellement enrichissant.

Les effets bénéfiques sur les adolescents ont été substantiels. J’irais même jusqu’à dire que la qualité des soins que cette équipe apportait m’a redonné foi dans ce métier et dans la possibilité d’aider des individus qui souffrent au delà de ce que l’on peut imaginer.

Nous avons construit collectivement une culture, modélisée avec minutie pour répondre à notre mission et à la vision que j’envisageais à l’origine du projet. Evidemment cette vision s’est transformée au fil du temps, nourrie par les apports de chaque personne qui a composé l’équipe, transitoirement ou durablement. Mais nos valeurs ont toujours été là pour nous aider à penser le sens de notre travail, les décisions que nous devions prendre, la direction que devait emprunter ce dispositif.

Pourquoi arrêter et devenir consultant auprès des entreprises ?

Il peut paraître paradoxal de se désengager d’un métier qu’on aime, et dans lequel on expérimente des réussites.

Cette expérience m’a doté de convictions. J’ai ressenti l’importance de les partager. Cette question du partage est un autre pan central de mon parcours. J’ai animé à maintes reprises formations, conférences et travaux de groupe. J’aime ce moment où l’on perçoit un éclair dans le regard de ceux que l’on accompagne, un éclair qui nous indique que notre parole prend sens et qu’elle aide l’autre à croître.

La révélation de l’importance de la culture d’un groupe humain, des valeurs qui en découlent, des effets relationnels et de l’efficience qui y est liée, s’est brutalement confrontée à ma représentation du monde de l’entreprise. Le prisme médiatique renvoie au désengagement et à la souffrance au sein de la société, particulièrement dans le monde du travail.

Et si je pouvais transmettre cela, n’y aurait-il pas moins de souffrance au travail ? L’efficience qui en découlerait ne serait-elle pas un facteur mobilisateur pour les dirigeants ? Et si je pouvais réenchanter d’autres groupes humains ?

De nouvelles perspectives ont émergé. J’ai eu le sentiment que les valeurs qui m’animent et que j’aspire à transmettre avec humilité peuvent être un réel bénéfice pour les entreprises. J’ai même la naïveté de penser que l’importance de mon éthique professionnel et de mon engagement à prendre soin des autres ne se perdront pas en route.

Et après ?

Un vaste inconnu s’ouvre devant moi. Je découvre un monde très différent mais source d’apprentissage permanent. J’ai l’espoir que le sens que je donne à cette nouvelle opportunité ne sera pas galvaudé en chemin.

Quoi qu’il arrive, je reste convaincu de la nécessité de prêter attention aux relations que l’on entretient avec les autres, quels qu’ils soient. Si les relations sont fluides, sans implicite non énoncé et s’inscrivent dans un sens partagé de ce qui nous lie, le groupe tiendra face à l’adversité, sera résilient et luttera efficacement contre les frictions inhérentes à l’intersubjectivité.

Si vous souhaitez me retrouver, c’est par ici.

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Aymeric de Fleurian
Essentiel

Médecin spécialisé en psychiatrie, observateur et théoricien du psychisme humain et des organisations humaines. www.mind-ontology.fr