Pourquoi la vie qu’on nous a promis ne fait plus rêver ?

Les jeunes diplômés veulent en finir avec les « métiers à la con ».

Alexis Minchella
Essentiel
Published in
8 min readOct 12, 2017

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Je me souviens des forums entreprises organisées par mon école. Des dizaines de grands groupes et de banques étaient là, prêtes à accueillir les nouvelles recrues fraîchement diplômées.

Leurs discours étaient tous le même : institutionnel et dénué de sens. Ils avaient pour seule distinction la couleur de leur plaquette. Et pourtant tous les étudiants en costume/tailleurs, stressés, faisaient la queue pour déposer leur CV fraîchement imprimé. Je me dis aujourd’hui que tout ça, ce n’était pas pour moi.

Jean-Laurent Cassely nous parle de tous ces premiers de la classe qui ne veulent plus de ces métiers de l’ancien monde, perchés dans les tours des quartiers d’affaires. Lui, est journaliste et écrit sur la vie et l’oeuvre des classes supérieures.

Dans La Révolte des Premiers de la Classe publié aux éditions Arkhé, il est allé à la rencontre de ces jeunes qui se sont posés des questions et se sont reconvertis. Il explique ainsi pourquoi et comment des diplômés se retrouvent à ouvrir une micro-brasserie, un food truck ou une librairie. Cet article prend appui sur la pensée de l’auteur ; Jean-Laurent Cassely.

Dans cet article, nous allons nous poser 3 questions :

  • Cette hype médiatique de reconversion est-elle encore marginale ?
  • Pourquoi certains métiers ne font plus rêver ?
  • Comment s’y prennent-ils pour changer de vie ?

La révolte annoncée reste-t-elle anecdotique ?

Chez ces jeunes en quête de sens, la vie qu’on leur promet en sortie d’études ne fait plus rêver. Ainsi, certains d’entre eux décident de faire un virage à 90° pour devenir des néo-artisans. Mais ce phénomène est-il si répandu ?

Une sur-médiatisation du phénomène

Lorsque l’on s’intéresse à ces histoires de reconversion, voilà à quoi pourrait ressembler l’article-type du média populaire :

Une jeune executive woman, issue d’une grande entreprise, à qui tout réussit, décide de quitter le confort de sa situation sociale pour se tourner vers la pâtisserie.

On observe un véritable engouement de la presse et des médias pour ces parcours alternatifs. À tel point que ces reconversions semblent aujourd’hui être légions pour une génération qui se pose des questions.

Matthew B. Crawford est un des portes-paroles international de ce nouveau phénomène. Il est d’ailleurs devenu le réparateur de motos le plus célèbre au monde après son Éloge du carburateur, essai écrit en 2009 sur le sens et la valeur du travail. Il y raconte notamment comment sa vie de bureau l’a conduit à ouvrir un garage. Comme beaucoup, il a décidé de faire des choses concrètes !

Qu’en est-il du phénomène en France ? Aujourd’hui, un repreneur sur dix a désormais un niveau d’études correspondant à bac +5. Si cette proportion continue à progresser, ils pourraient bien former un groupe social à part entière à horizon 2020. Ce n’est donc pas étonnant que leur visibilité dans la société continue de se développer. Ce qu’il faut comprendre derrière ces données, c’est la proportion minime de ces reconversions dans le paysage de l’artisanat en France. Le phénomène reste donc aujourd’hui à la marge.

Ces chiffres permettent de se poser quelques questions sur notre rapport au travail, aux études et à la hiérarchie sociale. Les premiers de la classe se rebellent.

Qui sont ces premiers de la classe ?

Jean-Laurent Cassely reprend l’expression des premiers de la classe tout au long de son livre. En effet, ils étaient bons élèves, en études supérieures avec les bonnes filières et les bonnes écoles.

Ils sont les gagnants de la compétition scolaire et pourtant, ils n’y trouvent plus leur compte. La formule « faire de longues études pour avoir un métier intéressant, épanouissant et bien payé » ne fonctionne plus. Ils n’y croient plus.

Comme évoqué plus haut, ils ne sont que très peu à changer radicalement de métier : 1 % d’une promotion d’école de commerce. Mais cette minorité inspire. Elle montre à bien plus d’étudiants, qu’il n’existe pas de chemin tout tracé pour s’épanouir au quotidien et être content de se lever le matin.

Je vais reprendre une citation d’Antoine, ancien consultant devenu brasseur qui illustre bien le malaise de beaucoup de jeunes diplômés :

Quand tu fais Sciences Po, tu vois beaucoup de gens qui vont finir chef de projet de quelque chose dans une agence, à se faire chier. Parce que soyons francs : on n’apporte aucune valeur ajoutée à la société. On passe notre temps à pisser dans un violon, avec des clients qui, en face, ont suivi le même cursus que nous et qui eux-mêmes sont tristes. Et on est tous là en train de se mentir. L’entreprise est une fabrique de tristesse. — extrait du livre “La révolte des premiers de la classe”

La France des open-spaces s’ennuie

Les jeunes cadres dynamiques ont souvent l’impression que leur travail est devenu ennuyeux, répétitif voire déconnecté. Une coquille vide.

Ce malaise porte un nom : le déclassement social. Aujourd’hui, il faut un niveau supérieur à celui de ses parents pour occuper une position comparable à la leur.

Par exemple, près de 35 % des bac +5 qui ont obtenu un master après leurs études en 2007 étaient objectivement déclassés en 2010 : ils n’exercent pas un emploi de cadre. Le diplôme n’assure plus cette position privilégiée que nos parents convoitaient.

Ceux qui ne veulent alors plus suivre les règles, s’émancipent pour faire entendre leur voix.

On nous a promis la lune, un bon salaire, des responsabilités, mais on met quinze ans à les avoir, et certains n’ont pas la patience.

— extrait du livre “La révolte des premiers de la classe”

Les rares intellectuels encore épargnés sont ceux qui disposent d’une autonomie suffisante pour s’épanouir.

Pourquoi nos métiers sont devenus nuls ?

Ce que les jeunes fuient, c’est la perspective d’exercer un « métier à la con ». Cette formule a été inventée par David Graeber, anthropologue de formation.

Tout au long du livre, le malaise de notre génération se retrouve beaucoup dans les open-spaces des grands groupes et des cabinets de conseil. Je ne pense pas que cela puisse être généralisé.

Si je prends l’exemple des start-ups que je connais personnellement, les critiques présentées ne se retrouvent pas dans ce milieu. L’approche du management est différente, le “bullshit” laisse place à l’autonomie et à la créativité et l’atmosphère de travail est souvent plus saine.

5 raisons de l’appauvrissement des métiers

La convergence de ces cinq évolutions explique pourquoi des jeunes, fraîchement arrivés dans le monde du travail ne s’y retrouvent plus.

  1. Mondialisation : le rapport au temps et à la distance fait de notre monde, un « village global ». Les travailleurs qualifiés ne sont plus qu’un immense back-office du gigantesque atelier que sont devenus les pays du Sud.
  2. Bureaucratisation : l’hyperspécialisation et la fragmentation des tâches ont alourdi les processus. On passe plus de temps à évaluer ce que l’on fait, éditer des rapports et demander l’aval de son N+4, plutôt que faire.
  3. Financiarisation : le rendement est au centre de toutes les prises de décisions. La finalité du travail n’est plus de produire quelque chose, mais d’en tirer le meilleur retour sur investissement.
  4. Numérisation : le digital a vu arriver de nouveaux outils qui nécessitent à leur tour d’autres nouveaux outils de gestion pour simplifier l’organisation du travail. Cette complexification du travail nous éloigne un peu plus de la réalité.
  5. Quantification : le reporting est devenu une religion du management. Ils sont ainsi vus comme une finalité et non comme un moyen de s’améliorer et de faire mieux. Des armées d’employés s’affairent donc, tous les jours à construire des reportings et des tableaux Excel qui ne seront jamais regardés.

Comment s’y prennent-ils pour changer de vie ?

Le retour à l’école s’impose parfois pour revenir à l’essentiel et apprendre un nouveau métier. Les fondamentaux permettent à ces néo-artisans de se reconnecter à la réalité du terrain. C’est également un bon moyen de confronter sa vision de l’artisanat et les manières de faire au quotidien.

Faire, pour retrouver du sens

“C.A.P is the new H.E.C”. Pour ces néo-artisans, retrouver les bancs de l’école est un bon moyen de tester sa motivation pour ce changement de vie radical. Se tourner vers ces métiers permet de se redécouvrir et guérir d’une frustration que beaucoup ressentent : faire des choses qui n’ont aucun impact.

Les petits commerces de détail cochent toutes les cases et se place en tête des vœux de reconversion.

Il ne faut pas aussi oublier ces artisans du contact : prof de yoga, coach, enseignants, … Ces métiers ont pour la plupart une utilité sociale démontrée.

Le nouveau fantasme hyper-urbain

À la différence des hippies s’exilant loin des villes, cette nouvelle vague est urbaine. Tout le monde veut recréer cette petite rue commerçante de centre-ville, loin des franchisés et des grosses industries. L’idée derrière : améliorer l’expérience de vie urbaine et recréer des lieux de rencontre.

Mais à quel prix ?

Ce phénomène porte un nom : la brooklynisation. Il est employé pour désigner l’apparition de commerces de produits haut de gamme. Il se développe dans toutes les grandes villes mondiales.

Les entrepreneurs urbains proposent ainsi un nouveau business model. Les processus de fabrication ne sont pas industrialisés, chaque unité est unique et donc vendue à un bon prix.

Ils ont également fait le choix de quitter une concurrence mondialisée pour un marché plus restreint. En général, un quartier.

Leçon de capitalisme hipster

Jean-Laurent évoque cette boboïsation / hipsterisation des centres-ville en citant le livre Hipster Business Models, publié en 2015. L’idée était de présenter, entre autre, quelques règles de l’économie hipster : fabriquer un produit que l’on aime au point de vouloir le faire soi-même. Vérifier si ça intéresse quelqu’un. Et recommencer.

Il y a alors une vraie identité et un vrai partage de passion entre le producteur et ses clients. Le business model du hipster lui permet également de décliner sa marque et sa vision sur différents supports : livres, articles, vidéos, photos, etc.

Les néo-artisans, bien que fuyant cette économie de la connaissance, ne peuvent pas s’émanciper totalement. Ils ont encore besoin de la technologie, du digital et des réseaux sociaux pour exister, se faire connaître, raconter leur histoire et diffuser la bonne parole.

Finalement, ces nouveaux hipsters souhaitant s’émanciper des codes capitalistiques établis depuis des années ne seraient-ils pas les nouveaux capitalistes du XXIème siècle ?

Si on fait le bilan, on se rend bien compte que ces reconversions sont aussi le résultat d’un mal-être de la société. Les gens ne trouvent plus de sens à ce qu’ils font. Il n’y a qu’à s’asseoir dans le métro aux heures de pointe pour voir les visages des costumes-cravate-tailleurs pour se rendre compte que quelque chose ne va plus.

Certains se tournent alors vers ces métiers plus manuels. Ce phénomène est encore aujourd’hui marginal mais reflète bien la tendance : celle d’un monde qui change.

Alors, l’ouverture de votre fromagerie, c’est pour quand ?

Ce résumé fait suite à la lecture du livre “La révolte des premiers de la classe”, écrit par Jean-Laurent Cassely et paru en 2017 aux éditions Arkhé.

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