Se réinventer par la philosophie

Rami Mestiri
Essentiel
Published in
4 min readSep 23, 2018
Photo Credit: Isabell Winter

Il m’est arrivé pas mal de fois de croiser ces listes de livres qui changent la vie. Et j’ai remarqué parmi elles un titre qu’on répète souvent : « Pensées pour moi-même » de Marc Aurèle. Un ancien recueil de sagesses toujours d’actualité laissé par un empereur romain. Praticien du stoïcisme, Marc Aurèle s’amusait, après les guerres à écrire ses méditations sur la condition humaine. Il avait tout examiné : la liberté, la souffrance, le pouvoir, la mort…C’est pourquoi des magazines, à l’instar du TIME, proposent le livre comme un art de vivre accessible au lecteur contemporain. Personnellement, je recommande ce chef d’œuvre parce qu’il pourrait servir aussi comme un guide d’initiation à la pratique de la philosophie. Marc Aurèle y donne, à travers son expérience personnelle, la démarche à suivre.

« Voilà ce qui te suffit : le jugement que tu es en train de porter en ce moment sur la réalité pourvu qu’il soit objectif, l’action que tu es en train de faire en ce moment, pourvu qu’elle soit accomplie pour le service de la communauté humaine, la disposition intérieure dans laquelle tu te trouves en ce moment même, pourvu qu’elle soit une disposition de joie devant la conjonction des évènements que produit la causalité extérieure. »

Un ami, qui était au chômage, m’a posé un jour la question « C’est quoi philosopher ? », je lui ai répondu : « T’as déposé ton CV partout. Aucune réponse. Le temps passe. Le chômage t’angoisse. Mais, soudain, tu te demandes si chercher un travail est ta seule option. À ce moment-là, tu commences à philosopher ». Philosopher, c’est tout simplement mettre en question tous ces paradigmes cohérents et indiscutables qui automatisent notre existence ; c’est sortir des sentiers battus et porter un regard neuf sur le monde. Donc, contrairement à cette fausse impression populaire, la philosophie n’est pas une tâche difficile et ennuyeuse à laisser aux intellectuels chevronnés. La philosophie, tout le monde peut y accéder.

En effet, mon job d’enseignant m’a permis quelques journées d’oisiveté. Je me suis mis alors à lire des textes d’économie. En tant que libéral défendant le capitalisme dans mes cours, j’ai voulu comprendre les communistes pour mieux argumenter. Mes recherches m’ont conduit alors vers un type agité, zézayant et répondant au nom de Slavoj Zizek. Ce philosophe marxiste m’a vraiment impressionné par son humour et son style extravagant. J’ai fouillé un peu sur lui et j’ai trouvé son documentaire intitulé « The pervert’s guide to Cinema ». Un documentaire qui s’inscrit dans un nouveau courant qu’on appelle « Pop Philosophie ».

Gilles Deleuze, l’inventeur de ce concept, rêvait d’une philosophie intense de manière à fasciner un large public comme c’est le cas du pop rock. Cependant, ce terme désigne aujourd’hui toute réflexion philosophique ayant pour objet des produits culturels très populaires comme les jeux vidéo et les blockbusters hollywoodiens. Il vous suffit de lire les entretiens de Mehdi Belhadj Kacem pour en avoir une idée plus précise. Ce jeune philosophe autodidacte part, entre autres, de la pornographie pour arriver à des conclusions sérieuses du type l’obsession masculine de la pénétration est très secondaire dans la libido féminine. C’est à travers Mehdi Belhadj Kacem que j’ai découvert Philomag. La lecture régulière de ce mensuel m’a permis de développer peu à peu mon sens critique.

Comment ? J’ai tout simplement commencé à scruter le spectacle qu’on diffuse partout. Par exemple, quand la majorité se contente de croire le discours éloquent d’un politicien bien habillé, je m’attardais à comprendre les intentions non avouées. Et ceci est l’un de bienfaits que vous sentez quand vous vous intéressez à la philosophie. En fait, elle vous apprend à poser toujours la question « Pourquoi ? ». Ainsi, serez-vous sceptique et prudent et ne risquez plus d’être facilement dupé par ce perpétuel matraquage médiatique. Conscient que tout n’est qu’une affaire de personnes aucunement objectives, vous prenez souvent du recul et vous relativisez.

Quand vous lisez les textes des stoïciens par exemple, vous développez énormément votre résilience. En fait, chaque école philosophique tourne autour d’une grande idée. Une fois intégrée, cette idée peut vous réinventer. Les philosophes ne sont pas ces métaphysiciens aux théories peu pratiques. Ce sont plutôt des thérapeutes qui vous forment par l’exercice réfléchi du jugement à des modes de vie plus accomplis. La preuve, Michael Puett donne aujourd’hui l’un des cours les plus prisés de l’université de Harvard. Ce professeur d’histoire y invite ses étudiants à retourner aux « Analectes de Conficius » afin de trouver des clés à leurs soucis actuels. En s’inspirant de l’ancienne philosophie chinoise, il leur explique que la rationalité calculatrice n’a jamais été le bon moyen pour prendre les bonnes décisions. Il les conseille, par contre, de rester ouverts à n’importe quelle expérience, à cultiver la spontanéité et l’attention aux minimes détails du quotidien telle qu’une conversation ou une émotion, car là se cachent les vraies réponses.

Dans ce sens, j’ai révisé la pédagogie avec laquelle j’enseignais mon cours. Précédemment, quand j’abordais la volonté d’entreprendre, j’insistais surtout sur l’intérêt matériel comme premier mobile d’action et je rappelais automatiquement « la main invisible » d’Adam Smith. Aujourd’hui, je trace bien les limites de cette logique calviniste et je m’appuie, entre autres, sur une étude menée par le psychologue et le prix Nobel de l’économie Daniel Kahneman, qui a démontré que l’argent ne fait plus le bonheur à partir d’un certain seuil. J’incite alors mes étudiants à chercher la spiritualité dans l’aventure entrepreneuriale. D’ailleurs, je pense que parmi les raisons de nos crises financières est que les philosophes ont abandonné l’économie aux économistes qui, par la suite, ont fait du capitalisme une sorte de religion dévastatrice.

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