Sommes-nous des êtres misérables voués à la souffrance ?

Nicolas Toussaint
Essentiel
Published in
7 min readFeb 25, 2018
Le bouddhisme avait-il vu juste avec la méditation ? Photo by Valentina Yoga on Unsplash

Depuis l’aube de l’humanité, la sélection naturelle a façonné nos cerveaux dans l’unique but d’assurer la propagation de nos gênes et donc la survie de notre espèce. Ce modèle basé sur la recherche des plaisirs et l’aversion des souffrances, propre à nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, nous condamne à vivre une vie misérable, contrôlés par nos perceptions, sensations et pensées toutes intriquées dans une trame inextricable.

L’environnement sophistiqué dans lequel nous vivons aujourd’hui n’est plus le même que celui de nos ancêtres. Mais nous continuons, dans de nombreuses situations, à (ré)agir de la même manière.

Est-il possible de sortir de ce schéma ? L’humanité est-elle vouée à souffrir ? Existe-il des méthodes expérimentales nous permettant de nous affranchir de notre condition ? C’est avec ces questions en tête que je me suis rendu, fin du mois dernier, à une retraite méditative Vipassana. Au fond d’une forêt, coupé du monde à méditer onze heures par jour dans un silence absolu. Dix jours d’affilé.

Vous allez me demander quel est le rapport entre la méditation et la sélection naturelle qui nous condamne à la souffrance ? C’est ce que nous allons voir dans cet article en commençant par définir pourquoi nous sommes misérables par nature puis en cherchant des réponses pratiques à la question de la souffrance.

La sélection naturelle et l’évolution : antithèses du bien-être

Le plaisir est désigné par la sélection naturelle à s’évaporer pour que l’insatisfaction qui s’ensuit nous pousse à rechercher plus de plaisir — Robert Wright

Comment la sélection naturelle peut-être contre-nous ? N’est-ce pas une bonne chose que de propager ses gênes, d’assurer la survie de l’espèce ? Du point de vue de l’évolution, si c’est une bonne chose, la vie continue et l’espèce avec. Mais la sélection naturelle s’en fout de notre bien-être, elle n’a qu’un but : que la vie soit.

Nous avons évolué de manière à agir de façon spécifique pour que nos organismes approchent les choses dites utiles à la survie de l’espèce tout en évitant soigneusement les nuisibles. Grosso modo si oui, ou non, cette nourriture est bonne pour l’organisme ; si oui, ou non, cet animal représente un potentiel danger. Manger ou être mangé quoi.

Mais voilà, nous ne sommes plus les tribus de chasseurs d’antan qui avaient pour obligation de manger tout ce qu’ils trouvaient sur leur passage, de paraître confiant quoi qu’il arrive, de rentrer dans une rage inouïe sous peine de mort inéluctable. Ces comportements, encodés dans nos cerveaux, calibrés par l’évolution, ne nous aident pas à atteindre le bien-être dans l’environnement moderne et complexe que nous connaissons.

Qu’est-ce qui nous différencie de nos ancêtres ? Pas grand chose. Si ce n’est le développement singulier d’une zone du cerveau qu’on appelle le cortex préfrontal ayant amélioré nos capacités cognitives. Du coup, on est un peu moins mené à la baguette par nos pulsions. Un peu moins. Cela nous empêche pas de souffrir le martyr lorsqu’on entame le troisième donut du paquet en jurant père et mère qu’on y touchera plus, de faire des crises de jalousies sévères ou de se faire passer pour un mâle alpha qui n’a peur de rien. Ce n’est pas de notre faute après tout.

Modèle Perception → Sensation→ Jugement → Action

L’évolution nous a doté de cinq sens à travers lesquelles nous percevons le monde qui nous entoure. Toutes les informations que perçoivent nos sens résultent en une gamme de sensations, des plus subtiles aux plus grossières, conscientes ou inconscientes, étroitement connectées à nos pensées, nos jugements et nos actions.

Par exemple, ton odorat capte une odeur quelle qu’elle soit. Une sensation corporelle apparaît. Puis en quelques fractions de seconde tu classes cette sensation dans la catégorie plaisir ou aversion. Si l’odeur est agréable, tu vas peut-être humer plus fort, si elle est désagréable, tu vas peut-être partir en courant.

Le dualisme sensations agréables/désagréables nous pousse à rechercher les premières, à éviter les secondes. Le problème c’est qu’on ne peut passer une vie de jouissances sans rencontrer des intempéries sur son chemin. La politique de l’autruche ne marche qu’un temps. Il arrive aussi, fréquemment, que nous ne soyons pas conscients des sensations qui nous gouvernent et que nous pensons agir selon notre propre lire-arbitre.

L’illusion du moi conscient

L’esprit est une sorte de théâtre où diverses perceptions font successivement leur apparition ; elles passent, repassent, se perdent, et se mêlent en une variété infinie de positions et de situations — David Hume

Ma personnalité, mes croyances, mes affaires, ma montre, ma copine, ma profession… Moi, moi, mon moi. Le royaume du Je n’a jamais été aussi puissant qu’aujourd’hui. Encore un sale coup de l’évolution. S’intéresser exclusivement à sa personne c’était de bon ton à l’époque pour maximiser ses chances de survie. Encore une fois, plus vraiment aujourd’hui.

Du coup on se pense maître à bord, capitaine de notre esprit. On a l’impression que tout ça c’est du solide, du béton armé, de la vraie certitude. Il n’y a pas de plus belle illusion, de plus belle farce. C’est dur à accepter, on aime penser qu’on agit pour une raison précise. Le culte de la rationalité ça vient de là.

Au risque de vous décevoir : les pensées se pensent elles-mêmes. Le moi conscient ne les crée pas, il les reçoit via le spectre des perceptions et des sensations. Il n’y a rien de plus instables que les pensées. Comment diable donc ne pas devenir fou en pensant le contraire ? Si on devait s’identifier à toutes les conneries que débitent notre esprit ce serait invivable !

En s’asseyant dix jours en position du lotus, on prend bien compte de ce phénomène. Tu peux très bien passer des heures à te battre avec ton esprit parce qu’il te balance des chansons comme Mon Essentiel d’Emmanuel Moire dans la tête sans même te demander une once de permission. Puis à force de cogner dans le vide, tu finis par accepter la réalité. Peut-on prendre au sérieux un esprit qui envoie du Moire en pleine retraite méditative ? J’en doute.

Nous sommes malmenés par nos pensées et comme elles sont les fruits des sensations, nous sommes malmenés par nos sensations. La psychologie de l’évolution et la théorie de la modularité de l’esprit sont en accord troublant avec le constat qu’avait émit un certain Bouddha, il y a 2500 ans, sur l’illusion du moi conscient et la soumission de l’Homme par ses sensations. Sa réponse au problème, la méditation, semble être une solution.

Méditation, la solution ?

Toutes ces joies, toutes ces peines sont comme de continuels dessins sur l’eau. Pourquoi courir après elles ? S’il vous faut absolument penser à quelque chose, examinez de quelle manière tout ce qui est réuni se disperse et tout ce qui est accompli se défait — Gyalsé Tokmé Zangpo

Observer son souffle et ses sensations. Voilà à quoi se résume une retraite méditative Vipassana. Pas de bougies, de statuettes, de psaumes, de chants religieux, de discours dogmatiques, simplement des personnes de tous les horizons venus observer et comprendre la dynamique corps-esprit, le micro, pour effleurer la dynamique de la vie même, le macro. Parce que tout est lié, tout se meut, tout se transforme, tout s’agrège, se désagrège dans un cycle infini.

Passer dix jours à observer ses sensations c’est commencer à entrevoir l’impernanence du monde. Les voir poindre, disparaître dans une cadence effrénée puis les accepter comme elles sont, grossières ou subtiles, douloureuses ou suaves. Ne pas les renier, ne pas souhaiter qu’elles soient différentes mais les accepter comme elles sont est l’une des premières étapes vers ce qu’on peut appeler la délivrance. En faisant cela, on se bat contre des millions d’années de conditionnement mental et ce n’est pas facile.

La solidité du monde est un mythe. Les milliards de particules subatomiques qui nous composent sont en mouvement constant à mesure que, comme un fleuve, vous n’êtes jamais la même personne qu’une minute auparavant. Alors pourquoi continuer à donner une quelconque valeur aux ruminations de l’esprit et aux sensations fugaces ?

Tout un chacun peut commencer à méditer. Nul besoin d’aller faire l’ascète dix jours dans une forêt. Cinq minutes par jour suffisent pour commencer à se foutre la paix et à mieux vivre. Méditer résout en partie le problème de notre soumission aux sensations. Méditer c’est un art de vivre sans but à atteindre, de la bienveillance, de la compassion envers soi et les autres en combattant un peu la dictature de l’utilité, l'asservissement à la vitesse. Méditer c’est mettre de la distance entre notre esprit et nous et donc être moins misérable.

Pourquoi ne pas essayer ce soir, cinq minutes, de s’asseoir en se concentrant uniquement sur son souffle pour commencer ? Qu’est-ce que vous y perdez ? Cinq minutes tout au plus ou le début d’une belle aventure.

Alors, sommes-nous des êtres misérables voués à la souffrance ? Oui et non. Oui car nous sommes génétiquement prédisposés à embraser la souffrance et non car la méditation peut nous permettre d’accepter la réalité telle qu’elle est, non telle que l’on aimerait qu’elle soit.

Vous avez appris quelque chose ? Cliquez sur les 👏 pour remercier l’auteur et aider d’autres personnes à trouver cet article.

Essentiel vous présente grandes idées et stratégies pour libérer votre potentiel et vivre une bonne vie. Abonnez-vous.

--

--