Vivre ensemble… oui, mais comment ?

Anne-Paule DUBOULET
Essentiel
Published in
5 min readSep 30, 2020
(photo : Duy Pham pour Unsplash)

Le thème de cet article m’a été inspiré par une expression que les politicien.ne. s utilisent très souvent (un peu comme la bienveillance, cf. mon précédent article) : le « vivre ensemble ». Cette expression est même entrée dans le Larousse (« vivre-ensemble », avec un tiret), et, c’est un comble, évolue parfois en « vivrensemble », dans une version compressée que je trouve horrible.

Mais à quoi font allusion ceux qui utilisent cette expression ? Qu’est-ce qui se cache derrière ?

Le vivre-ensemble désignerait selon le dictionnaire la cohabitation harmonieuse qui règne dans un groupe social, une communauté, ou même plus globalement dans notre société. Face aux tensions qui minent certaines villes ou quartiers et à la tentation du repli sur soi, le vivre ensemble nous inviterait à… à quoi au juste ? De ce que j’en ai compris, il s’agirait de respecter l’autre, d’être tolérant.

C’est là que le bât blesse, à mon avis, car je trouve que le vivre-ensemble ne renvoie à rien de bien concret, et ne donne en tout cas aucune idée de ce en quoi il consiste.

L’expérience montre qu’on peut vivre dans un lotissement, un immeuble, un quartier, avec des voisins, et ne jamais leur adresser la parole. Qu’on peut vivre une partie de sa journée dans un open-space et s’y sentir aussi seul qu’un végétarien au salon annuel de la Boucherie-Charcuterie ! Des jeunes qui partagent une colocation vivent ensemble, c’est un fait, mais que connaissent-ils du vivre-ensemble ? Et au sein d’un plus petit groupe, comme une famille, comment ce concept se matérialiserait-il ? Dans tous ces exemples, les personnes concernées peuvent faire l’expérience de la solitude, voire du rejet.

Que faut-il donc de plus que pour vivre ensemble signifie effectivement que la cohabitation est harmonieuse, voire même qu’elle est porteuse de sens ? Ma théorie est qu’il manque le fait de FAIRE quelque chose ensemble.

Nous en avons tou.te. s fait l’expérience : lorsqu’on fait quelque chose à plusieurs, il nous vient un sentiment très agréable, pas forcément simple à décrire, mais qui contribue à nous faire nous sentir bien. Cela peut être une petite chose, comme avoir réquisitionné ses enfants pour vider leur armoire, trier les vêtements et préparer des sacs pour les revendre ou les donner à une œuvre. Ou bien quelque chose de plus ambitieux, comme quand on se met à plusieurs parents pour installer puis animer des stands pendant la fête de l’école. Rappelez-vous ce que vous avez ressenti dans ces moments-là : un mélange de fierté et de bien-être, le sentiment du devoir accompli, qui rend la fatigue plus légère, et l’impression « d’être » vraiment avec les autres.

Le fait de faire les choses avec quelqu’un nous amène à lui parler, ce qui nous renvoie à notre humanité. Si on n’est pas d’accord sur sa façon de procéder, il va falloir l’écouter, comprendre ce qu’il ou elle dit, ses raisons, et faire évoluer notre opinion… ou pas, et alors argumenter.

Produire un résultat tangible fait partie des sources de fierté. C’est très agréable de contempler le résultat, et de se dire que c’est quelque chose qu’on a fait ensemble. On ressent de la fierté, et comme elle est partagée, on peut considérer que cela relève du vivre-ensemble, d’une façon bien concrète.

Mais pourquoi est-ce que je vous parle de cela alors que j’écris d’habitude sur l’éducation et l’orientation des jeunes ? Parce que dans nos familles, ou à l’école, il n’est peut-être pas si évident de faire ensemble, alors que c’est un formidable moyen de se souder, de grandir, et d’apprendre à se connaître !

Dans une journée qui passe à toute vitesse, il est tentant de faire les choses rapidement et tout. e. seul. e, parce que cela va plus vite, parce que cela va être mieux fait, parce que cela va éviter de le redemander plusieurs fois… Et cela nous fait perdre autant d’occasions de faire quelque chose ensemble.

Je me souviens d’une amie, au collège, qui me disait que ses parents faisaient la vaisselle à deux tous les soirs, et que pour rien au monde ils n’auraient dérogé à leur rituel : l’un lavait, l’autre essuyait et rangeait, et mon amie avait remarqué qu’ils ne discutaient pas des mêmes sujets, ou pas de la même façon, qu’au cours du repas avec leurs trois enfants un peu plus tôt. Même si faire la vaisselle relève plutôt de la corvée, ses parents en avaient fait un moment finalement agréable, en la faisant à deux.

Et paradoxalement, c’est peut-être plus simple de caser dans sa journée des moments de « faire ensemble » qui relèvent d’une obligation (comme laver la vaisselle), que de caser un moment de jeu ou de détente ensemble. Dans un précédent article (1), j’évoquais le fait de faire un grand puzzle en famille, en y consacrant un petit moment tous les jours. Cette activité permet à un enfant de prendre conscience de la notion de temps, de durée… mais elle permet également de réaliser quelque chose ensemble. Je l’ai mise en place plusieurs fois, et nous étions très fiers de nous en posant la dernière pièce du puzzle (et en général tout le monde est là pour ce moment fatidique au bout de 2 ou 3 semaines d’efforts en commun !).

En dehors de la famille, il y a plein d’occasions de faire des choses ensemble, pour développer cette capacité à vivre ensemble : le sport, la musique d’orchestre, le scoutisme, l’organisation d’une soirée, une réparation dans la maison, un bricolage au jardin… Au-delà du mieux-être que l’on ressent à partager ainsi des activités concrètes, au-delà du fait que cela contribue à créer du lien entre les membres d’un groupe, et au-delà du fait que cela illustre la fraternité de notre devise républicaine, toutes ces activités sont riches d’enseignement pour un jeune. Elles lui permettent d’apprendre à se connaître, de voir à quoi il est « bon », ce qu’il aime bien faire ou au contraire pas trop. Elles développent aussi les fameux « savoir-être », qui feront certainement l’objet d’un prochain article. Au moment de réfléchir à son orientation, toutes ces expériences seront riches d’enseignement pour faire des choix.

Pour vivre ensemble, et développer une cohabitation harmonieuse et riche de sens, il faut donc faire quelque chose ensemble, très concrètement et simplement.

J’espère que cet article vous a donné envie de faire quelque chose avec vos proches ce week-end !

Anne-Paule de Coach&Plus

(1) Faire un grand puzzle à plusieurs, en y consacrant une certaine durée chaque jour, permets à un enfant de prendre conscience de la notion de durée, si importante dans les apprentissages scolaires. Je peux vous envoyer l’article complet dans laquelle j’explique pourquoi et comment, si vous me le demandez gentiment :-) Voici mon adresse : apduboulet@coachetplus.fr

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