Taxation des GAFA : une première étape vers une souveraineté numérique européenne ?

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5 min readApr 11, 2018

Par Sandrine Cauvin et Najat Akodad

Aux lendemains de l’audition de Mark Zuckerberg par le Sénat américain dans l’affaire Cambridge Analatyca, les problèmes posés par les plateformes numériques et les géants du numérique sont de plus en plus pris au sérieux par l’Union européenne. Première étape d’une régulation européenne : l’instauration d’une taxe à 3% pour les GAFA.

AFP

Les grands groupes du numérique, dont les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), sont régulièrement accusés de faire de l’optimisation fiscale grâce à des montages financiers qui minimisent leurs impôts. C’est la raison pour laquelle la Commission Européenne, suite à une proposition de la France, a dévoilé un plan en deux volets. Dans un premier temps, elle propose de taxer à 3% les revenus générés par l’exploitation d’activités numériques. Puis, dans un second temps, parvenir à définir de manière collective « la présence digitale » et aboutir à la taxation des bénéfices de ces sociétés.

Une taxe sur le chiffre d’affaire pour pallier les failles de la notion d’établissement stable pour les sociétés du numérique

La Commission Européenne propose une taxe sur le chiffre d’affaire, à hauteur de 3 %, applicable aux entreprises dites du numérique, sur la base du déclaratif. Cela concernerait les sociétés dont les revenus dépassent 750 millions d’euros au niveau mondial et 50 millions d’euros au niveau européen.. Cette taxe aura pour objectif de cibler les recettes publicitaires des groupes tirées des données de leurs utilisateurs (le modèle de Facebook, Google ou Twitter) ou les revenus provenant de la mise en relation d’internautes pour un service donné (Airbnb, Uber). Précisons que cela devrait concerner entre 120 et 150 entreprises du numérique et générer 5 milliards d’euros de recettes par an pour l’Europe.

La difficulté à laquelle se heurte la Commission c’est l’absence de dispositif approprié afin de concilier la valeur générée et la territorialité de la taxation. Les règles fiscales actuelles ne sont pas adaptées, elles sont fondées sur la matérialité alors que nous sommes dans une société de plus en plus dématérialisée. La création de valeur des acteurs du numérique repose sur des actifs immatériels (brevets, marques, algorithmes, vente de données…). Leur caractère immatériel procure à ces actifs un avantage de taille par rapport aux actifs matériels : la possibilité de les transférer très facilement là où la fiscalité est la plus avantageuse. En conséquence, l’impôt n’est pas payé là où le chiffre d’affaires est réalisé, mais là où sont localisées les filiales auxquelles les actifs de la propriété intellectuelle ont été concédés par les sociétés mères. Ces localisations ont la particularité d’être fiscalement très accueillantes (Irlande, Luxembourg, Malte…).

La commission a travaillé sur le sujet depuis des mois, l’OCDE est également impliquée depuis de nombreuses années sans être parvenue à un consensus. Ainsi, au terme de plusieurs mois de négociations, la commission a trouvé une solution transitoire en attendant l’aboutissement des négociations européennes sur l’assiette commune d’impôt et une véritable imposition sur les bénéfices localisés en Europe.

Etablir une notion « d’établissement stable virtuel » afin de taxer les bénéfices

La proposition de taxe sur le CA envoie un signal fort aux parties prenantes, non seulement aux GAFA, qui sont parfaitement conscients que la situation ne peut pas durer, mais aussi aux petits pays européens dont la fiscalité est avantageuse. L’objectif est de faire évoluer les choses afin de mettre en place un système qui permette de taxer là où il y a de la véritable création de valeur. Ce n’est qu’en harmonisant les bases d’imposition en Europe et en y intégrant l’économie du numérique en se basant sur la définition de la présence digitale que cela sera possible. C’est dans ce contexte que la Commission a présenté une proposition de directive visant à l’introduction d’un concept de taxation dans l’Union Européenne en présence d’une « empreinte digitale » significative.

En effet, la taxation d’une entreprise dans un pays repose sur la qualification « d’établissement stable » c’est-à-dire un lien fort entre la localisation d’une activité dans un pays et cela même en l’absence de société. Cependant, ce concept d’établissement stable qui permet une taxation des bénéfices dans un pays est défini par les conventions internationales et peuvent résulter notamment d’un agent dépendant en France disposant du pouvoir d’engager la société…. Cependant cette notion n’est pas adaptée aux géants du numérique en raison de la particularité de ce secteur d’activité.

Dès lors, il a été nécessaire de construire une notion « d’établissement stable virtuel » permettant de taxer les bénéfices qui sont réalisés sur leur territoire, même si une entreprise n’y est pas présente physiquement. Les nouvelles règles garantiraient que les entreprises en ligne contribuent autant aux finances publiques que les entreprises « physiques » traditionnelles. Une plateforme numérique est considérée comme ayant une « présence numérique » imposable ou un établissement stable virtuel dans un Etat membre si elle satisfait à l’un des critères suivants :

1/ le montant des revenus afférents à la fourniture de services numériques à des utilisateurs localisés dans un Etat membre est supérieur à 7 M € par exercice fiscal ;

2/ et/ou on peut dénommer, dans un Etat membre, sur un exercice fiscal, plus de 100 000 utilisateurs de ces services numériques ;

3/ et/ou si plus de 3000 contrats commerciaux (d’entreprise à entreprise) pour des services numériques ont été conclus dans un Etat membre, sur un exercice fiscal, pour la fourniture de tels services numériques.

Cette solution nécessite de modifier les conventions bilatérales de taxation que les États de l’UE ont passées avec leur partenaire. La question dépasse les compétences juridiques de la Commission, qui se contente de « recommander ». Comme les deux propositions de la CE (taxe et présence numérique significative) relèvent de la fiscalité, elles doivent donc passer à l’unanimité des 28 ministres des Finances. Il reste donc maintenant à convaincre les Etats membres, ce qui ne sera pas facile dans la mesure où les intérêts divergent. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni ont salué la proposition de la Commission dans un communiqué commun. En revanche, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Irlande sont toujours loin d’être convaincus.

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