COMMENT STRUCTURER EFFICACEMENT SA RH DE 1 À 100 EMPLOYES EN STARTUP ?

STELLA WALTER
Eutopia VC

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On ne le répétera jamais assez : structurer sa people policy est clé dans le cadre de la création d’une startup. Que ce soit dans la phase de recrutement des tout premiers employés, mais également en phase d’accélération en série A et B, accompagner ses équipes sur le plan RH est déterminant et conditionnera fortement le succès de votre business.

J’ai donc tenté de modéliser les étapes structurantes d’une startup sur le plan RH, en phase d’amorçage puis d’accélération. Evidemment, toutes les organisations sont différentes, que ce soit en terme de business model, de cible, de profils et de background des fondateurs, etc. Il va de soi que ce lot de différences apporte des spécificités propres en termes d’appréhension des sujets People. Dans le modèle que je développe ci-après, le nombre d’employés vous permet d’identifier des paliers de croissance. J’ai pu observer qu’ils étaient similaires dans de nombreuses startups en croissance (B2B, consumer, tech et non tech). En observant certains signaux faibles décrits dans l’article au sein de votre équipe, vous saurez également identifier les moments clés de transition.

Aussi, mon approche n’a pas vocation à être mise en place avec une précision excessive, mais est plutôt destinée à appréhender les sujets People de manière plus macro, et vous fixer des grandes guidelines.

Enfin, vous trouverez un certain nombre d’anglicismes dans cet article. Il est vrai que la plupart des pratiques RH innovantes nous viennent tout droit des meilleurs start-ups américaines, et certains concepts n’ont pas encore trouvé d’équivalent dans la langue de Molière.

Bonne lecture !

De 1 à 10 employés : Focus sur la vision (WHY) & le talent acquisition (WHO)

Commençons par le commencement. La phase de démarrage d’une startup est l’époque bénie où le fait de rassembler les bonnes personnes autour du bon problème suffit généralement à créer de l’enthousiasme et maintenir l’engagement autour d’un projet.

Le fondateur porte le rôle du leader et incarne à lui seul la culture de l’entreprise.

Pour profiter pleinement de ce moment de grâce, et préparer la suite — il faut néanmoins s’assurer de poser dès à présent les bonnes bases sur le sujet de la vision, et du recrutement de ses premiers employés. Voici comment :

Focus sur la vision (WHY)

Qu’est ce que la vision pour une startup et en quoi est il indispensable de la définir ? La vision d’une startup peut assez simplement se résumer par la mission de l’entreprise + les valeurs fortes associées à cette mission. Plus concrètement, la mission d’une startup est l’objectif absolu qu’elle doit atteindre collectivement en projection 3/5 ans (je consacrerai un article dédié à la méthodologie pour définir sa mission). Le système de valeurs est quant à lui un outil d’alignement et d’arbitrage pour atteindre cette mission.

Ainsi pour conceptualiser plus simplement ; Vision = mission + valeurs.

Formaliser clairement sa vision vous permet de définir une stratégie claire, et de prendre des décisions en ligne avec vos ambitions. Créer cet environnement pour sa startup dès le début est essentiel, il permet de donner un cadre clair à sa culture d’entreprise et de la partager.

A ce stade, vous pensez peut-être que définir la raison d’être de votre entreprise et parler de culture est prématuré. Hors, au contraire, ce travail préliminaire va vous faire gagner une efficacité considérable. Au delà, cela vous permettra de la partager auprès de vos futurs parties-prenantes (clients, LPs, partenaires business…) ainsi que de rassembler les meilleurs talents autour de votre projet.

Focus sur le Talent acquisition (WHO)

Lorsque l’on lance son business, les premiers recrutements sont bien évidemment décisifs. D’abord parce que vos premiers employés participeront à vous aider à définir votre business model, et à la sortie de votre premier produit. Aussi car ce seront vos premiers soldats dans une phase d’exécution pure from scratch, et ceux qui remporteront vos premiers deals, déterminants. Ensuite car ce sont ces first employees qui vont mouiller la chemise et s’impliquer sur les prochains recrutements de l’équipe, en donnant la tendance du succès de votre startup à vos futurs profils cibles.

Enfin, il est possible que certains de ces premiers employés soient vos potentiels leaders de demain.

Il est donc déterminant pour la suite de recruter des profils adaptables, résilients et cela va sans dire brillants. Deux leviers sont essentiels pour engager vos premiers employés dans votre projet : le partage de valeur via des points d’equity significatifs (via des BSPCE par exemple), et le partage de votre vision pour votre business. Un process de recrutement clair, exigeant et en ligne avec votre vision est également essentiel. (Et pour le bon process de recrutement pour limiter la casse, c’est par ici)

A ce stade, il est inutile, voir contre-productif de mettre en place des politiques RH beaucoup plus élaborées. Consacrez votre énergie à ce qui compte et est directement actionnable.

De 10 à 40 employés : Focus sur les objectifs (WHAT) et la communication en interne (HOW)

L’étape des 10 salariés marque souvent le passage à un fonctionnement assimilable à une “vraie” petite entreprise. Pour caricaturer un peu, on passe de la bande de potes qui bricole sans horaires fixes dans un espace de coworking, à un groupe de travailleurs qui partage un objectif, une stratégie et des codes communs. Souvent, c’est le moment où l’on va décider de lever des fonds pour accélérer. C’est aussi le moment où les premiers employés doivent se repositionner, gagner en expertise et apprendre à verticaliser leur travail sur un sujet ou un domaine de compétences plus spécifique.

Qui plus est, ce qui était du domaine de l’évidence et de l’informel se doit à présent d’être formalisé, et diffusé à tous.

L’alignement autour de la vision (mission + valeurs) est donc essentiel à ce stade, mais il faut aller plus loin en accompagnant les équipes sur les bonnes méthodologies pour y parvenir. Pour rester performant, il faut donc à présent s’aligner autour d’objectifs collectifs, et commencer à pousser plus loin la notion d’ownership.

Les principaux enjeux clés sont alors les suivants ; structurer la bonne organisation et identifier les bonnes compétences à recruter, puis recruter et on-boarder, s’assurer que chacun sait en quoi il contribue au projet global et ce sur quoi on l’attend. Et bien sûr continuer à faire vivre et évoluer la culture en interne. Oui mais comment faire ?

Focus sur les Objectifs (WHAT)

Définir des objectifs en cohérence avec sa mission permet de s’assurer que l’ensemble de ses équipes comprend où votre entreprise souhaite aller et quelles sont ses priorités. Cela permet d’aligner toute votre équipe autour du même purpose et d’éviter le manque de focus et la déperdition d’énergie.

L’idéal étant d’utiliser une méthodologie comme celle des OKR, qui vous permettra de cartographier l’ensemble des enjeux clés pour votre business et de définir des owners dans votre équipe pour chacun d’entre eux. Clarifier les objectifs de votre startup vous permettra de communiquer auprès de tous avec un référentiel unique. Les Keys Results (de O-KR) vous permettront quant à eux de suivre votre performance à l’aide d’ indicateurs fiables.

C’est un outil puissant, et essentiel pour garantir l’alignement, la responsabilisation et donc l’engagement de toute votre équipe autour de votre projet, puisque chacun sait en quoi il y contribue, de votre dernier(e) stagiaire à votre first employee.

Même si les OKR ou tout autre système de suivi d’objectifs peuvent être mis en place à l’aide d’un simple trello, vous pouvez aller plus loin avec quelques outils dédiés au sujet comme par exemple perdoo (EN), leapsome (EN), ou encore javelo (FR).

Focus sur la Communication (HOW)

Cette étape des 10 à 40 employés est également souvent synonyme de friction en terme de communication en interne. Vos tout premiers employés risquent de se sentir frustrés de passer moins de temps à échanger avec le fondateur, et à avoir probablement un accès plus restreint qu’avant aux informations stratégiques.

D’abord, car vous allez recruter des profils plus seniors et sur des jobs plus spécialisés, les scopes de chacun et les informations qui en découlent peuvent donc tendre vers moins de transversalité.

Ensuite parce qu’en créant une ligne de leaders au sein de votre organisation, vous risquez également de générer une déperdition d’informations pour les équipes.

Enfin, le fait même d’ouvrir de nouveaux bureaux dans différentes villes et parfois avec différents fuseaux horaires, ou d’établir une politique remote, va de fait vous confronter à un nouvel enjeu: celui de formaliser le maximum d’informations, et de sur-communiquer pour s’assurer qu’elles circulent bien en interne. Les deux leviers principaux d’une communication interne efficace sont la formalisation par écrit du knowledge et la mise en place de rituels à différentes échelles de la startup.

> Knowledge :

Une startup vit tous les temps forts d’une création de business en accéléré. Les RH n’y font pas exception et il y a fort à parier qu’en traversant ces étapes vous changiez plusieurs fois de focus, d’organisation, et ayez à accompagner le départ de certains de vos employés. Ce n’est pas grave, mais il faut assurer le minimum de cadre en terme de consolidation du knowledge afin de ne pas perdre en valeur sur ce point là. (voir le paragraphe dédié au knowledge dans mon article sur pourquoi il faut arrêter de vouloir retenir les talents à tout prix).

Si ce n’est pas déjà fait, mettez vite en place un outil comme slite, ou notion, qui vous permettra un partage de l’information et du savoir optimal dans votre organisation.

> Rituels :

Assurez vous d’intégrer des temps forts de communication, où tout ou partie de votre équipe pourra échanger à l’oral sur des sujets professionnels et non professionnels. En terme de rituels de communication, best to know your basics. Si vous vous sentez perdu(e) quant aux bons rituels de communication à mettre en place en startup, tenez vous en donc à ceux-ci dans un premier temps :

  • Off-site : Vous pouvez en organiser un par semestre, soit deux par an en juin et décembre (à adapter en fonction des rushs liés à votre activité).
  • All hands meetings : Un all hands est un moment où toutes vos équipes sont rassemblées, et où vous (et/ou votre comex et certains employés) pourrez partager des informations stratégiques au reste de vos employés. L’idéal reste de l’organiser en présentiel, mais si c’est impossible utilisez slack, zoom ou tout autre outil pour rassembler tout le monde à distance. Un par mois est une bonne base. Dédiez en un par trimestre pour faire une revue des OKRs à vos équipes.
  • stand-up meetings : L’objectif des stand-up meetings est de partager les points d’avancement individuels ou des équipes en terme d’exécution sur une roadmap globale. D’abord destiné aux équipes tech (et ayant lieu chaque jour pour ces derniers), vous pouvez adapter la formule à toutes vos équipes en hebdomadaire.
  • one-one meetings : Format d’échange entre manager / managé (ou senior et moins senior pour les organisations distribuées) qui a fait ses preuves pour accompagner les individus. Trouvez votre timing en fonction du niveau d’ownership et du rôle de chacun, hebdo, bi-mensuel ou mensuel.

De 40 à 100 employés : Focus sur l’individu : individual performance & individual development

Passer l’étape des 40/50 employés fait passer votre startup de la catégorie de la ‘Toute-Petite-Entreprise’ en amorçage à une entreprise en phase de croissance. D’ailleurs, vous noterez que les personnes qui rejoindront alors le projet ont des profils et des motivations quelque peu différentes de vos tous premiers employés. Souvent plus seniors (et plus agés), ceux-là pourront vous amener de l’expertise sur leur métier. En retour, ils attendront de vous que vous les mettiez en position d’exercer cette expertise. Parfois, ces nouveaux recrutements peuvent être déroutants pour vos tous premiers employés, ceux-là même qui ne rechignaient pas à effectuer des tâches avec parfois moins de valeurs ajoutée. Cette étape génère forcément un peu de friction entre les anciens et les nouveaux employés, ce qui peut même se solder par le départ de quelques-uns de vos ‘historiques’. Là encore, rien n’est grave puisque votre entreprise se transforme. Néanmoins, cela implique nécessairement un tournant structurant sur le plan du talent management.

D’ailleurs, c’est souvent le moment où les fondateurs se décident à intégrer un profil RH dans leur entreprise, conscients qu’il est en train de se passer quelque chose. OK, mais comment donc appréhender cette étape concrètement ?

La première chose à faire, c’est à présent de changer complètement d’approche lorsqu’il s’agit des sujets RH au sein de votre startup. Jusqu’alors, c’est par la nature même de votre projet et l’alignement autour d’objectifs que vous parveniez à recruter et engager vos talents. A présent, vous devez changer de focus et vous concentrer sur les individus qui composent votre organisation. Cela implique de mettre en place une véritable politique de talent management, consistant à identifier les drivers de chacun et aligner tant que possible votre gestion des talents à leurs aspirations propres. C’est ce qu’on appelle le talent development.

La bonne-mauvaise surprise, c’est que chacun de vos employés à des raisons bien différentes d’avoir rejoint votre entreprise. En échangeant avec l’ensemble de vos équipes, vous apprendrez certainement que certains veulent gagner en expertise quand d’autres tiennent à manager, ou peut-être encore d’avoir plus de temps personnel pour eux, ou enfin même de développer un side-project.

Vous l’aurez deviné, ce changement d’approche nécessite de traiter le sujet avec plus de granularité.

C’est enfin le moment de se pencher sur la performance, et l’engagement de vos équipes de façon plus individualisée.

Focus sur la performance individuelle

En terme de performance, vous vous devez de passer à une logique plus individualisée. Là où seule la performance globale de votre startup comptait en phase d’amorçage, il est à présent nécessaire de monitorer la performance de chacun de vos employés. La raison est simple : chacun a besoin d’objectif pour comprendre son rôle, progresser, et pour délivrer, ou s’équiper des bonnes ressources pour délivrer.

Il n’y a d’ailleurs qu’en passant par un suivi de la performance individuelle que vous pourrez manager la sous-performance possible de certains de vos employés, en ayant des indicateurs tangibles pour la mesurer. Ce qui vous évitera de prendre des décisions au doigt mouillé, et apportera de l’équité et par ricochet de la crédibilité à vos décisions.

Pour cela, vous définissez des rôles et ownership clairs pour chaque employé. A vous de formaliser également les objectifs à atteindre pour chacun via des performance reviews. Pour éviter l’effet usine à gaz, passez à un bon outil de gestion de la performance individuelle comme par exemple Lattice (EN), 7geese (EN), 15five (EN), ou Elevo (FR) par exemple.

Par ailleurs, beaucoup se posent la question du quoi faire des OKRs à cette étape. Je conseille de les faire vivre en gardant l’essence du modèle, de manière plus macro, à des fins d’alignement et de communication interne (en se contentant de la mission, des Objective et des Key Results).

Comme il s’agit de deux approches bien différentes, veillez à communiquer sur vos OKRs et sur votre performance individuelle lors de temps forts dédiés et bien distincts dans le temps.

La plupart des outils de gestion de la performance individuelle dédiés aux startups intègrent également un module de gestion des OKRs, vous pourrez donc coupler vision et gestion de la performance collective et individuelle dans un seul et même outil.

Message à l’attention des jusqu’au-boutistes de la méthode OKR : A cette étape, il peut être compliqué de traiter les OKRs en continuant à élaborer des “initiatives” avec des owners pour chacun, comme vous l’avez sans doute fait jusqu’alors. Cela risque de brouiller les messages en parallèle de votre gestion de performance individuelle, aussi je conseille à présent de s’arrêter à l’étape des Key results.

Focus sur le développement individuel

Développer ses talents en tant qu’individus est une obligation de moyen légale pour l’employeur en droit français, qui se doit de “participer à l’adaptation du salarié à l’évolution de son emploi”. Mais bien au delà, le développement des individus en startup contribue massivement à l’engagement des employés.

Une ligne sur la notion d’engagement, donc. Engager ses employés dans une relation avec son entreprise, n’est certainement pas chercher à les retenir à tout prix (voir mon article sur le sujet ici). L’enjeu est simple : comprendre l’aspiration professionnelle — et/ou personnelle — de chacun des membres de vos équipes, et les aider à poser des briques pour les aider à atteindre leurs objectifs, au sein ou en dehors de votre entreprise. On crée ainsi un gagnant / gagnant équilibré, qui permet de maximiser le potentiel de la relation entre votre organisation et vos talents. Alors, comment s’y prendre concrètement ?

Entretenez vous individuellement avec chacun des membres de vos équipes, et ce régulièrement. Lors de ces moments, sondez les sur leurs aspirations personnelles profondes à court-terme (dans votre entreprise) et à plus long-terme (potentiellement en dehors de votre organisation). Mettez ainsi des plans de développement personnels en place, pour aider chaque individu à se rapprocher de son objectif. Rien ne vous empêche de former un employé au management s’il le désire; car s’il n’accède pas au rôle de manager dans votre entreprise, cela lui aura permis d’accélérer pour sa prochaine opportunité.

Instaurer des career paths au sein de votre organisation vous aidera également à apporter plus de visibilité à vos employés sur les opportunités en interne.

Vous pouvez aussi travailler sur des rôles de lead techniques, coachs et contributeurs individuels, qui permettront à chacun de maximiser son potentiel, donner de la valeur à son rôle et s’y épanouir.

Favoriser un cadre de travail responsabilisant — via le remote, une culture de l’apprentissage, le partage d’information, un ownership clair, etc — permettra aussi à vos équipes de se développer, et ainsi de se projeter plus durablement au sein de votre organisation.

Et après les 100 employés ?

Et après, le plus dur arrive !

Il va vous falloir passer du modèle de la startup à un fonctionnement plus matriciel et donc plus hiérarchisé, sans perdre de vue votre vision. Recruter de plus en plus de profils différents (internationaux, venants d’autres organisations,…) en acceptant cette diversité, mais sans diluer votre culture. Il vous faudra également sauter à deux pieds dans ce stade que tout le monde envie mais que beaucoup redoutent, celui d’un fonctionnement corporate plus classique… mais en évitant de prendre trop vite les vilains défauts des plus gros.

D’où l’intérêt de poser tôt les bases de votre organisation ;)

Je m’attellerai d’ici peu à un deuxième article sur les 100 à 500 employés.

D’ici là, n’hésitez pas à m’envoyer vos retours sur cette article, et à me partager vos différentes approches, et vos retours d’expérience de croissance en startup !

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STELLA WALTER
Eutopia VC

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