L’architecture des Jours Meilleurs

Antoine Fine
Eutopia VC
Published in
4 min readNov 4, 2019

Il y a 70 ans, au sortir de la seconde guerre mondiale, le monde est en ruine. Il faut tout reconstruire, les maisons comme les âmes, mais en face les ressources sont limitées. Il faut donc produire en quantité mais en réévaluant a minima moyens et besoins. Émerge alors le courant de design dit de la Reconstruction, symbolisé par Jean Prouvé, l’architecte des Jours Meilleurs, du nom de sa maison optimale designée en 1954 en réponse à l’appel de l’Abbé Pierre face à l’urgence du logement social. Cette « Maison des Jours Meilleurs » fût ainsi présentée lors du salon des « Arts Ménagers » en 1956 et montée en 7 heures sous le pont Alexandre III à Paris… mais sera délaissée au profit d’un autre projet d’habitat social jugé plus efficace à l’époque, les HLM…

L’approche de Jean Prouvé pourrait se résumer ainsi : concilier le rêve individuel et la réalité collective en proposant un design optimisé via des matériaux nobles, des mécanismes simples, une recherche de durabilité, d’efficacité (prix, durée de construction, praticité de l’habitat), de flexibilité (structures démontables) mais aussi de confort et d’esthétisme.

Signe des temps, ce courant de design semble aujourd’hui retrouver un certain écho, comme l’ont montré plusieurs expositions récentes : « Jean Prouvé, architecte des Jours Meilleurs » de la fondation Luma à Arles il y a quelques mois ou l’exposition de la Maison Démontable de Jean Prouvé, Place de la Concorde à Paris en Octobre dans le cadre de la FIAC 2019.

Dans le même courant, on peut également citer Charlotte Perriand, mise à l’honneur depuis début Octobre à la Fondation Vuitton, qui a meublé plusieurs projets de Prouvé mais aussi la Cité Radieuse de Marseille avec Le Corbusier (1952) ou la station des Arcs en 1967, avec cette même recherche permanente d’optimisation et de modularité. Charlotte Perriand a ainsi développé toute son œuvre « sous contraintes » : comment aménager un intérieur avec un minimum d’objets et de matière, un maximum de modularité dont elle est l’inventrice, et laisser ainsi l’essentiel de l’espace à l’humain. Cette approche trouve également un écho contemporain chez les “Minimalistes”.

Ce regain d’intérêt pour le courant de design de la Reconstruction n’est sans doute pas un hasard. A y regarder de plus près, il y a un certain parallélisme entre les deux époques. Si la seconde guerre mondiale avait montré le pire visage de l’humanité, le monde actuel vit à son tour une crise de sens, de repères, de capacité à vivre ensemble. De même, si les contraintes de ressources de l’après-guerre étaient financières et humaines (main d’œuvre), ce sont désormais les limites naturelles avec lesquelles nous devons composer. La conclusion qui s’impose semble être, elle, la même : nous sommes dans l’obligation de produire en quantité mais en réévaluant a minima moyens et besoins. Pour trouver la voie devant cette triple contrainte écologique, sociale et économique, il nous faudra sans doute réfléchir à nouveau en « architecte des Jours Meilleurs », c’est-à-dire chercher à mettre sur le marché une offre optimisée mais séduisante, conciliant rêve individuel et réalité collective, comme Jean Prouvé avait réussi à le faire en son temps.

C’est cette ligne directrice qui nous a conduit à soutenir en Septembre dernier les fondateurs de TIPTOE, marque de mobilier durable, qui voit en Jean Prouvé une figure majeure d’inspiration et qui s’efforce d’appliquer à chaque objet TIPTOE les principes chers à ce courant de design (matériaux nobles, modularité, simplicité, intemporalité).

Si l’idée initiale de ce courant intégrait la notion d’accessibilité prix (avant que les créations des designers pré-cités ne passent du commerce de l’époque aux salles d’enchères d’aujourd’hui…), il est clair que le monde moderne s’est depuis habitué à de tels prix bas fruits de la production de masse mondialisée à coûts compressés (main d’œuvre, matières), que tout produit durable mis sur le marché aujourd’hui présente un premium par rapport à l’offre existante. Une réaction naturelle pourrait donc être de considérer que ces produits ne sont destinés qu’aux plus aisés. C’est là où le modèle doit être repensé plus globalement. Côté consommateurs, choisir d’assumer des achats qui durent et résister à la pression de la fast fashion qui ont fini ces dernières années par toucher tous les secteurs de la consommation, pas uniquement vestimentaire. Entre un pied de table IKEA à 15 euros dont la durabilité sera proportionnelle à la qualité de sa production à bas coûts et aux cycles de la mode, et un pied TIPTOE à 65 euros qui résistera aux épreuves du temps, la question peut et doit se poser. Mais l’écart important de prix à l’entrée doit aussi faire réfléchir les fabricants à leur mode de commercialisation. Une nouvelle tendance naissante côté marques est ainsi de considérer les produits d’équipement comme un service proposé en location aux clients (« product as a service ») afin de les rendre plus accessibles et plus durables dans le temps, le client ayant l’option dans ce type de contrats de faire réparer, upgrader ou même remplacer le produit afin de suivre l’évolution de ses besoins. A titre d’exemple, les marques de mobilier Ligne Roset et Cinna ont récemment lancé des offres de location longue durée de meubles à destination des particuliers. La propriété de l’objet restant du côté de la marque, l’autre vertu de ce type d’approche est la responsabilisation du fabricant sur la « fin de vie » de l’objet et donc la maximisation de sa valeur terminale / revente en seconde main / limitation des déchets perdus (notion d’upcycling).

Plus généralement, ce sont pour nous chez Eutopia tous les secteurs de la société de consommation qui doivent ainsi être désormais repensés sous le prisme du « faire bien avec peu et pour le plus grand nombre » et selon de nouveaux modèles de commercialisation durables (location, seconde main, valorisation des déchets résiduels etc).

De tels projets commencent à émerger, portés par une nouvelle génération d’entrepreneurs qui allient ambition et impact. Ils sont pour nous les nouveaux architectes des Jours Meilleurs.

#welcometoeutopia

--

--