Carnet d’expedition #2 : Vieux-Pays, Goussainville, Île de France. 2014

Adrien Mgy
Fab City Grand Paris — Blog
9 min readNov 2, 2016
Vieux-Pays centre by Daily laurel

Cette expédition eut le lieu le 19 juillet 2014, dans le cadre des démarches que nous réalisions alors avec le Ghostcitylab, groupe de recherche dédié à l’obsolescence des territoires. Étaient présents au cours de cette expédition : Hakim Benchekroun (GhostCityLab), Sylvia Fredriksson (GhostCityLab), Adrien Malguy (GhostCityLab), Nicolas Loubet (Cellabz), Clément Épié (Cellabz), Aurélien Dailly (Biohacking Safari), Quitterie Largeteau (Biohacking Safari), Ulrich Fischer (Memoways), Alma Saladin (Heiwata).

La création de l’Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, au début des années 70, a accéléré le dédoublement de la commune de Goussainville. Cet événement, et les conséquences inhérentes à son activité (perturbations sonores extrêmes liées à l’intensité du trafic aérien, classement selon le Plan de d’Exposition au Bruit) ont toutefois forcé la population à déserter progressivement le site du Vieux-Pays.

Les terrains, devenus majoritairement propriétés d’Aéroport de Paris, furent rachetés, en 2009, par la municipalité de Goussainville pour un euro symbolique.
Figé dans le temps et dans l’espace, le Vieux pays fascine pour ce qu’il est mais également pour ce qu’il a été, et plus encore peut-être pour ce qu’il sera.

Nous nous sommes rendu, le 19 juillet 2014, sur place. Premiers ressentis :

Non, le Vieux-Pays n’est pas une ville-fantôme

Le site souffre, certes, et présente de nombreuses traces d’obsolescence, de rupture et de crise, ainsi qu’une certaine quantité de vestiges, mais il n’est pas mort pour autant.
Parler de “résilience” serait probablement plus approprié ici, si l’on s’en tient à son sens premier, du moins dans ses enjeux urbanistiques (“la capacité d’une ville à faire face à un événement destructeur tout en minimisant ses dommages”).

Plus de 300 personnes habitent toujours le territoire, selon Philippe Vielliard, habitant et membre de l’Association pour la Sauvegarde et la Défense du Vieux Pays de Goussainville (ASDVP).
Les habitants rencontrés évoquent une certaine qualité de vie, assimilable à une forme de tranquillité, elle-même fruit d’une isolation qui, malgré les importantes nuisances sonores, a permis un de créer un calme paradoxal.

Gauche : la clé de l’église by Daily Laurel // Droite : un chercheur de trésors, rencontré sur les lieux, qui fit la suite de l’expédition à nos côtés. by Adrien
Gauche : Philippe Vieillard, président de l’association pour la défense et la sauvegarde du Vieux Pays de Goussainville (ASDVP) // Droite : un habitant du Vieux Pays by Adrien

Des curieux, photographes et amateurs d’urbex, sensibles aux territoires en désuétude, arpentent régulièrement les rues du villages, figeant un peu plus ce dernier dans l’imaginaire collectif . D’autres, majoritairement des habitants des environs, profitent du parc et de la tranquillité du site durant leurs week-end. A cela s’ajoute quelques nostalgiques, anciens habitants du village, ou de ses environs, qui viennent déambuler sur le site, pour raviver leur mémoire.

La population du village s’est diversifiée et enrichie, même s’il est difficile, en l’état, de parler d’hybridation. De nouveaux habitants, à priori des familles, semblent avoir investi les lieux en profitant des prix du foncier. Plusieurs communautés de gens du voyages se sont installées sur le territoire, notamment sur le plateau où se trouve le centre équestre, ainsi que dans la rue du “Pont Prolongé”. On découvre également, lorsque l’on s’éloigne des deux axes principaux, des activités diverses liée au secteur de la carrosserie automobile. Plusieurs propriétés semblent désormais avoir développé des activités de réparation et d’entretien de véhicules, voir de la vente et/ou de location.

Deux acteurs, devenus symboles, témoignent du caractère résilient de ce territoire : la librairie Goussainlivre et l’école primaire Sévigné, tous deux toujours actifs. Malgré une situation quelque peu délicate, Goussainlivres, gérée et animée par Nicolas Mahieu continue de développer son activité de libraire, notamment en ligne.

Nicolas Mahieu, libraire et gérant de Goussainlivres by Sylvia Fredriksson

L’école Sévigné, hébergée dans un édifice monumentale réalisé dans les années 30, accueille quant à elle quinzaine d’enfants et continue de développer des activités pédagogiques, notamment au travers d’un jardin pédagogique. Il semblerait également que le village accueille un club de billard, bien que l’activité y soit difficilement perceptible.

Jardin pédagogique

Un imaginaire à ressasser, à développer et à articuler.

Patrimoine paradoxale et pêle-mêle de strates historiques, le site regorge d’artefacts, d’impacts et de traces, témoins d’une ou plusieurs époques, qui peuvent parfois avoir tendance à figer le territoire mais laissant place à une multitudes d’imaginaires.

Le “château”, ancienne maison bourgeoise, situé sur les hauteurs du village, dans le parc, est probablement l’un des symboles visuels les plus fort du site. Bâtit en 1860, à partir de pierres issues du château médiéval (qui prenait place au même endroit, quelques siècles plutôt mais désormais disparu) est aujourd’hui à l’état de ruine.

Maison bourgeoise, dite “le Chateau” dans le parc du Vieux Pays, by Sylvia Fredriksson

L’église Saint-Pierre-Saint-Paul, berceau et coeur historique du village, dont les origines remontent au début du premier millénaire, est aujourd’hui fermée aux habitants et au public. Symbole de résistance, elle est classée à l’inventaire du patrimoine (et donc protégée) et aurait compromis les projets d’ADP (Aéroport de Paris) qui envisageait alors de raser l’ensemble du village.

Eglise Saint-Pierre de Paul, by Adrien

Adossé à l’édifice, légèrement sur les hauteurs du village, se trouve le cimetière, également classé à l’inventaire du patrimoine. Des chercheurs de trésors, équipés de détecteurs de métaux, nous expliquent que les sous-sols du village comprennent de longues galeries de pierres, datant du XIVème siècle. Longues de plusieurs kilomètres, et opérationnelles il y quelques décennies encore, elles menèrent, dit-on, jusqu’à la basilique de Saint-Denis. Aujourd’hui la plupart de ces axes auraient été murés par les propriétaires des maisons désireux d’aménager leurs sous-sols.

Catacombes, by Daily laurel

Les guerres mondiales sont également passées par-là, comme en témoigne le Monument aux morts, faisant hommage à la centaine de personnes disparues au cours des deux guerres mondiales.

Les liens que le Vieux-Pays entretien avec le domaine aérien ne s’arrêtent pas à la création de l’aéroport Charles de Gaulle…

En 1973, lors d’une démonstration de vol organisée dans le cadre du Salon du Bourget, un Tupolev 144, concurrent russe du concorde, s’écrase en plein coeur du site, tuant 14 personnes, blessa plus d’une cinquantaine autre et anéantira 15 maisons ainsi qu’une école.

Accident Tupolev144, 1973. Crédits : ELLIDGE/SIPA (gauche) et AFP (droite)

Territoire de projection et de spéculation il fit, et continue de faire, l’objet de multiples projections. Nicolas Mahieu, nous explique par exemple que le fondateur de la libraire Goussainlivres envisageait à l’époque de transformer le village en librairie géante, en se réappropriant les divers domiciles vacants pour les aménager en divers librairies spécialisées, et ce de manière thématique. Nous apprenons également que plusieurs projets de revitalisation furent amorcés, mais jamais accomplis: village d’artisan dédié à la maçonnerie, constructions d’hôtels et de restaurants…

C’est une règle inhérente aux territoires frappés par une crise : quelqu’en soit les origines et les causes, la désuétude et l’abandon laissent place à la projection et à l’occupation spéculative.

Mashup et zooms urbains, by Sylvia Fredriksson

De la fascination à l’intervention… Quelles perspectives ?

Difficile de rester insensible à l’état du Vieux-Pays, subtile mélange de désuétude, de mélancolie, et d’espérances.

by Daily laurel

Un écosystème urbain à l’état de gel, et ce depuis des décennies, des habitants et acteurs locaux engagés, un patrimoine d’une grande richesse, des enjeux sociétaux et créatifs à grande échelle (perturbations sonores intenses dues à l’intensité du traffic aérien, hybridation de la population et revitalisation des territoires ruraux à l’aube du XXIème siècle, préservation et valorisation du patrimoine) qui pourraient intéresser chercheurs, scientifiques, designers et artistes…
Pourquoi le Vieux Pays peine-il à se relever alors qu’ils dispose de tous les ingrédients nécessaires à son renouveau?

La souplesse d’un parc immobilier à l’abandon ne suffit pas, à elle seule, à assurer une quelconque transition. Cette dernière, si elle devait avoir lieu, ne pourrait se faire sans une réelle prise en compte de l’existant, tant sur les spécificités locales (historiques, culturelles et naturelles) du site et de son environnement que sur les besoins et attentes des divers entités qui l’habitent (habitants, commerces, associations…). La compréhension du territoire ne pourrait également se faire que de manière transversale et horizontale, en impliquant des acteurs locaux, et ce depuis la prise en compte de l’écosystème naturel, en passant par l’étude et la compréhension du tissu social et culturel local jusqu’à la mise en place de projets d’aménagement des espaces.

Quelles sont les forces vives de ce territoire? Comment, et jusqu’où, connait-on réellement le Vieux Pays sous toutes ses facettes? N’y a-t-il pas des opportunités qui, jusque là, auraient étés occultées ou tout simplement oubliées?

Le Vieux-pays de Goussainville est un cas bien spécifique, mais il est loin d’être un cas isolé. Après tout, un grand nombre de territoires jouxte des zones aéroportuaires, et une infinité de villages ruraux sont concernés par des enjeux de désertification de la population.

A l’heure des dynamiques dites “collaboratives” et de la “culture maker”, n’est-il pas possible d’intervenir autrement sur le Vieux-Pays?

Une succession, ou un croisement, de petites initiatives exploratoires, voir expérimentales, serait probablement plus plus percutante et impactante qu’un plan d’aménagement pensé et opéré par une poignée d’acteurs déconnectés de la réalité et des besoins du territoire et de ses habitants.

Bien que les opportunités soient franches et évidentes, parler de “revitalisation” est un piège, il est délicat de se projeter ainsi sur des territoires aussi complexes sur le plan politique. Les utopies-manquées (village du livre, centre de maçonnerie…) nous le rappellent bien. Il est toutefois possible de remettre en question ces initiatives, ou du moins les méthodes mise en place dans le cadre de leur mise en application. Ces démarches sont généralement issues de l’esprit d’une poignée d’acteurs (motivés, généralement, par de bonnes intentions) disposant d’une vision “top-down”, à l’image d’un vaisseau spatial qui se poserait en territoire inconnu. Or, de telles démarches ne peuvent ne peuvent faire sens, ni devenir de réelles réussites, dans des milieux aussi sensibles que celui du Vieux-Pays.

by Daily laurel

Ressources complémentaires, produites dans le cadre de cette expeditions:

Autres ressources:

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Adrien Mgy
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