Le réemploi, une disruption nécessaire pour les artisans.

Michel Monti
Fab City Grand Paris — Blog
6 min readJan 31, 2022

Michel Monti, co-fondateur de General Métal Réédition et membre actif de l’association Fab City Grand Paris, prend sa plume et nous expose les enjeux et l’importance du réemploi dans les pratiques artisanales.
En somme, un article écrit par un artisan, pour les artisans (mais pas que!)…

L’économie circulaire est à la mode.
Voilà, ce sera la seule porte ouverte que j’enfoncerai.
La mode, c’est quand les médias braquent sans discernement leurs nombreux projecteurs sur le sujet, quand les politiques s’accaparent les notions de base pour bâtir une partie de leur programme, et quand les grandes entreprises s’en emparent pour se refaire une virginité décarbonée.
Ce sera ma seule manifestation de mauvais esprit.

Un peu plus de concret maintenant.
En préambule, soyons positifs et reconnaissants : l’économie circulaire, et plus particulièrement la partie réemploi qui va nous intéresser ici est une chance, une formidable opportunité. Pour la planète, pour notre santé, pour l’avenir de notre descendance, certes, mais aussi pour de nombreuses entreprises, de la TPE artisanale jusqu’à la PME.

L’artisan, une espèce en voie de mutation

Cela fait presque une décennie que l’on parle de transformation digitale pour les entreprises qui sont arrivées en retard au départ du TGV desservant la ligne Internet-Nouvelles technologies. J’aimerais parler de transformation artisanale pour celles qui montent à bord du « TER Réemploi ».

La pratique du réemploi a créé de nouveaux besoins, de nouvelles activités, peut-être même de nouveaux métiers. Associations, startups, organismes de financement (publics ou privés), PME, ont vu le jour ces dernières années pour organiser et dynamiser ce marché. Les initiatives fourmillent et c’est tant mieux, car plus il y aura d’acteurs dans le secteur, plus il aura de chances de devenir pérenne et de se développer tel qu’il le mérite.
Cependant, si on remonte à la source des matériaux réemployés, réutilisés, “upcyclés” comme disent les accros de la novlangue, on trouve les artisans traditionnels : les menuisiers-ébénistes pour le bois, les métallos pour l’acier, les maçons pour le béton, les verriers, les céramistes, etc.
Combien d’entre eux sont montés dans le TER ? Hélas très peu...

On constate finalement une séparation entre le réemploi du matériau (restons sur les matériaux de chantier dans le BTP) et celui qui le manipule, le façonne au quotidien

… comme si la nouvelle vie donnée à des ouvrages de bois ou d’acier n’était plus de la responsabilité de ses géniteurs mais celle de ses nouveaux « parents adoptifs », souvent éloignés, par leur culture ou leurs parcours professionnels et/ou académiques, du monde de l’artisanat.

Pour prendre l’exemple de l’acier qui m’est cher, combien de diagnostiqueurs, de bureaux d’études, d’économistes ou même d’architectes ont déjà manié une meuleuse, un poste à souder, combien savent en quoi consiste le rivetage à chaud ?

C’est un constat, pas une critique. Chacun son métier.
Évoluant depuis quelque temps désormais dans l’écosystème du réemploi, force est de reconnaître que ce métier est pratiqué avec autant de compétence que de passion. Il existe donc un terrain où peuvent venir jouer, à l’exemple de ce que nous faisons avec General Metal Réédition, les entreprises artisanales. Il faut qu’elles acceptent de se réinventer, mais pas tant que ça : après tout, le réemploi est vieux comme le monde. Par ailleurs, c’est autant une question de conviction que de nécessité économique, les deux n’étant absolument pas incompatibles.
Le réemploi est pour l’artisan un prolongement naturel de son activité mais aussi le gage pour les autres parties prenantes du circuit du réemploi de la qualité des matériaux, de leur origine mais aussi d’une compétence « longitudinale » : l’artisan connaît et maîtrise toutes les étapes du réemploi du matériau, de l’expertise à la reconstruction, en passant par la dépose soignée et le passage en atelier.

Le deuxième point crucial de cette transition que connaissent les artisans est de s’affranchir du périmètre « amateur » et associatif. Ne nous méprenons pas sur ce point : sans les nombreuses initiatives citoyennes et associatives en matière d’économie circulaire ou de gestion des déchets, peut-être que nous n’en serions pas là où nous en sommes aujourd’hui sur le terrain du réemploi. Agir, donner l’exemple, communiquer, interpeller les édiles et les politiques…toutes les initiatives liées à l’économie circulaire et à la réduction de l’empreinte carbone sont respectables et utiles, peu importe qui en est à l’origine, depuis le néo-hippie ZBP (Zadiste-Bonnet Péruvien) au jeune cadre (bio)dynamique qui galère à faire son compost dans sa résidence montreuilloise !

En ce qui concerne notre activité sur les ouvrages métalliques, nous avons été amenés, d’emblée, à évoluer à une échelle quasi-industrielle. Certes, c’est en grande partie dû à la spécificité du BTP, mais pas que.

Faire passer le réemploi à une plus grande échelle permet de massifier sa pratique et de lui faire acquérir une légitimité qu’encore trop d’acteurs et de décideurs lui dénient aujourd’hui.

On l’entend souvent lors de nos échanges : manque (supposé) d’organisation, de confiance sur la provenance des matériaux, inconnues réglementaires, normatives, à l’heure où j’écris ses lignes, tout cela est en partie vrai. Un travail de fond, long, fastidieux mais nécessaire est en train d’être fait par des organismes ou par des initiatives regroupant toutes sortes de compétences pour, justement, apporter des réponses techniques, procédurales et organisationnelles aux sujets évoqués ci-dessus. Ce travail en cours, couplé à une évangélisation incessante à destination des donneurs d’ordre, est le sésame qui permettra de faire du réemploi une pratique de masse, reconnue et appelée des vœux de tous.

Des interstices à explorer, ou à exploiter…

Le dernier point concerne, justement, l’aspect normatif et réglementaire.
Je n’aborderai pas ici la nécessité, légitime, de s’assurer de la qualité des ouvrages réemployés en leur faisant subir toutes sortes de tests dont les bureaux de contrôle ont la responsabilité. Il est parfaitement normal de vérifier la solidité, l’état d’usage ou encore la résistance aux charges d’un ouvrage ou d’un élément de structure destiné à une nouvelle vie.
Le hiatus porte sur la définition même du réemploi au titre du fameux article L541–1–1 du code de l’environnement : « est réemploi toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus. » Le texte exclut, quoique sans le préciser, et cela paraît logique, toute notion de matériau neuf. Sauf que…
Il existe une catégorie « fantôme » qui n’est envisagée dans aucun texte : les matériaux déclassés. Tous les menuisiers, tous les métallos disposent de ce qu’on appelle un “chutier”. Comme son nom l’indique, c’est là que l’on stocke, sans destination particulière, les chutes de coupe, les assemblages ratés, les prototypes qui n’ont pas trouvé de développement concret, etc. Dans le métal , par exemple, une poutrelle (neuve) qui a été coupée et qui ne respecte donc plus les tailles standards est considérée comme déclassée. Est-ce pour autant qu’elle doit partir à la ferraille pour être recyclée ? Ce n’est ni notre avis ni notre approche.
Un matériau neuf déclassé a autant de légitimité à être réemployé qu’un ouvrage non neuf, l’idée étant derrière tout cela, je le rappelle, d’éviter le recyclage et de faire des économies d’empreinte carbone !
Ce que sous-entend donc l’exemple des matériaux déclassés est un appel aux législateurs pour laisser respirer et vivre le réemploi en évitant de lui imposer un carcan hyper réglementé (réflexe très français) qui serait en définitive contre-productif.

En conclusion, je pense qu’il faut appréhender la filière du réemploi, avec son cortège à venir d’artisans motivés et convaincus, comme un enfant à qui on laisse, dans les limites de règles souples, les coudées franches dans sa construction, son développement afin qu’il arrive à maturité doté de tous les atouts pour sa réussite.

Retrouvez les projets de l’association sur : fabcity.paris
Pour nous contacter : hello@fabcity.paris

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Michel Monti
Fab City Grand Paris — Blog

Métallo à temps plein, métalleux à ses heures. Impliqué chez General Metal Réédition…et Fab City GP