Anticipatory Design : Vous n’aurez plus l’embarras du choix

mathilde maître
FABERNOVEL Insights
9 min readFeb 25, 2016

Depuis des années, les grands acteurs du web et les startups annoncent que les systèmes, toujours plus intelligents et plus connectés nous connaissent enfin suffisamment pour être capables de deviner nos envies et nos volontés. Avec une connaissance de plus en plus intime de leurs utilisateurs, ils peuvent suggérer les choix les plus adaptés : musiques, séries, voire même relations amoureuses. Comment ? En utilisant un savant mélange d’intelligence artificielle, d’algorithmes et un gros volume de data.

Mais si les systèmes parviennent désormais à deviner ce qui devrait probablement nous plaire, très peu d’expériences sont en mesure d’apporter aux utilisateurs ce qu’ils recherchent avant tout : des parcours fluides et évidents. Bien au contraire : les propositions, les suggestions et les choix sont démultipliés dans les expériences que nous vivons, jusqu’à nous noyer d’informations.

Pourtant, combien de personnes consultent les résultats de recherche sur Google au delà de la première page ? Moins de 5% d’entre nous. Qui prend plaisir à parcourir les centaines de produits qui correspondent à notre recherche sur Amazon ?

Chez FABERNOVEL Paris, nous concevons de nouveaux services et expériences pour les utilisateurs de nos clients. Il s’inscrivent dans des expériences fluides, omnicanales, qui visent à supprimer les points de friction et proposer des interfaces dont le but ultime est de rendre les choses simples, naturelles, presque évidentes.

Dans cette quête de simplicité, nous sommes convaincus qu’il faut désormais créer des expériences utilisateur en rupture : qui gomment le « trop de choix » pour fournir une réponse pertinente, rapide, contextuelle et personnalisée. Nous voyons dans l’anticipatory design, ou design anticipatif, une formidable opportunité de questionner à nouveau les interfaces, qui rappelons-le, ne sont que des intermédiaires artificiels, voire des obstacles entre l’utilisateur et le produit.

L’embarras du choix

La première histoire du numérique, c’est de construire de l’exhaustivité. Peupler les bases de données pour apporter à l’utilisateur une profondeur de choix inédite. Résultat ? Des pages au scroll infini sur Asos, des catalogues iTunes qu’il faudrait une vie pour découvrir, ou encore 50 formules d’assurances comparées en temps réel pour assurer sa nouvelle Smart. La plupart des expériences numériques proposées aux utilisateur fournissent une symétrie quasi-parfaite avec l’exhaustivité du back-office.

Pourtant, nous serions déjà amenés à prendre plusieurs milliers de décisions au quotidien (35000 d’après certaines recherches), nous conduisant tout droit vers le symptôme de “fatigue décisionnelle”. De décisions importantes à options totalement insignifiantes, en passant par des micro-choix — le plus souvent sans grandes conséquences, nous empêchant de nous concentrer sur ce qui est vraiment indispensable.

Un choix d’options trop important conduit à la démotivation plutôt qu’au passage à l’action. Paralysés par la peur de ne pas savoir quelle décision prendre, d’être jugés suite à nos choix, nous interrompons nos parcours.

D’ailleurs, d’après le chercheur Roy Baumeister : « Les gens qui ont du succès ne prennent pas de meilleures décisions grâce à leur volonté. Plutôt, ils développent des habitudes qui réduisent le nombre de décisions qu’ils doivent prendre et, donc, le stress. » Convaincus, Barack Obama et Marck Zuckerberg s’habillent toujours de la même manière.

Alors, l’embarras du choix est-il une expérience numérique satisfaisante et performante ?

Je ne veux pas 20 pages de résultats possibles, je veux le bon résultat — pour moi — tout de suite.

Offrir moins de choix, favoriser l’action, diminuer les frictions : c’est en une phrase la philosophie du design anticipatif.

En 2004, le psychologue Barry Schwartz a écrit « The Paradox of Choice », qui décrit la paralysie et l’insatisfaction ressenties lorsque nous sommes confrontés à un choix trop important. Une décennie plus tard, Aaron Shapiro, CEO de Huge (une agence américaine de design global) reprend les observations de Schwartz pour décrire une nouvelle approche de la conception qu’il appelle « Anticipatory Design », que nous traduirons par design anticipatif.

Le design anticipatif a pour objectif de simplifier les parcours, en offrant un nombre limité de choix, donc de décisions à prendre, à chaque étape. Comment ? En utilisant la donnée, la contextualisation, l’intelligence, parfois artificielle mais d’abord humaine, pour réduire le nombre de points de frictions. In fine, rendre un parcours plus fluide, davantage mémorable, dont l’apprentissage est favorisé. En bref, permettre à l’utilisateur de se concentrer sur l’essentiel.

Pour mieux comprendre, intéressons nous à quelques exemples révélateurs des interactions que nous vivrons à l’avenir :

Google, la référence de l’anticipation

En se basant sur les données récoltées sur ses utilisateurs — et pas nécessairement uniquement sur ses clients, Google est devenu le champion de l’anticipation.

Grâce à la localisation d’un internaute, ses recherches passées, Google devine sa question et lui suggère un nombre très limité de choix pour lui permettre d’obtenir rapidement, sans effort, l’information qu’il cherche.

Autre service de Google, son assistant personnel mobile Google Now. Capable d’aller encore plus loin dans la recommandation, l’assistant affirme pouvoir répondre aux attentes avant même de les formuler.

Grâce à des indices (agenda, position, emails), Google identifie à chaque instant nos moments de vie afin de proposer des suggestions contextualisées : horaires d’un film susceptible de nous plaire dans un cinéma aux alentours, itinéraire vers un lieu dans lequel nous nous rendons tous les jeudis soirs, affichage de notre carte d’embarquement quelques heures avant de prendre un vol… Les exemples sont nombreux et simplifient le quotidien.

Spotify, le service qui ne vise pas l’exhaustivité de son catalogue mais la création d’une expérience musicale unique

Depuis 2008, Spotify est devenu la référence de streaming musical, face à Deezer et le nouvel entrant Apple Music. La raison de ce succès ? Essentiellement les playlists, qui correspondent à toutes les situations de vie de ses abonnés. Créées aussi bien par des curateurs humains que des algorithmes, elles contextualisent notre écoute : “Concentration maximale” (playlist essentielle pour rédiger cet article), “Motivation pour le sport”, “Automne-Hiver”…

Récemment, Spotify a lancé deux fonctionnalités, qui sont autant de nouvelles armes de rétention de ses utilisateurs, clients d’un service pouvant être stoppé à tout moment : “Découvertes de la semaine” et Running. La première propose une sélection unique, créée pour chaque utilisateur. La seconde construit la playlist en fonction de l’état d’esprit et du rythme de l’utilisateur lorsqu’il court pour qu’il se départisse de choix superflus.

L’utilisation de ce mode de conception ne se limite pas aux grands groupes comme Google ou Spotify. Au contraire, elle est également utilisée par plusieurs start-ups afin d’en tirer un avantage concurrentiel majeur, celui de l’expérience et des éléments de différenciation. Once, l’application de rencontre, souvent présentée comme “l’anti-tinder” repose sur ce principe.

Once, l’application de rencontre qui n’offre qu’une proposition : la meilleure

Le service adopte une stratégie à contre-pied de ses concurrents. Plutôt que de proposer aux utilisateurs un maximum de rencontres, l’application limite le choix à une personne par jour. Tandis que les utilisateurs d’Happn ou Tinder s’adonnent au scroll et au swipe durant plusieurs dizaines de minutes pour espérer trouver la bonne personne, Once n’en proposera qu’une. A midi, chaque jour, une notification est envoyée invitant à découvrir le profil de votre futur coup de coeur du jour. La suite est la même qu’ailleurs, si on se plait mutuellement, une conversation peut naître via l’application. Sinon il faudra patienter jusqu’au jour suivant pour découvrir une nouvelle âme soeur anticipée.

Comme Spotify, les suggestions sont issues du contexte de l’utilisateur, d’algorithmes de recommandations et d’une “touche humaine”, celle des entremetteurs employés par Once pour parfaire la recommandation. Le résultat pour l’utilisateur : une expérience qui parait plus authentique grâce aux ressors du design anticipatif. Le bénéfice pour Once : ne pas mettre en avant le nombre de membres de la plateforme — le coeur de la bataille de tous les sites de rencontre, mais bien la qualité des rencontres.

Prizm, l’enceinte qui diffuse « la musique parfaite »

Prizm est une start-up française concevant des enceintes connectées et intelligentes. Au-delà de votre musique préférée, elle est en mesure de jouer la « musique parfaite », en prédisant celle que vous voulez écouter au bon moment.

A l’instar du thermostat Next, Prizm annonce le futur des objets connectés : ceux qui nous permettent d’accéder très simplement à un service — ici Spotify, Deezer ou SoundCloud — tout en offrant une interface minimaliste et une intelligence contextuelle. Proche du principe « no interface » l’enceinte dispose d’un nombre limité de boutons et ne requière pas de connectivité à un smartphone. Quant à l’intelligence contextualisée, l’enceinte apprend en permanence le type de musique que vous aimez écouter et surtout avec qui. Si vos amis sont à vos côtés, l’enceinte les reconnait et adapte les chansons jouées aux goûts des personnes présentes à vos côtés.

Digit, l’invisible app qui anticipe vos mouvements bancaires pour vous faire gagner de l’argent

Digit.co est une invisible app, ce nouveau canal d’interaction avec un service basé sur la conversation, comme nous le décryptions ici.

Bien plus qu’un service permettant de consulter son solde par texto, Digit.co a mis en place un algorithme qui étudie nos habitudes de consommation à travers nos paiements, futurs revenus et dépenses récurrentes. L’objectif : déterminer le « reste à dépenser » pour en transférer une fraction sur un autre compte — pour le moment non rémunéré, qui vous permettra de constituer une épargne pour de future dépenses. A tout moment, les utilisateurs peuvent « retirer » l’argent de ce compte en envoyant un SMS, seul canal d’interaction avec le service.

Vers des nano-expériences parfaitement anticipées

On l’observe : ces champions de l’anticipation ouvrent une nouvelle ère de l’expérience utilisateur. Ils se dotent des technologies qui permettent de capter les besoins en permanence — et ré-inventent radicalement la façon de consommer du service pour diminuer le choix de l’utilisateur mais augmenter sa satisfaction.

Dans cette nouvelle approche, les décisions sont prises et effectuées pour le compte de l’utilisateur, dans son intérêt. Pour cela, il s’agit donc de créer un écosystème propice à la personnalisation et à la prise de décisions automatisées.

L’anticipatory design, c’est l’ère de la réconciliation du back et du front. C’est la conception de systèmes intelligents et apprenants, fondamentalement bâtis autour d’une expérience utilisateur entièrement refondue. Où le design des interfaces conduit à la conception de services entièrement personnalisés : des captations de données fluides, et des interfaces de plus en plus fondues — quasi invisibles.

A l’effet catalogue, on préfère le push d’une solution particulièrement pertinente.
Aux champs de formulaire statiques, on préfère une conversation dynamique.
Au multi-choix décourageant, on préfère le non-choix engageant
Aux interfaces de masse, on préfère des nano-expériences, à l’échelle et aux contextes de chacun des utilisateurs.

Le design anticipatif n’est évidemment pas réservé qu’aux startups ou aux GAFA, même s’ils montrent et ouvrent la voie.

Comment choisir son assurance vie ? La petite robe noire parfaite ? La bonne solution de transport ? Epargner ou souscrire à un crédit ? Les industries traditionnelles doivent elles aussi mieux guider les utilisateurs vers la bonne solution : le design devient alors le nouveau conseiller. Et la connaissance du client un gage de service.

Le sujet vous intéresse ? Contactez Caroline Pandraud, Project Director — FABERNOVEL Paris

Cet article a été initialement publié sur le blog de FABERNOVEL en février 2016.

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