L’intelligence collective et le futur de l’innovation dans les organisations

Romain Perroud
Fabrique numérique
4 min readSep 30, 2019
Photo d’Asa Rodger

L’intelligence collective au sein des organisations n’est pas une phénomène nouveau. Depuis les années 1990, de nombreux auteurs et chercheurs ont théorisé ce sujet et certaines entreprises, comme IDEO, sont devenues des références en la matière. Avec l’avènement du numérique ces dernières années, l’intelligence collective a été remise sur le devant de la scène, au point d’en faire l’un des piliers de l’innovation.

Il existe aujourd’hui de multiple définitions de l’intelligence collective. Il est néanmoins possible de la considérer comme un processus permettant à un groupe de maximiser ses capacités cognitives. En effet, la multiplication des interactions humaines et la mise en commun de connaissances individuelles, mêmes partielles, permettent, par un phénomène d’émergence, de résoudre des problèmes complexes et d’accroître les connaissances du groupes. La synergie des individus contribue ainsi à accroître leur innovation et leur créativité. La participation de chaque personne à cette entreprise collective et collaborative permet également, par un effet d’entraînement, de garantir et intensifier leur engagement au sein du groupe.

Toutefois, l’intelligence collective doit répondre à des règles pour pouvoir générer ce cercle vertueux. Il est en effet facile de tomber dans certains écueils pouvant produire les effets inverses à ceux recherchés. Parmi les plus répandus, nous trouvons :

  • Les cas où certaines personnes n’osent pas dire ce qu’elles pensent. Cela peut être dû à de la timidité, à un manque de confiance envers les autres membres quant à leur réaction, à la crainte de dire quelque chose de non-pertinent et/ou de dire quelque chose allant à l’encontre des idées générales du groupe. Cette situation peut avoir des répercussions plus ou moins critiques, en particulier si la personnes accepte passivement un état de fait dont elle se doute qu’il peut mener à des conséquences sérieuses.
  • Les cas où les avis d’experts ou de spécialistes ne sont pas pris en compte au vu de l’opinion générale d’un groupe, bien que ses membres se trompent ; ou, au contraire, les cas où les membres d’un groupe acceptent sans réflexion l’avis d’un expert ou d’un spécialiste.
  • Les cas où l’homogénéité des opinions, le conformisme, ou d’autres effets de groupe, limitent la génération d’idées, les discussions et la pensée critique des individus.

Il apparaît alors clairement que la circulation des idées ainsi que la garantie d’interactions multiples et sans entraves entre les membres d’un groupe sont fondamentales. Pour ce faire trois règles clés sont à respecter :

  1. Abolir les relations hiérarchiques pendant la durée de l’exercice. Chacun doit être libre de parler et de proposer sans obstacle ou même de se taire.
  2. Respecter le temps de parole et les propos de chacun. Les idées ne sont ni bonnes ni mauvaises, elles sont des éléments permettant d’aboutir à la solution.
  3. Parler en son nom propre, pas de ce que pourrait penser les autres (“je” plutôt que “on pense que”).

L’intelligence collective, pour être positive, dépend donc essentiellement de la faculté à coopérer des individus. Elle reprend donc les éléments théoriques de la coopération, en particulier : un minimum de confiance et la recherche de l’optimisation de ses intérêts particuliers par la promotion des intérêts collectifs. La métaphore de Rousseau sur la chasse au cerf est, à ce titre, très parlante des risques que peut faire peser la prévalence de l’individuel sur le collectif.

S’agissait-il de prendre un cerf, chacun sentait bien qu’il devait pour cela garder fidèlement son poste; mais si un lièvre venait à passer à la portée de l’un d’eux, il ne faut pas douter qu’il ne le poursuivit sans scrupule, et qu’ayant atteint sa proie il ne se souciât fort peu de faire manquer la leur à ses compagnons”.
J-J Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1754

Ainsi, l’intelligence collective s’avère productive lorsque tous les éléments composant le groupe agissent dans un but commun. Par exemple, une situation de crise, dans laquelle un seul objectif défini permettra de s’en sortir, peut générer cette synergie.

En somme, l’intelligence collective n’est ni innée, ni instinctive. Elle est le fruit d’une stimulation exogène à l’individu. C’est pour cela qu’elle doit être encadrée. Dans un premier temps, il est donc utile, voire conseillé, d’avoir un “facilitateur” qui ne participera pas, mais sera là pour veiller au respect des règles. Une fois ces règles intériorisées, les ateliers pourront alors se faire avec plus d’autonomie.

Il est toutefois très important de garder en tête que l’intelligence collective dans une organisation est, avant tout, une volonté du dirigeant, des managers, mais aussi des employées, de mettre en place ce type de méthodologie dans leur quotidien. Ils doivent reconnaître l’utilité et le bénéfice à collaborer, à la fois pour le groupe et pour eux-mêmes. Ils doivent réaliser que leur performance au sein de ce groupe est meilleure que s’ils étaient isolés. Bien que des méthodes, comme le Design Sprint et Design Thinking, permettent de mieux cadrer et accompagner l’intelligence collective pour améliorer ses effets, l’adhésion à cet état d’esprit est primordiale.

Si la tâche peut sembler compliquée pour les grosses organisations monolithiques et pyramidales, elle n’est pas impossible. Ainsi, bien que nous œuvrions dans un environnement très hiérarchisé, à la Fabrique numérique nous poussons vers ces méthodes afin de maximiser la créativité et l’innovation dans nos projets.

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