Mais ça veut dire quoi, être élève chez soi ?

Anne Pédron
Faire Ecole Ensemble
4 min readMar 30, 2020

Voilà plus de deux semaines que les enseignant.e.s sont en première ligne et développent de nouvelles formes de solidarité et de lien social pour assurer une continuité pédagogique pas toujours évidente à définir.

Et de l’autre côté, comment cela est-il vécu ? Comment est-on encore “élève” chez soi, attablé dans le salon, à son bureau dans sa chambre, face à son écran, avec ses frères et soeurs, ses parents qui travaillent à côté ? Nous avions le sentiment de ne pas avoir beaucoup entendu la parole des enfants et adolescents, pourtant les premiers concernés par la décision de fermer les écoles, collèges et lycées dans lesquelles ils passaient jusque-là 8h par jour. Du CM2 à la Terminale, nous avons donc passé une heure avec des élèves de Lille, Bordeaux ou encore Paris, Rennes ou Nantes pour réfléchir ensemble à cette situation inédite.

Ce changement de rythme, de cadre, de posture, comment le vivent-ils ? Qu’y ont-il appris sur eux-mêmes ? Sur leur rapport à l’école ? C’est tout cela que nous avons voulu explorer, modestement, en prenant la température d’un petit groupe d’élèves. Avant que des études de plus grande ampleur ne nous donnent à tous un tableau plus global et nous renseignent aussi sur les élèves que les enseignants n’arrivent pas à joindre. Entre la joie de s’organiser comme ils veulent, le stress de ne pas réussir à “bien” travailler et la difficulté à vivre loin de ses copains, voici quelques-uns de leurs retours les plus marquants:

  1. Ils n’ont plus constamment l’oeil sur la montre : plus de sonnerie du réveil ou alors plus tard que d’habitude, pouvoir jouer toute l’après-midi parce qu’on ne fait l’école que le matin, voilà le plus grand bénéfice du confinement que nous ont cité les petits, comme les grands. S’ils n’ont jamais parlé de “ralentir”, ils ont tous dit le plaisir à prendre le temps, à avoir une forme de tranquillité dans leur journée, à vivre dans une sorte de “cocon”, un peu hors du temps.
  2. L’autonomie dans les apprentissages, c’est dur et ça s’apprend : “C’est difficile de se lever le matin sans avoir de but” disait une élève de 3e. Oui, réussir à se mettre au travail tous les matins, être libre de commencer par les maths ou le français, organiser sa semaine à partir du travail envoyé par les profs… Autant de problématiques qui renvoient toutes à la capacité à se donner ses propres règles, cette fameuse “autonomie” de l’élève dont on parle tant et qui est rudement mise à l’épreuve par ce confinement. De l’emploi du temps avec des couleurs ou des post-its aux applis d’agendas en passant par le fait de dédier un espace au travail, chacun tente de développer des stratégies pour s’organiser.
  3. Ils ont le sentiment de crouler un peu sous les devoirs : Du CM2 – “on a toujours plus de travail, j’ai l’impression d’être un ogre qui mange les devoirs”- au lycée – “Nos profs croient qu’on est encore au lycée et qu’on travaille 7h par jour assis à notre bureau” -, les élèves ont tous témoigné de cette abondance de documents, exercices, devoirs reçus par mail ou sur l’E.N.T, se sentant un peu livrés à eux-mêmes pour y faire face. Avec l’impression qu’on se préoccupe plus de les nourrir de contenus que de leur demander s’ils arrivent à apprendre et à travailler chez eux…
  4. Car pour eux, rien ne remplace l’enseignant.e: Si les CM2 nous ont dit aimer apprendre avec leurs parents, avoir ainsi un suivi individualisé, ils étaient également d’accord avec les collégiens et lycéens pour dire que les explications du prof quand on n’a pas compris, quand on est un peu perdu, c’est quand même toujours mieux. Certains apprécient d’ailleurs les nouvelles relations qui se créent avec certains de leurs profs, plus cools, moins formelles. D’autres regrettent que leur enseignant.e ne prennent pas plus de leurs nouvelles.
  5. Et surtout, rien ne remplace la classe et les copains : les rires de la salle de classe, les discussions de couloir, les camarades qu’on ne connait pas trop mais qu’on apprécie quand même, les profs sur lesquels on râle mais qu’on aime bien au final …Voilà avant tout ce qui leur manque : les liens affectifs, sociaux, éducatifs qu’ils ont tissé depuis toujours à travers l’Ecole et qui ont brutalement disparu de leurs vies. Bien sûr les plus jeunes comme les plus grands continuent de discuter avec leurs amis sur les applis de messagerie instantanée mais tout regrettent l’espace de sociabilité de la classe, de l’école. Et beaucoup disent être un peu déçus de ne pas voir leur classe en visioconférence, juste comme ça, pour prendre des nouvelles, s’assurer que tout va bien pour tout le monde dans ce moment très anxiogène.

C’est donc avant tout de relations humaines, de rapport au travail, aux autres, à soi-même qu’il a été question pendant une heure… Avec beaucoup de tendresse et d’affection pour l’école autant que pour celles et ceux qui la peuple, leurs camarades comme leurs enseignant.e.s.

A les écouter, s’il y a d’abord quelque chose à faire dans cette période, c’est maintenir et encourager la continuité éducative. Celle qui maintient un cadre, un climat propice aux apprentissages, à la curiosité, à l’envie d’apprendre. Un cadre qui repose sur celles et ceux avec qui ils l’ont défini au quotidien depuis qu’ils sont élèves: les enseignant.e.s et tous les adultes engagés dans la vie de l’Ecole.

Que l’on se rassure donc, l’Ecole à distance ne semble pas conduire les élèves à vouloir plus de distanciation avec l’Ecole. Mais peut-être à inventer de nouvelles formes de relations avec elle.

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