Introduction à la microfinance

Virginie Leheup
Finance alternative
8 min readFeb 4, 2015

Bruno Tassart, ancien étudiant de ESCP Europe ayant fait carrière chez BNP Paribas et reconverti dans la finance solidaire, a animé ce mardi 4 novembre une conférence interactive TNT (Try & Teach) pour nous éclairer davantage et répondre à nos questions sur le microcrédit.

Petite introduction au microcrédit…

En guise d’introduction, Bruno Tassart a tenu à nous montrer la nécessité de penser autrement la finance. Les chiffres sont éloquents : aujourd’hui 2,5 milliards de personnes n’ont pas de compte bancaire et n’ont donc pas accès aux services classiques que sont les transferts d’argent, l’épargne et potentiellement le crédit. Ce phénomène a d’abord des conséquences économiques : marginalisés par le système bancaire classique, nombreux sont ceux qui se voient dans l’incapacité de démarrer leur activité. Mais il influe également sur la vie quotidienne de ces personnes, dont le niveau de vie demeure la plupart du temps très faible.

C’est ici que le microcrédit joue un rôle majeur. Pour en donner une définition simple, il s’agit d’une nouvelle forme de système bancaire où des crédits de faibles montants — parfois une dizaine d’euros ! — sont accordés à des entrepreneurs en vue de développer des activités génératrices de revenus. Cependant ces populations n’ont pas seulement besoin de financement, mais également de tous les services bancaires associés à la création d’une entreprise. Ainsi, à plus grande échelle, la microfinance recouvre l’ensemble du microcrédit et de ces services annexes.

Revenons aux principes fondamentaux du microcrédit

Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix 2006

Le microcrédit n’est pas un phénomène récent, bien au contraire. Au Moyen-âge déjà on observait des sortes d’épargnes et de prêts solidaires, sous forme de coopératives. Néanmoins, c’est dans les années 1970 que le microcrédit connaît un essor, notamment grâce à l’action du Professeur Yunus au Bangladesh. En effet, dans les régions agricoles, on s’aperçoit à cette période que de nombreuses femmes désireuses de démarrer une activité économique ne peuvent mener leur projet à bien par manque d’argent. On s’aperçoit alors que les dons et subventions ne sont pas les seuls moyens de contribuer au lancement de leur activité, mais que le prêt semble être une solution plus efficace encore. L’idée est alors de responsabiliser ces entrepreneurs, qui s’engagent à faire fructifier leur activité pour rembourser leurs financeurs par la suite.

Mais se pose alors la question suivante : comment mettre en place un système financier solide capable d’aider ces populations quand le système bancaire classique ne veut pas en entendre parler ? C’est de ce constat que naît l’idée de créer des institutions de microfinance (IMF), qui joueraient le rôle d’intermédiaires entre les clients finaux et les structures bancaires. Ainsi la microfinance s’inscrit parfaitement dans la logique des objectifs du millénaire pour le développement,mis en place par l’ONU en 2000, parmi lesquels figurent l’élimination de l’extrême pauvreté et de la faim, l’accès à l’éducation ou encore l’égalité des sexes.

Comment s’organise le secteur de la microfinance aujourd’hui ?

Il existe aujourd’hui trois structures principales de microfinance que sont l’ADIE (Association pour le Droit à l’Initiative Economique), PAMIGA (Groupe Microfinance Participative pour l’Afrique) et les fonds de Private Equity. Leur but est d’aider à accroître l’impact du secteur de la microfinance, en se concentrant notamment sur deux types d’emprunteurs particuliers.

Tout d’abord faut-il se rappeler que ce sont bien souvent les femmes qui gèrent l’argent et tiennent la comptabilité dans la microfinance rurale, plus encore que dans le monde urbain. L’approche de ces IMF tend donc à mener des actions spécifiques en faveur des femmes, tout en instaurant néanmoins un contrôle pour limiter les dérives. Par exemple au Cameroun ou en Tanzanie, le prêt accordé à la femme se retrouve bien souvent aux mains de l’homme de la famille exclusivement. En outre, les jeunes sont également des emprunteurs tout particulièrement ciblés par les IMF, notamment en Tunisie ou au Sénégal, où le taux de chômage des jeunes actifs est élevé. Le but serait ici de les aider à démarrer une activité économique de laquelle ils pourraient vivre, quel que soit leur niveau d’éducation.

Quelques chiffres…

· Les IMF servent aujourd’hui 92 millions de clients dans le monde. On peut même en dénombrer bien plus si l’on prend en compte l’impact que les prêts accordés ont sur l’entourage de chacun de ses entrepreneurs.

· 50% de ces clients sont localisés en Asie, 20% en Amérique Latine, 15% en Malaisie ou aux Philippines, 9% en Afrique et le reste en Europe de l’Est. Jusqu’à récemment, l’Afrique n’attirait pas les investisseurs, effrayés par l’instabilité des Etats, les maladies et autres fléaux. Mais depuis quelques années la microfinance s’y développe, ce qui est un grand bien au vu des besoins colossaux actuels de ce continent en pleine mutation.

· 85 milliards de dollars. C’est le montant total alloué par les IMF aux emprunteurs. Le premier bénéficiaire est l’Amérique latine avec 33 milliards, suivie de l’Asie du sud-est et de l’Afrique.

· En ce qui concerne les sources de financement, 40% provient des banques, 20% des institutions non bancaires (institutions d’aide au développement, fonds privés, ONG, coopératives…).

Mais qu’appelle-t-on le microcrédit exactement ?

Comme chacun sait, credit signifie confiance en latin. Le microcrédit repose donc avant tout sur la confiance, tout comme le crédit classique. En effet lorsque l’on prête aux entreprises, c’est la plupart du temps que l’on croit en leur projet et en leurs équipes de management. Le microcrédit est fondé sur le même principe, mais démultiplié. Face aux prêteurs se trouvent des personnes privées (des entreprises unipersonnelles) qui n’ont pas d’histoire bancaire, pas de comptes, pas de relevés, etc. Dès lors, sur quels fondements peut se nouer la relation de confiance ? Bruno Tassart nous explique que celle-ci naît tout simplement de l’expérience sur le terrain, et que celles que lui même a nouées sont apparues lorsqu’il s’est rendu chez ces entrepreneurs et qu’il a observé en détail leur activité.

Mais tout cela demande une organisation, qui passe par trois axes majeurs. Tout d’abord beaucoup de ces IMF forment et dépêchent dans les villages des équipes qui ont une grande connaissance du terrain. De plus, il faut que les entrepreneurs fassent connaître leur projet au sein de leur village, en parlent autour d’eux, notamment au chef du village. En effet ces communautés fonctionnent souvent selon un système de coparrainage, dans le cadre duquel le chef est convoqué à chaque fois qu’un nouveau prêteur se présente, afin de donner son consentement. Mais la notion de communauté demeure primordiale, car souvent lors de l’élaboration d’un projet, un groupe se constitue au sein du village et chaque membre se porte caution solidaire de l’autre. La pression sociale est alors très forte, la constitution du groupe est un élément fondamental de la mise en œuvre du projet, comme le montre le système de tontine.

Rentabilité et microfinance : des termes compatibles ?

Pendant longtemps, le terme « rentabilité » a été tabou dans le monde des IMF. Le but de la microfinance n’est pas en soi de faire du profit, mais tout de même d’assurer une certaine pérennité. Or il semblerait aujourd’hui que l’on s’oriente vers des structures de plus en plus durables et économiquement viables. Néanmoins il est rare de voir des institutions qui soient extrêmement rentables, car cela viendrait à nuire à terme à leur objectif premier : avoir un retour sur investissement qui soit social et/ou environnemental avant d’être financier. C’est pourquoi la banque mexicaine Compartamos fait largement polémique aujourd’hui dans le monde de la microfinance, depuis son introduction en bourse et son passage du statut de « non-profit » à celui de « for-profit », selon un journaliste de Business Week.

Le boom de la microfinance rurale

La microfinance rurale a longtemps été plus complexe que la microfinance classique, car considérée comme plus risquée. Cela tient essentiellement à son modèle, relativement difficile à rendre viable sur le plan économique en raison de la faible quantité d’argent disponible ou de la qualité moyenne des structures. Mais ce secteur semble être aujourd’hui en pleine évolution.

D’une part se répand peu à peu l’idée que l’investissement dans la microfinance rurale finance non seulement un producteur mais apporte également une aide substantielle à l’ensemble de la chaîne de valeur.

D’autre part, l’essor de la téléphonie mobile dans des régions autrefois relativement marginalisées permet le développement du mobile banking, qui facilite largement les opérations bancaires dans le monde rural. Ces deux évolutions majeures font ainsi de la microfinance rurale un secteur en pleine expansion.

Les zones d’ombre de la microfinance

Même si la microfinance se structure et se responsabilise, il demeure certaines zones d’incertitude, notamment en ce qui concerne les moyens à utiliser pour mesurer l’impact de l’action des IMF. Bien que plusieurs sondages, ratings d’institutions et autres études soient menées, il demeure assez difficile de trouver des critères qui mesurent cela. Une autre question majeure concernant la microfinance est celle des taux d’intérêt, qui souvent sont très élevés. Seule l’ADIE propose des taux raisonnables, entre 4 et 7%, car son modèle repose essentiellement sur des subventions. Des problématiques essentielles sont dès lors soulevées : comment trouver un équilibre financier ? Quel taux d’intérêt établir ? Quel type de crédit doit-on élaborer ?

Pour finir, quel est l’avenir de la microfinance ?

A cette question très subjective, les réponses sont variables. En tout cas, celle de M. Tassart est porteuse d’espoir. La microfinance ne cesse de se professionnaliser et les moyens techniques et humains mis à disposition ne cessent de gagner en qualité, ce qui laisse présager un bel avenir pour ce secteur. Cependant, toutes les structures de microfinance ne survivront pas. Parmi les 10 000 IMF existant aujourd’hui, plus de la moitié risque de disparaître. Mais cette régression quantitative ne serait que la traduction d’une amélioration qualitative.

L’enjeu majeur de demain sera donc de constituer des structures de masse qui garderaient leur principe intact. L’idée serait alors d’atteindre une population plus large tout en maintenant une approche sociale, malgré le risque permanent de dérive qui consisterait à placer la rentabilité financière au cœur du processus.

Merci à Bruno Tassart, intervenant lors de ce TNT

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