Nouvelle Loi Bancaire, la révolution des Fintech au Maroc
Monnaie électronique, paiement mobile, banque en ligne, Bitcoin et PayPal font désormais partie des choses qui pourront voir enfin le jour au Maroc grâce à la nouvelle loi bancaire. Décryptage.
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Note: Cet article est un peu plus long que d’habitude. N’hésitez pas à aller directement vers les questions qui vous intéressent. Chaque section est indépendante. Je vous encourage tout de même à lire l’ensemble si vous souhaitez avoir une compréhension complète du sujet; vous pouvez garder l’article en favoris (ctrl+d) ou l’imprimer (ctrl+p). Aussi, n’hésitez pas à partager. Plus nous sommes nombreux à partager nos connaissances plus le secteur des Fintech en sortira grandit. Très bonne lecture.
Introduction. Quoi de neuf dans cette loi ?
Tout a commencé il y a un peu plus d’un an. La loi 103–12, dite “Nouvelle loi bancaire”, est entrée en vigueur, une première depuis 2009. Or, cette loi est bien plus connue pour son introduction de la banque participative et de la banque islamique que pour ce qu’elle apporte pour les Fintech.
En effet, la loi 103–12 introduit un concept qui était indispensable pour que la Fintech au Maroc ait un avenir. Le concept de l’Établissement de Paiement. Que nous allons décortiquer dans cet article.
La loi introduit également le concept d’Agent de Paiement et reconnait la monnaie électronique. Des sujets qu’on traitera également.
Une précision est à faire ici. La “nouvelle” loi bancaire date en fait de Décembre 2014. Elle introduisait bien le statut d’établissement de paiement mais ne définissait pas les conditions et modalités du fonctionnement de ce dernier, ni des services qu’il peut proposer.
Il fallait attendre Juin 2016, pour que les deux circulaires de la Banque Centrale du Maroc (Bank Al-Maghrib), relatives aux établissement de paiement et aux services de paiement, viennent donner plus de détails sur la mise en application des dispositions de la nouvelle loi.
Vous pouvez télécharger en bas de l’article les documents de références: (1) Bulletin Officiel de la Loi 103–12. (2) La circulaire relative aux établissements de paiement. Et (3) la circulaire relative aux modalités d’exercice des services de paiement.
Le statut donc d’établissement de paiement est officiellement entré en vigueur en Juin 2016, il y quelques mois seulement. Ouvrant de nouvelles opportunités et des possibilités jusque-là inaccessibles au Maroc.
Qu’est ce que le statut d’établissement de paiement apporte concrètement ?
La réponse courte : Il met fin au monopole des banques sur les services et moyens de paiement.
Pour illustrer cette section, prenons pour exemple le paiement mobile.
Vous vous êtes déjà demandé pourquoi dans beaucoup de pays Africains le paiement mobile était aussi développé mais pas au Maroc ? Alors que dans des pays comme le Kenya les transactions sur mobile représentent 75% du PIB du pays ?
La réponse est très simple. Le paiement mobile ne pouvait pas voir le jour au Maroc pour des raisons tout simplement légales.
Dans l’ancienne loi, seules les banques avaient la possibilité d’opérer et mettre sur le marché des moyens de paiement (cartes bancaires, chèques, espèce, etc.). Le paiement mobile étant un moyen de paiement, et porté -souvent- par un opérateur télécom, ne pouvait donc pas exister au Maroc.
Des tentatives de deux opérateurs, à savoir Maroc Télécom, avec MobiCash, et Méditel (maintenant Orange) avec MédiCash n’avaient pas connue un grand succès. Et pour cause. Pour être en ligne avec la loi, ces opérateurs devaient faire passer leurs clients par une banque pour accéder au service, rendant tout le produit compliqué à utiliser et quelque part aussi inutile. Si le client devait quand même passer par une banque pour accéder au service, autant se contenter de son compte bancaire.
Mais tout ceci est maintenant de l’histoire ancienne. La nouvelle loi, en introduisant un nouveau statut accessible à tous, celui d’établissement de paiement, met fin au monopole des Banques sur les services et moyens de paiement.
Aujourd’hui, un opérateur télécom peut faire une demande d’agrément pour obtenir le statut d’établissement de paiement et commencer à ouvrir des comptes de paiement pour ses clients. En utilisant ses propres moyens de paiement, sans que ses clients aient l’obligation de passer par une banque.
Une opportunité en or pour enfin offrir au marocains des solutions de paiement dont l’expérience utilisateur est en adéquation avec nos habitudes de vie d’aujourd’hui. Où la mobilité fait partie intégrante de notre quotidien.
Le paiement mobile donc est le plus attendu, mais ce n’est pas le seul moyen de paiement qui pourrait émerger de la nouvelle loi, d’autres sont à venir, comme les portefeuilles électroniques ou e-wallet, à l’image de PayPal, ou encore des cartes de paiement et fidélité retail à l’image des cartes Target, Wall-Mart ou encore Air-France.
L’Agent de Paiement, la deuxième révolution de la nouvelle loi bancaire
En plus du concept d’établissement de paiement, les circulaires de Bank Al-Maghrib introduisent quelque chose qui passe souvent inaperçue dans les analyses et discussions sur le sujet. Mais qui représente une autre révolution dans le domaine du paiement et de la finance au Maroc : le concept d’Agent de Paiement.
Pour illustrer ce point, prenons une startup, une entreprise ou un opérateur télécom, Maroc Télécom -IAM- par exemple, qui voudrait lancer une application de paiement sur smartphone en tant qu’établissement de paiement.
A un moment ou un autre, les clients d’IAM vont avoir besoin de déposer ou de retirer de l’argent depuis leur compte. L’opérateur aura donc besoins de points physiques pour que ses clients puissent accéder aux services de dépôt et de retrait depuis leurs comptes.
C’est là où l’agent de paiement prend toute sont importance. IAM peut très bien se reposer sur ses agences existantes pour offrir ces services, mais peut très bien passer par des agents de paiement.
Ces agents de paiement peuvent être des supérettes, des supermarchés, des épiceries, des pressings, des télé-boutiques… En résumé, tout commerçant (physique ou morale) que l’opérateur (établissement de paiement) mandaterait comme étant un agent de paiement.
La révolution ? Bientôt, les marocains vont pouvoir recevoir un transfert d’argent chez la boulangerie du coin et d’ouvrir un compte chez le libraire du quartier. Des milliers de points de vente et de services s’ouvrent donc pour les Fintech au Maroc.
Et là où l’intérêt pour les opérateurs et grands groupes est indéniable, il l’est encore plus pour les nouveaux arrivants dans le secteur.
Les TPE et startups qui se lanceraient dans le paiement et qui n’ont pas de réseau d’agences existant, peuvent aussi mandater des agents de paiement et offrir un service aussi complet que celui des grands groupes ou mêmes des banques. D’autant plus que d’après la loi, un agent de paiement peut très bien offrir ses services à plusieurs partenaires (mandataires) à la fois.
L’épicerie du coin devient la nouvelle “agence bancaire”. Une révolution au Maroc, certes, mais un model qui a fait ses preuves depuis des années déjà dans les pays de l’Afrique sub-saharienne. Comme en Ouganda, en Afrique du Sud ou encore au Kenya où SafariCom dispose de plus de 50.000 agents de paiement.
En quoi l’établissement de paiement est-il différent d’une banque et que sont les services qu’il peut offrir ?
Une question qui se pose souvent quand ont voit qu’un établissement de paiement peut désormais offrir les mêmes services qu’une banque grâce à son statut et viser un publique aussi large que celui des grands groupes en ayant un réseau d’agents de paiement.
D’après la nouvelle loi 103–12, qui fait référence à la banque sous le nom d’établissement de crédit, ce qui différencie un établissement de paiement d’une banque, vous l’aurez deviné c’est donc, principalement, le Crédit.
L’établissement de paiement ne peut pas émettre des crédits pour ses clients, mais peut offrir des services semblables à ceux de la banques, à savoir, les services de:
- Transfert d’argent
- Ouverture d’un compte de paiement
- Dépôt (cash-in) et retrait (cash-out) depuis un compte de paiement
- Mise à disposition de moyens de paiements électroniques (cartes, e-wallet, app, etc.).
- Service de prélèvements, unitaires ou permanents
- Et virements de compte à compte
Concrètement, en ouvrant un compte de paiement chez un établissement de paiement, le client peut, grâce à une application sur son mobile, le site de l’établissement ou une carte de paiement, transférer de l’argent, payer ses achats chez les commerçants partenaires de l’établissement, effectuer des virements, retirer du cash depuis son compte ou même s’abonner à des services, comme une salle de sport par exemple, via les services de prélèvements.
En bref, un établissement de paiement, armé d’un réseau d’agents de paiement, peut très bien faire concurrence aux banques établies depuis des décennies sur les services cités plus haut. Ce qui, au final, profitera certainement au consommateur.
Mais les banques gardent tout de même la main sur les activités les plus rentables pour elles, à leur tête les activités de délivrance de crédits.
Qu'en est-il de ces nouveaux comptes de paiement, comment ça marche ?
Comme nous l’avons vu plus haut, un établissement de paiement peut ouvrir des comptes pour ses clients, directement ou via un agent de paiement, au même titre qu’une banque.
Seule différence, ces comptes ne peuvent être utilisés que pour la seule fin du paiement ou de transfert et en aucun cas pour faire du placement ou souscrire à des crédits.
Autre différence avec un compte bancaire classique, ici, un compte client peut avoir 3 niveaux. La circulaire de Bank Al-Maghrib relatives aux services de paiement, définie en effet 3 types (3 niveaux) de comptes client.
Chaque niveau est soumis à des exigences différentes en termes d’identification du client et de plafonnement.
Nous allons donc détailler dans cette section chaque type de compte et nous allons voir pourquoi les niveaux 1 et 2 sont à considérer comme la 3ème révolution qu’apporte la nouvelle loi, après celles du statut de l’établissement de paiement et d’agent de paiement.
Les comptes de paiement de Niveau 1
C’est un compte particulièrement adapté aux Fintech et à l’innovation dans ce secteur. Et pour cause. C’est un niveau de compte qui ne nécessite pas l’identification du client, seul un numéro de téléphone mobile est requis. Mais, c’est aussi le niveau le plus limité en terme de plafonds.
Limites et obligations
- Le client doit disposer d’un numéro de téléphone mobile marocain.
- Le compte client doit être plafonné à 200 dirhams : il ne peut, à aucun moment, contenir plus de 200 dirhams de fonds.
- L’établissement de paiement n’est pas tenu d’identifier le client ni de récupérer ou lui remettre des documents tel que contrat ou convention.
- Le compte peut être ouvert à distance, sans que la présence physique du client soit requise.
Utilité des comptes de niveau 1
Etant donné la limite de 200 dirhams du compte, il est naturellement à destination des services de paiement où les montants échangés sont très petits. Par exemple, les services de micro-paiement tel que café, parking, tickets de transport, articles de presse en ligne, vidéo à la demande, etc. Ou encore les services de micro-transfert de personne à personne (peer-2-peer) du type Venmo aux États Unis ou Lydia en France.
Mais la révolution qu’apporte ce niveau de comptes est indéniablement le fait que le client puisse souscrire à distance. En ligne depuis un site Internet ou via une application mobile. Sans aucun déplacement, échange de documents ou signature de contrat. Une possibilité longtemps rêvée par les acteurs du paiement.
C’est désormais un rêve qui devient réalité. Maintenant, tout porteur de téléphone mobile est un client potentiel.
Les comptes de paiement de Niveau 2
Le niveau 2 apporte plus de flexibilité et un plafond bien plus élevé que celui du niveau 1, mais nécessite quant à lui une identification “basique” du client.
Limites et obligations
- Plafond de 5.000 dirhams.
- Le compte client doit être nominatif.
- Le client doit être identifié avec son nom et un document d’identité officiel avec photo (CIN, Passeport, etc.).
- L’établissement de paiement doit renseigner une fiche d’ouverture de compte et annexer une copie du document d’identité du client.
- L’ouverture de compte doit faire l’objet d’une convention (ou contrat). Un exemplaire doit être remis au client.
- La présence physique du client n’est pas requise.
Utilité des comptes de niveau 2
Ce type de compte requiert donc l’identification du client, mais apporte une plus grande souplesse en terme de plafonds, et donc de services que l’établissement de paiement peut offrir à ses clients.
L’identification du client reste plutôt basique, seule une copie d’une pièce d’identité est requise et il n’est pas nécessaire au client de se déplacer ou d’être physiquement présent pour ouvrir un compte de niveau 2.
C’est un niveau de compte qui pourrait donc être considéré comme un “upgrade” d’un compte de niveau 1. C’est à dire que le client qui voudrait avoir accès aux mêmes services que ceux du niveau 1 mais avec des plafonds plus élevés, pourra “passer” au niveau 2 moyennant son identification. Qui pourrait être aussi simple que l’envoi d’un scanne de sa pièce d’identité à l’établissement de paiement.
Les comptes de niveaux 2 sont donc à destination d’une clientèle plus active. Par exemple, des personnes qui achètent souvent sur Internet et ne veulent pas utiliser leurs cartes bancaires ou n’en ont pas, ou des jeunes actifs qui envoient souvent de l’argent à leurs familles. D’un autre coté, les petits commerçants qui veulent commencer à accepter des paiements via mobile peuvent aussi faire partie d’une clientèle de niveau 2.
Les comptes de paiement de Niveau 3
Ici nous rentrons plutôt dans le domaine du bancaire. Les comptes de niveaux 3 sont plafonnés à 20.000 dirhams, plafond assez élevé pour une utilisation quasi-similaire à celle d’un compte en banque classique. Les exigences d’identifications sont quand à elle bien plus contraignantes que celles des autres niveaux.
Limites et obligations
- Plafond de 20.000 dirhams.
- Le compte client doit être nominatif.
- Un entretien avec le client est requis, pour vérifier son identité et récupérer ses documents d’identification.
- En plus d’un document d’identité officiel, le client doit remettre un justificatif de domicile, annexé à sa fiche d’ouverture de compte.
Note*: Ici, la circulaire n’est pas vraiment claire sur la nature des documents, copies ou originaux, ni sur celle de l’entretient avec le client, sa présence physique n’est pas clairement mentionnée. Laissant croire que l’entretient pourrait se faire à distance, comme il est le cas dans certains pays où il est possible d’ouvrir un compte bancaire simplement suite à un entretient Skype.
* La note précédente est une interprétation purement personnelle et ne représente en aucun cas une interprétation légale. J’essayerai de clarifier ce point avec un spécialiste et mettrai à jours l’article.
Utilité des comptes de niveau 3
Ici nous remarquons d’emblée que les comptes de niveau 3 sont plutôt à destination de services qui viendraient remplacer ou concurrencer les comptes en banques classiques.
C’est un type de compte qui pourrait être très utile du point de vue commerçant. Commerçants de quartiers, cafés, libraires, tabac, etc. Il leurs permet de recevoir jusqu’a 20.000 dirhams de paiements de la part de leurs clients qui n’auraient pas de monnaie et qui voudraient régler par mobile. Une fois ce plafond atteint, le commerçant pourrait simplement faire un retrait en espèce au près de l’agent de paiement le plus proche. Ou bien payer à son tour ses fournisseurs avec son compte de paiement. Il pourrait aussi transférer directement une partie à sa famille ou l’utiliser chez d’autres.
Conclusion
Nous avons vu dans cet article que la Loi 103–12, qu’on appelle communément nouvelle loi bancaire, mériterait aussi l’appellation Loi Fintech.
Elle apporte un cadre juridique et un ensemble de concepts qui auront un grand impact sur la Fintech au Maroc et plus globalement, sur les secteurs de la banque, la finance et du paiement.
Nous avons d’abord vu comment la loi, grâce à l’introduction du concept d’établissement de paiement, a pu mettre fin au monopole des banques sur les services de paiement. Et comment ce nouveau statut ouvre désormais ce marché à d’autres acteurs longtemps écartés de ce dernier, comme les opérateurs télécom.
Nous avons vu aussi comment la nouvelle loi ouvre le secteur du paiement à l’innovation et à la concurrence en introduisant le concept d’agent de paiement et en reconnaissant la monnaie électronique. Donnant les outils nécessaires aux petites entreprises et startups pour se lancer dans le domaine.
Et enfin nous avons détaillé la nature des services qu’un établissement de paiement peut proposer sur le marché. Et ce, dans le cadre des différents types et niveaux des comptes auxquels ses clients peuvent souscrire.
Le mot de la fin serait que les Fintech ont de beaux jours devant eux. Alors qu’il y a quelques mois seulement, on ne pouvait pas vraiment parler d’un marché de la Fintech au Maroc, aujourd’hui, non seulement le marché existe mais, pour une fois, un cadre légal est là non pas pour le brider, mais pour le supporter et l’encourager.
N’hésitez pas à me contacter pour clarifier un point, une section, corriger des erreurs ou tout simplement discuter du sujet. Sur Twitter @AmineAzariz ou via LinkedIn. Aussi, n’hésitez pas à partager l’article, c’est en partageant nos connaissances qu’on arrive à faire avancer les choses. Merci.
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Documents de référence
(1) Loi 103–12 — Bulletin Officiel n°6340 (05/03/2015)
(2) Circulaire relative aux Établissements de Paiement (C6.W16)
(3) Circulaire relative aux Services de Paiement (C7.W16)
About the author: Amine Azariz, Solutions Architect. Founder of Fintech.ma Previously: e-Payment Services Manager @ M2T & Head of Product @ AmanPay. Co-founder & CTO @ Greendizer. Co-founder StartupYourLife.