Hybrider pour mieux régner

Pauline Pham
Five by Five
Published in
4 min readMay 23, 2019

Dans un monde devenu incertain par défaut, la course technologique est trop souvent envisagée comme la voie unique pour transformer les entreprises et les mentalités. Une observation plus fine des acteurs qui ont su tirer leur parti de la « révolution numérique » nous prouve pourtant qu’aujourd’hui, la transformation requise est avant tout celle des business models. Et pour la mener à bien, une compétence s’impose : celle de la traduction. Je m’explique.

Pour commencer, le numérique n’est pas un secteur

Au cœur de la tourmente, les géants américains de la tech ont réussi en quelques années l’exploit de faire de la régulation un argument politique de premier plan. Mais avec la « Big Tech » dans le viseur, les décideurs politiques ont contribué à nourrir l’opinion publique d’une vision erronée des logiques à l’œuvre. À écouter le discours ambiant, on pourrait donc croire qu’il existe réellement un « secteur du numérique », monolithique et surpuissant, n’attendant plus que de se consolider pour enfin « dévorer le monde ». Je n’en crois rien.

Pour ma part, j’y vois même le signe d’un profond malentendu sur ce que représente le numérique aujourd’hui et sur le rôle des acteurs qui s’en répondent.

Il n’existe pas, ou plus, de cohérence industrielle, économique ou technologique des acteurs de la dite « tech ». Tout au plus une cohérence idéologique, et encore. De fait, les GAFAM n’ont plus grand chose en commun que l’acronyme par lequel on a vite fait de les désigner. D’ailleurs, les réduire à des « entreprises du numérique » ou « technologiques » devient de plus en plus difficile, à mesure que leurs activités se diversifient et viennent impacter des champs aussi divers que la santé, l’éducation… ou la démocratie.

Arrêtons un peu les raccourcis et retrouvons les mots pour décrire réellement ce qu’elles font. Facebook est à la fois un réseau social, un éditeur de contenus, un laboratoire d’intelligence artificielle et de réalité virtuelle, un écosystème applicatif, un intermédiaire bancaire… Amazon, une plateforme de distribution, un gestionnaire d’actifs, un fournisseur de services de stockage et de services financiers, un producteur audiovisuel, un fabricant d’objets connectés… Vous voyez où je veux en venir.

Ces définitions à multiples entrées sont la preuve même du succès du modèle de plateforme de ces entreprises, puisqu’elles témoignent de leur capacité à hybrider leurs modèles. Le point commun de ces entreprises n’est donc pas tant leur composante numérique ou technologique que l’hybridation des modèles qu’elles adoptent pour s’adapter en continu à un monde devenu incertain par défaut.

En cela, concentrer ses efforts de transformation sur la brique technologique plutôt que sur celles des business à venir, c’est regarder le doigt plutôt que la Lune.

Pourquoi basculer d’une logique de production à une logique d’hybridation

Face à ces entreprises qui prônent et expérimentent le modèle de l’hybridation, les grandes entreprises françaises et européennes ont tout intérêt à mettre à jour leur logiciel.

Le numérique n’est pas l’apanage de quelque unes, mais concerne désormais toutes les entreprises. Mieux, il est la condition d’une hybridation rapide. Plutôt que de s’évertuer à bâtir seule ses nouveaux business, l’entreprise hybride se dote avec le numérique d’une capacité à identifier et à assembler des briques existantes à son édifice en construction, qu’il s’agissent de talents, d’outils ou de compétences. Car loin d’uniformiser les modèles économiques ou les transformations opérationnelles, le numérique les décuple. Et c’est de cette complexité que les plateformes tirent leur force, comme l’a fait Stripe en bâtissant un produit API unique pour permettre aux entreprises de naviguer parmi plus de 135 monnaies et des dizaines de méthodes de paiement.

En y regardant de plus près, ce que propose la logique d’hybridation adoptée par les entreprises nativement numériques, c’est un basculement du modèle classique, fondé sur la réponse à un besoin identifié par l’augmentation constante des capacités de production ; vers un modèle qui consiste pour l’entreprise à identifier une grande diversité de besoins, et à s’organiser au mieux pour y répondre.

Ainsi, l’hybridation permet de faire coexister des business models anciens et nouveaux, de nouveaux talents avec les métiers traditionnels, mais aussi à faire émerger des relais de croissance à partir d’actifs délaissés, et à distribuer la valeur nouvellement créée au sein d’écosystèmes.

Elle permet d’envisager la transformation comme une adaptation en continu, une mise à jour perpétuelle au monde numérique plutôt qu’une révolution brutale et programmée.

Quand hybrider, c’est traduire

Que le numérique accélère toute transformation, vous le savez. Vous l’avez entendu dans la bouche de ceux qui disent que le numérique est un nouveau langage universel (décidément, que n’est-il pas ?) et qu’il serait bon de mettre tout le monde à la page.

Là encore, l’image est trompeuse. Que le numérique soit l’affaire de toutes les entreprises est une chose, qu’il en devienne l’espéranto tant rêvé en est une autre.

Car oui, une grande entreprise peut ressembler à maints égards à une tour de Babel, où chaque métier parle et défend son langage propre. Dans ce contexte, une bonne approche de la transformation est celle qui mise sur la diversité des expériences, le dialogue fructueux entre stratégie et exécution, entre business et tech. Et quand le dialogue est difficile, le rôle du leadership n’est pas d’imposer une langue unique mais plutôt de se faire le traducteur capable de conjuguer ensemble des visions du monde différentes.

Il appartient aux grandes entreprises en transformation et à leurs dirigeants de mettre en oeuvre cette capacité nouvelle de « traduction ». Par là, j’entends aussi bien de traduire un actif technologique en opportunité business, qu’une expertise inexploitée en vivier de talents ou encore une ressource dormante, en nouveau marché.

Traduire, c’est embrasser la complexité d’une culture différente de la sienne. C’est rechercher et apprécier les nuances plutôt qu’imposer une seule voie. C’est, enfin, l’attitude nécessaire pour mener une véritable dynamique d’hybridation, celle-là seule capable de transformer vos atouts en business à venir.

Initialement paru dans les Echos Executives

Pour en savoir plus sur Five by Five : www.fivebyfive.io.

Envie d’en discuter : contactez-moi en message privé.

--

--

Pauline Pham
Five by Five

Business #Design @fivebyfiveio #Fintech #Platform #APIs #DX @ScPoAlumni MD @starther_org