11 façons de devenir un-e meilleur-e joueur-euse

Sam Metzener
Flanc à la critique
13 min readAug 29, 2017

Ce texte est la traduction d’un article de Grant Howitt publié sur son blog sous le titre de « Eleven ways to be a better roleplayer ». Même s’il date de plusieurs années, il n’est passé que récemment sur les réseaux sociaux francophones que je fréquente (début août). Même si je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce qui y figure, j’ai eu envie de le transposer en français parce qu’il aborde un sujet méritant d’être creusé : ce n’est pas aux MJ de se taper tout le boulot dans le bon déroulement d’une partie. Je le remercie pour m’avoir donné son autorisation. Enfin, un merci tout spécial à Sonia pour son travail de trad (elle a quasi tout fait) et son regard aiguisé.

À toute fin utile, je précise également que le texte est écrit dans un style très américano-américain d’Amérique, genre on a gardé les vaches ensemble, et s’inscrit dans une vision traditionnelle du jeu de rôle (un MJ avec des prérogatives, des dés et une table). Les jeux à narration partagée tendent à diminuer certains problèmes soulevés ci-dessous en donnant le même degré d’autorité à tous les participants, ce que l’auteur reconnaît d’ailleurs. Mais leur pratique n’est pas encore si répandue et eux-mêmes soulèvent une foule d’autres questions passionnantes.

Bonne lecture et n’hésitez pas à commenter et à partager.

Déjà, pour bien jouer, il faut bien manger (MJ Alain Ducasse)

Sur le net, j’ai lu PLEIN d’articles concernant la manière de devenir un bon maître du jeu. C’est un sujet qui me fascine. Je suis transporté par une partie qui s’est bien déroulée, à tel point que c’est difficile de répliquer cette sensation sans sexe ni drogues, et me procurer ces derniers demande souvent plus d’efforts que ce que je suis prêt à fournir. Je veux devenir meilleur dans ma façon de mener des jeux ; je m’efforcerai d’y parvenir. C’est une passion. J’ai lu plus de livres sur la maîtrise de jeux que, par exemple, sur le sujet de mon diplôme universitaire.

C’est cependant extrêmement rare de trouver un article qui vous apprend comment jouer, alors que c’est tout de même plus répandu. Chaque MJ ayant sans doute en moyenne quatre joueurs. Cette coupure comme quoi la responsabilité de divertir incombe fermement à la personne derrière l’écran et que les joueurs se contentent de venir et d’assimiler est étrange. Et c’est à l’évidence une belle connerie.

Alors voici un texte que j’ai écrit, parce qu’il n’y a pas assez de matière à ce sujet en ligne. Il s’agit d’une poignée de conseils sur la façon de devenir un meilleur joueur. Je me suis imprégné de plusieurs sources que j’ai pillées, comme ce fil de discussion que j’ai démarré sur Reddit, mes amis sur Facebook, cette vidéo sur l’improvisation et le livre « Playing Unsafe » de Graham Walmsley. Merci à chacun d’eux pour leur perspicacité.

Nota Bene : je ne suis évidemment pas parfait. Regarder mon visage vous le confirmera. Je ne peux pas prétendre que je mets en application tous les éléments ci-dessous à chaque partie et de manière conjointe : il s’agit juste de conseils extrapolés à partir du temps que j’ai consacré plus souvent qu’à mon tour aux jeux de rôle des deux côtés de l’écran, où j’ai observé des joueurs et vu ce que j’aimais et ce que je n’aimais pas. Si vous jouez à beaucoup de jeux, j’espère que vous retirerez quelque chose d’utile de ce texte.

1. Faites quelque chose

Votre première tâche en tant que joueur est d’accomplir des trucs. En toutes circonstances, vous devriez penser : « Quels sont mes objectifs ? Et que puis-je faire pour les atteindre ? » Vous êtes les stars d’un univers très personnel et vous n’irez nulle part en restant le cul posé sur votre chaise, attendant que l’aventure frappe à votre porte.

Enquêtez sur des trucs. Posez des questions. Suivez des pistes. Personne n’a besoin que vous souligniez la prévisibilité d’une partie de l’intrigue, alors que vous êtes en plein dedans. Mélangez les scènes, parlez aux gens, mêlez-vous de leurs affaires. Si vous ne jouez pas le genre de personnage qui se comporterait de la sorte, trouvez quelque chose que vous pouvez influencer et ayez un impact dessus.

Si vous continuez à vous sentir relégué-e à l’arrière-plan et à vous tourner les pouces — demandez-vous pourquoi est-ce qu’un personnage aussi ennuyeux trainerait avec le genre de personnes qui font quelque chose ? Soyez actifs, pas passifs. Si vous ne devez retenir qu’une seule chose de cet article, retenez ça, bon sang !

2. Réalisez que votre personnage n’existe pas en dehors des choses que vous dites

Les gens, vous pouvez écrire autant de pages de background qu’il vous plaira, elles n’auront aucune influence sur le jeu, à moins que vous les fassiez se produire. Êtes-vous un homme d’affaires rusé ? Cool. Faites des affaires devant tout le monde de manière rusée. Êtes-vous un séduisant saxophoniste de jazz ? Jouez du saxophone. Êtes-vous un elfe sauvage qui peine face aux interactions sociales avec des gens civilisés ? Confrontez-vous aux interactions ! Ne partez pas vous asseoir dans la forêt !

Tout cela nous ramène vraiment au premier point ; vous existez seulement par vos actions. Ce n’est pas la responsabilité des autres joueurs de lire votre background et leurs personnages ne sont pas télépathes. Bon, certains le sont, mais vous voyez où je veux en venir. Ils n’ont pas à le faire.

Alors exhibez vos talents, vos traits de caractère, vos faiblesses, vos connections. Saisissez chaque opportunité de montrer, et pas seulement de dire, aux autres personnes autour de la table ce qu’il en est de votre personnage.

3. N’essayez pas d’empêcher des choses

Contredire les actions d’un autre joueur ne sert pas à grand-chose ; tout ce que ça fait est de confronter deux éléments qui pourraient changer l’histoire de manière tellement violente qu’aucun ne fonctionne. Par exemple, votre combattant veut frapper un abruti, mais votre moine est contre, alors il retient la main du combattant. En termes de jeu, rien ne s’est passé. Tout ce que vous avez fait c’est perdre du temps et on n’en a pas des provisions infinies.

À la place, laissez-vous porter par le courant. Construisez. Si le combattant veut casser le nez de quelqu’un, que se passe-t-il après ça ? Est-ce que votre moine se dépêche d’aller aider l’abruti à se relever ? De réprimander le combattant ? De s’excuser auprès des amis de l’abruti, avant qu’il n’y ait trop de grabuge ? De sauver le combattant de la rixe qui s’ensuit, même s’il a agi contre votre volonté ? Ou de balancer le plus grand type de la taverne directement sur lui, histoire de lui donner une bonne leçon ? Ce sont des exemples d’histoires intéressantes. Empêcher le combattant de faire quoi que ce soit ne l’est pas.

Il ne faut pas invalider, il faut extrapoler (vous voyez, en plus ça rime, donc c’est facile de s’en rappeler)

4. Prenez entièrement possession de votre personnage

« Mon personnage ne ferait pas ça » est une excuse fatigante, un énorme NON face à l’histoire à un niveau fondamental. C’est un refus catégorique de participer.

Au lieu d’être attaché à des notions préconçues à propos de ce que votre personnage souhaiterait faire ou non, empoignez des complications, faites-le, mais tentez de définir pourquoi. Pourquoi votre filou accomplit-il cette mission pour l’église ? A-t-il des arrière-pensées ? Est-ce que cela provient d’un sentiment de camaraderie avec le reste du groupe ? Les personnages dans des situations inconfortables sont la source du jeu.

(Vous rappelez-vous la géniale histoire de ce hobbit qui a dit à Gandalf de partir, puis s’est assis dans sa maison, jouant avec ses orteils poilus toute la journée avant que son village entier ne finisse par de faire engloutir par les armées de l’Ombre ? Non. Non, foutrement pas. Alors mettez votre sac à dos et sortez de là, Frodon !)

Si vous vous trouvez régulièrement dans une situation où vous devez expliquer vos actions, ou ne pas vouloir suivre les décisions du groupe à cause des motifs de votre personnage… et bien, peut-être que ces motifs sont faux. Ils ne sont pas gravés dans la roche. Le groupe est central, pas votre petit personnage. Si les motifs ne fonctionnent pas, déposez-les au prochain village et tentez de jouer quelqu’un de plus ouvert aux nouvelles idées. Essayez de travailler avec le groupe pour construire un personnage qui y a sa place.

Votre personnage fait partie de l’histoire ; l’histoire n’est pas celle de votre personnage.

5. Ne blessez pas d’autres joueurs

Oh oh, voici un voleur enjoué qui pique des trucs aux autres membres du groupe ! Et son jet de dés pour les tours de passe-passe sera tellement élevé que personne ne remarquera rien ! Ça alors, quelle blague…

Personne n’aime ce type (il joue généralement un kender et je suis pleinement de l’avis que tous les kenders devraient être rapidement génocidés de tous les jeux de rôles. Je ne pense pas que le génocide est un crime si on parle de kenders.) Si vous volez d’autres joueurs, vous exercez du pouvoir sur eux d’une manière extrêmement salissante et sournoise. S’ils le découvrent, que vont-ils faire ? Allez-vous les forcer à utiliser les grands moyens ? Est-ce juste qu’ils vous tuent pour ça ? Est-ce drôle pour eux ? De même, attaquer d’autres joueurs est aussi horrible. Ça ne me pose pas de problème lorsque les systèmes soutiennent et encouragent entièrement ce type d’action — par exemple dans « Paranoïa » ou « Dogs in the Vineyard » — mais bon, ça suffit comme ça. J’ai de la peine à penser à une façon où de telles choses améliore le jeu ; si votre groupe n’a pas de problème avec ça, discutez-en préalablement. Mais laissez-moi en dehors de ça.

Il y a tellement de choses là-dehors qu’on peut voler, qu’on peut tabasser et tuer sans qu’elles ne s’offusquent, donc autant commencer par ça.

Un peu de déco, mais point trop n’en faut.

6. Connaissez le système, ne soyez pas nul à ce propos

Si vous connaissez un système, vous facilitez le travail du MJ, parce que vous connaissez les limitations de votre personnage. Vous pouvez calculer les chances d’une action particulière de réussir ou de rater, comme dans la vraie vie. Vous pouvez faire des estimations rapides des situations et agir en fonction, parce que vous connaissez les règles du monde.

(Les nouveaux joueurs, vous avez bien-sûr une dispense sur cette question. Mais faites néanmoins un effort pour apprendre les règles, évidemment, si vous souhaitez fréquenter le milieu du jeu de rôle.)

Mais pour l’amour de Dieu, ne pinaillez pas sur les règles. Ne faites pas ça. Ce n’est pas difficile de s’en rendre compte, et voici une indication très simple : si vous débattez d’une règle pendant plus de vingt secondes, vous êtes un pinailleur. Vous êtes l’inspecteur sanitaire des jeux de rôles et il vous faut arrêter de parler, parce que vous ôtez tout le plaisir du jeu.

Il y a des moments où les règles sont fausses et ce n’est pas un problème, mais j’ai du mal à penser à cet instant où le type s’est rappelé de la règle, où nous avons tous ri et passé un super moment parce qu’il l’a faite changer par le Maître du Jeu.

7. Focalisez-vous sur le jeu. Si vous ne pouvez pas lui donner toute votre attention, éloignez-vous de la table

Hé ! Vous jouez à quoi sur votre téléphone, là ? Oh, c’est Candy Crush ? C’est marrant, tous ces dés et feuilles de personnages me donnaient l’impression que nous étions en train de jouer à Donjons et putain de Dragons, je dois m’être terriblement trompé.

C’est difficile de penser à une manière d’être plus dédaigneux du jeu de quelqu’un que de jouer à un autre jeu en même temps. Si vous réalisez que vous vous ennuyez tellement vis-à-vis de la partie en cours que vous commencez à jouer sur votre téléphone, à lire un livre ou à aller sur Facebook, éloignez-vous. Vous exténuez le groupe par votre simple présence. Je préférerais avoir une chaise vide que quelqu’un qui ne prête pas attention au jeu, parce que je n’ai pas besoin d’amuser une chaise vide.

Et bien sûr (dans cette optique), c’est au Maître du Jeu d’offrir un jeu divertissant. Ce n’est pas à sens unique. Mais, en retournant au point un, agissez quand vous pouvez. Donnez-leur (aux maîtres du jeu) quelque chose sur lequel travailler. À moins que vous ne les payiez pour le faire, ils n’ont aucune obligation d’être votre marionnette juste parce qu’ils sont de l’autre côté de l’écran.

8. Si vous mettez quelqu’un mal à l’aise, excusez-vous et parlez-en ensemble

J’ai une règle dans mes jeux : « pas de baise avec quoi que ce soit ou qui que ce soit ». Simple. Propre. Élégant. Pas de conduite d’ordre sexuel ; souvent, c’est bizarre. J’ai eu des tentatives de séduction, évidemment, et ce n’est pas un problème. J’ai eu des personnages profondément affectés par des agressions sexuelles. Mais, et c’est le point central ici, pas de relations sexuelles « à l’écran ».

Dans des situations comme celles où l’on se retrouve chaque semaine, c’est facile de faire en sorte que les gens se sentent mal à l’aise. Peut-être que c’est aussi flagrant que de discuter de bébés morts ; peut-être que c’est quelque chose de beaucoup plus insouciant, comme être impoli ou flirter en étant vos personnages.

Si vous pensez que vous avez contrarié quelqu’un, posez-lui la question calmement. Et s’il le faut, excusez-vous, et arrêtez de parler de cet épisode particulier. Ce n’est pas sorcier ; c’est ainsi qu’exister en tant qu’humain socialement opérationnel fonctionne, d’une certaine manière parce que nous prétendons être un hobbit pour un moment, on oublie souvent comment l’être.

Donc, vous savez, soyez sympas. Soyez hyper sympas. Personne n’en pensera pas moins de vous pour autant.

9. Soyez un conteur

Les livres du Monde des Ténèbres demandent au Maître du Jeu d’être un conteur, parce qu’ils ne sont de toute évidence pas capables d’appeler un chat un chat. Mais ils ont raison sur un point ; un Maître du Jeu raconte des histoires. C’est facile d’oublier que les joueurs le font aussi.

Donc, faites un effort, hein ! Dites des mots. Développez l’intonation de votre personnage et sa posture. Décrivez vos actions. Réfléchissez à un niveau d’autorité avec votre MJ de manière à pouvoir mettre votre grain de sel dans des descriptions plus larges, ou juste de faire des hypothèses, de les décrire et de voir si ça colle. Dans tous les cas, un bon MJ devrait pouvoir faire avec ce que vous lui dites, à moins que cela n’aille contre son plan.

De la même façon, la concision = la base de l’intelligence. Un bon MJ ne monologue pas, ne force pas ses PNJ à avoir de longues discussions entre eux et ne pousse pas ses joueurs à s’asseoir confortablement et à regarder leur monde se développer sous leurs yeux. Sachez donc quand vous la fermer et gardez vos descriptions courtes — à moins que vous ne soyez un incroyable conteur, bien sûr. Quand c’est court et poignant c’est toujours mieux que long et fleuri.

10. Embrassez l’échec

L’échec peut être embarrassant. Je sais que je peux me mettre dans tous mes états quand les dés ne sont pas en ma faveur — quand j’ai par exemple passé mille ans à attendre patiemment mon tour dans un jeu où il y a beaucoup de participants, quand j’utilise un pouvoir spécial ou encore quand j’ai fait un grand discours ou une longue description d’une action hyper judicieuse — d’autant plus que j’utilise aussi des gros mots. Et pas des gros mots « sympas », comme on le fait tous quand on joue, mais plutôt du genre menaçant.

Et ce n’est pas cool. Je dois apprendre à traiter l’échec comme une branche de l’histoire, pas comme une entrave. Pourquoi j’ai raté ? Pourquoi mon jet d’intimidation n’a-t-il pas fonctionné ? Pourquoi n’ai-je pas crocheté la serrure ? Pourquoi ai-je été vu ? Qui a compris que j’étais le traître ? Quelles autres options puis-je explorer ?

Certains systèmes construisent ça par défaut — « Apocalypse World » par exemple. Ils vous donnent la possibilité d’influencer le monde à chaque fois que vous lancez les dés et pas juste d’échouer à diminuer les points de vie de quelqu’un. C’est génial ! Nous devons nous mettre dans cet état d’esprit par défaut. Nous devons considérer les échecs comme des contretemps et expliquer pourquoi notre personnage n’a pas rempli son objectif et nous devons comprendre que l’échec, ce n’est pas la fin du monde.

11. Jouez le jeu.

Ceci est un jeu. Ce n’est pas un défi qui existe uniquement dans la tête de votre MJ. C’est n’est pas l’arc narratif personnel de votre personnage. Ce n’est pas votre blog. Ce n’est pas un prétexte pour draguer un(e) des autres joueur(euse)s. Ce n’est pas une table où s’asseoir en silence. C’est un jeu.

On s’est engagé à jouer ensemble à un jeu. On raconte tous une histoire les uns avec les autres, les uns aux autres, et cette histoire est prioritaire. Prenez du recul par rapport au feu de l’action ; prenez du recul par rapport à la relation difficile de votre personnage avec sa mère demi-elfe noire ; prenez du recul par rapport à la façon dont le joueur incarnant le paladin ne cesse de voler votre dé.

C’est un jeu. Respectez les autres joueurs. Respectez l’histoire et agissez pour la servir. Respectez le fait que vous n’allez pas toujours obtenir ce que vous souhaitez, et que ça peut être intéressant.

Faites ce qui est le mieux pour le jeu. Faites ce qui est le mieux pour l’histoire. Soyez actif ! Soyez positif ! Soyez intéressant ! Changez les choses ! À la fin de la soirée, si vous ne partez pas avec de bons souvenirs en tête, quelque chose dont vous pourriez parler au bistrot pendant les années à venir, c’est que tout le monde autour de la table a foiré.

Rappelez-vous de ça, bisous !

Pour aller plus loin :

  • Je ne suis pas MJ mais… Le blog d’Eugénie, qui réfléchit à des techniques pour devenir une vraiment bonne joueuse.
  • Un lien pour acheter le livre de Graham Walmsley.

--

--