7 Days

Photoforum Pasquart
Flare | Photoforum
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6 min readMar 30, 2021

Interview avec Léonard Rossi à l’occasion de l’exposition du Prix Photoforum 2020.

Vue de l’exposition au Photoforum Pasquart © Léonard Rossi

Pouvez-vous nous parler brièvement du projet actuellement exposé au Photoforum?

7 Days trouve son origine dans un petit emploi dans une station-service de quartier que j’ai eu l’occasion d’exercer durant mes dernières années d’études. En tant qu’employé, la temporalité de ce commerce est différente, très lente. Cela m’a poussé malgré moi à être un témoin, une sorte ‘d’observateur actif’ de ce lieu particulier qui voit passer une clientèle très diversifiée, qui impliquent des comportements multiples. Alors j’ai commencé à m’interroger de manière très libre et informelle sur les personnes qui fréquentent cet endroit et ce lieu lui-même. C’est de là que tout est parti, à travers une curiosité assumée et mon intérêt autour des questions liées à la narration.

Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’exposer ce projet? Que voudriez vous transmettre aux visiteurs?

Ayant passé beaucoup de temps à expérimenter autour des questions qui m’intéressaient dans ce projet, j’ai constamment remis en question les éléments qui le constituaient et j’ai donc eu beaucoup de doutes sur sa réception par les spectateurs. C’est donc gratifiant à mes yeux de constater que ce sujet et le prisme par lequel il est abordé trouvent un écho, car c’est la première fois que ce projet est présenté. De fait, ce travail est destiné à une publication et donc le penser en terme d’accrochage est aussi un défi très captivant au regard des éléments que je cherche à transmettre.

Pour moi ce dernier élément est essentiel, car je cherche à impliquer le spectateur dans ces images à travers leur pouvoir d’évocation singulier. Ces scènes qui se déroulent trouvent leur origine dans les individus qui y prennent part et dans les éléments qui se trouvent dans l’image, sans explications. Cette décision amène le spectateur à émettre sa propre hypothèse au pourquoi de ce qu’il voit. D’une part, il y a quelque chose de plaisant à s’imaginer toutes sortes d’histoires avec ce qu’il nous est donné, d’une manière presque enfantine. D’autre part, il y a une part de projection de notre propre personne, de nos comportements et nos vies ainsi que de ce que nous vivons en tant que société. Il est évident à mes yeux que cette forme de storytelling, qui demande au public un effort d’imagination — ou non — est une part importante de ce travail.

Vue de l’exposition au Photoforum Pasquart © Léonard Rossi

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire un projet sur ce lieu particulier?

A l’origine, je n’avais pas d’idée spécifique en tête, bien que l’imaginaire autour des stations- services est abondant et qu’elles évoquent tout un éventail de choses chez une multitude de personnes, à travers la culture populaire et les arts, comme de par leur fonction primaire. D’autre part, la question visuelle étant primordiale à mes yeux, je trouve qu’il y a une facette séduisante aux station-services, ce qui ne me laisse pas indifférent. Dans un coin de ma tête, je trouvais alors intéressante l’idée de faire un travail autour de l’environnement d’un tel lieu, avec la volonté de ‘raconter des histoires’, sans vouloir être naïf. Une forme de témoignage anonyme sur ce lieu et les gens qui le fréquentent. Sinon de manière plus large, les thématiques sociales et liées à la consommation me touchent beaucoup, et un tel lieu est iconique, quasi-mythologique, de notre ère consumériste.

Donc c’est à force de travailler là-bas que je me suis dit que l’opportunité était trop belle de faire un projet sur cet endroit avec la position que j’avais. Comment ne pas chercher à réaliser un travail autour d’un tel lieu?

Le concept de ‘non-lieu’ de Marc Augé est central dans votre projet. Pouvez-vous explique ce concept, et la manière dont il est lié à votre projet?

Avec son idée de ‘non-lieux’, cet anthropologue français définit des espaces construits par l’humain, dans lesquels les individus restent anonymes. Là, ils ont uniquement un rapport de consommation ou utilitaire à ces lieux spécifiques, qui n’ont aucune réelle vocation sociale. Ce sont par exemple les lieux de transit, les supermarchés ou encore les stations-service. Le monde actuel, à travers ces multiples facettes a encouragé et encourage encore le développement de telles infrastructures qui fait fi des besoins sociaux élémentaires de la nature humaine. C’est un résumé très bref et plein de raccourcis, mais vous voyez l’idée.

J’aime croire que Marc Augé considérerait ce simple établissement de consommation rapide et anonyme comme un ‘non-lieu’, où les interactions entre individus sont limitées à l’essentiel. J’ai travaillé avec cette idée en tête, tout en cherchant à nuancer cela. Certes une station-service ne favorise pas les échanges comme un bar ou un mariage, mais j’y ai découvert un endroit qui était parfois proche d’un carrefour social avec ses codes et ses règles, ses habitués et ses innombrables anecdotes. Ce constat n’empêche cependant pas cette sensation de ‘non-lieu’ qui se dégage de ce type de commerce, qui reste un lieu de transit et de consommation rapide, et qui s’approche du concept de l’écrivain.

7 Days © Léonard Rossi

Vous avez travaillé avec une vaste quantité d’images de caméras de surveillance. Pourquoi avez-vous choisi ces images, et aviez-vous un narratif particulier en tête?

Comme je le disais un peu avant, le projet a connu des évolutions et remises en questions à travers des essais multiples. Mais la vidéosurveillance, avec son esthétique que je trouve très séduisante, a un côté voyeur intéressant. Cela permet de disposer d’images que nous ne pourrions pas nécessairement obtenir par d’autres moyens, en raison de son usage premier. Elle ouvre une porte fascinante lorsque l’on pense à la notion de ‘non-lieu’ et d’anonymat. Mais surtout, ces captures de caméras de surveillance invitent, à mon sens, à ‘spéculer’ sur leur contenu. Bien sûr, l’ensemble a toujours été guidé par ce désir de ‘provoquer’ des histoires chez le spectateur, à travers ces images parfois quasi-oniriques, qui ne laissent transparaître aucune information à leur sujet.

Aussi, je vois des liens en terme de temporalité, entre le temps ‘modifié’ de cet emploi, cette relation étrange au temps que nous offre de tels dispositifs ainsi que le temps qui a été nécessaire à ma démarche. C’était un processus lent et parfois fastidieux, mais je suis satisfait d’avoir procédé de la sorte. Au final, ce sont ces heures derrière le comptoir qui, petit à petit, ont commencé à me faire considérer ce lieu en l’explorant à travers les possibilités narratives uniques des images de vidéosurveillance. Et c’est en travaillant avec cet outil que je me suis convaincu de l’associer à ma démarche très libre et expérimentale — à mes yeux.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment? Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels ou futurs?

Actuellement je suis focalisé sur la publication de 7 Days, qui s’est avérée plus compliquée que prévu et plus difficile à mettre en œuvre en raison du contexte sanitaire actuel. Cependant, cela avance bien et j’espère pouvoir passer à la production dans les semaines à venir!

Concernant mes projets, je mène un travail sur la question publicitaire dans l’espace public en Suisse. Malheureusement, le climat très tendu entre autorités et les militants anti-publicité dans cette région ont mené à l’arrêt de ce projet — ce que je regrette — et que j’espère être en mesure de continuer. En attendant, j’ai dans l’idée de continuer à explorer la question militante, car elle me tient à cœur, sous une autre forme mais cette fois en utilisant un appareil photo. Mais pour l’instant, je me concentre sur un concept de projet sur une thématique très actuelle, qui risque d’être encore plus problématique dans les décennies à venir. Mais je n’en dis pas plus, car je suis pour l’instant uniquement dans une phase de réflexion.

Sinon je continue un projet au long cours totalement libre, Bastard Kid or the death of innocence ou j’expérimente librement le potentiel narratif de la photographie de manière très personnelle J’y avance très lentement, mais j’aime penser que c’est un travail qui demande un temps particulièrement long et sur lequel je cherche à ne me mettre aucune pression, souhaitant expérimenter et me faire plaisir avant tout.

Vue de l’exposition au Photoforum Pasquart © Léonard Rossi

L’exposition du Prix Photoforum 2020 est présentée au Photoforum Pasquart, en Suisse, du 3 mars au 4 avril 2021.

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