Algérie objectif politique, révolution pacifique: interview avec Samir Belkaid
“Ce que j’ai à cœur de documenter, c’est la diversité, l’unité et la dignité des Algériens qui protestent et manifestent:” Samir Belkaid revient sur son travail sur le hirak algérien, présenté au Photoforum Pasquart dans Narratives from Algeria.
Pourquoi la photographie? Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressé ou attiré dans ce médium? Comment avez-vous commencé à utiliser la photographie?
D’aussi loin que je m’en souvienne, je pense en images. Mais après une rupture brutale, violente et personnelle, l’assassinat de mon père en 1995, je suis parti vivre en Australie en 2001, et c’est là-bas que la photographie s’est imposée à moi. J’ai acheté un Contax et j’ai marché, erré. La photographie me permet de me réconcilier avec l’être humain, de mieux aimer les hommes. Elle m’offre le meilleur de ce que peut me donner la réalité.
Quelle est votre approche de la photographie, comment la concevez-vous?
Comme un aphorisme. Une pensée visuelle à la fois témoin d’une époque et instant de poésie. Mes seuls reportages concernent des sujets de société qui questionnent la normalité, la vulnérabilité et l’authenticité de nos relations: le handicap, la maladie, la vieillesse.
Quels sont les éléments centraux de votre pratique, ce que vous souhaitez particulièrement transmettre au public?
Qu’il n’y a rien de normal dans notre réalité, notre condition, notre façon de vivre ensemble. Un pas en arrière, un pas en avant, un peu de distance et des éléments simples, du quotidien, compréhensibles par tous, donnent à voir la réalité autrement. C’est dans le familier que je vois l’étrange. Des détails qui n’en sont pas se cachent dans mes photos, jamais mises en scène.
Pouvez-vous nous parler brièvement du projet exposé actuellement au Photoforum?
Ce projet est né de l’énergie colossale et de l’émotion intense que j’ai ressenties alors que je manifestais un vendredi à Alger. Jeunes, vieux, filles, garçons, jeunes couples ou famille, femmes et hommes, tous se réappropriaient l’espace public et la chose politique. Devant la Grande Poste, j’ai plongé, pour fixer ce moment dans mon histoire personnelle. N’habitant plus en Algérie, et bien que retournant régulièrement voir ma famille et mes amis, je ne me pensais pas assez présent au quotidien pour m’autoriser à témoigner de ces manifestations. Mais une amie journaliste algéroise m’a convaincu du contraire quand elle m’a dit: “chaque voix compte, et c’est une voix de plus.” Ce que j’ai à cœur de documenter, c’est la diversité, l’unité et la dignité des Algériens qui protestent et manifestent. Malgré les arrestations et les emprisonnements, les marches sont restées pacifiques. Ce combat pour la liberté, la justice et la démocratie nous concerne tous, non?
Que signifie pour vous d’exposer à l’étranger? Que souhaitez-vous transmettre à un public a priori peu familier de l’Algérie?
Continuer à être le relai de l’expression légitime de ce soulèvement populaire. Et ainsi, montrer la diversité de l’Algérie, ses multiples visages, sa complexité, ainsi que son énergie, son mérite, sa dignité, et son humour, “cette façon habile et entièrement satisfaisante de désamorcer le réel au moment même où il va vous tomber dessus” disait Romain Gary.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment? Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels ou futurs?
Un de mes projets concerne l’illusion du réel: raconter la réalité avec des diptyques où les images dialoguent, s’interrogent, se répondent. Il sera projeté aux Nuits photographiques de Pierrevert (France) cette année. Un autre questionne le progrès, avec comme point de départ la phrase de René Magritte: “Le progrès est une idée saugrenue.” J’ai également l’idée de déconstruire les fausses croyances qui circulent entre la France et l’Algérie. Je dois aussi aboutir une réflexion en photomontages sur la colonisation.
A vos yeux, qu’est-ce qui permettrait à la photographie algérienne d’être mieux connue et diffusée à l’étranger?
Exactement ce que vous faites [l’exposition Narratives from Algeria au Photoforum Pasquart]. S’intéresser à la photographie algérienne sans présupposé, avoir la même curiosité envers elle qu’envers la photographie de n’importe quel autre pays, et pas seulement en fonction de l’actualité politique de l’Algérie et ses drames. La création de collectifs de photographes algériens, comme le collectif 220, y contribue grandement.
Biographie
Photographe franco-algérien né en1972, Samir Belkaid grandit à Alger avant d’emménager à Paris dans les années 1990. Diplômé de l’ETPA de Rennes, intègre la Grande Galerie de l’Évolution du Muséum National d’Histoire Naturelle, à Paris, dont il deviens le régisseur audiovisuel. Il démissionne en 1996, et travaille comme sound designer (habillage tv, radio). Depuis la fin des années 2000, son travail est entièrement dédié à la photographie. Tout en continuant à collaborer avec des associations et des magazines français sur des sujets de santé et de société, il développe ses projets personnels.
Quelques moments forts de son parcours récent:
2012: exposition Carrefour des Associations Parisiennes, Paris
2013: récompensé en 2013 par Jane Evelyn Atwood, Strasbourg-Rendez-vous image
2014: finaliste du concours Sophot, Paris
2019: finaliste des Urban Photo Awards
2019: finaliste des Maghreb Photography Awards.
2019: short list du Felix Schoeller Photo Award, catégories photojournalisme et portrait.
Narratives from Algeria
L’exposition Narratives from Algeria, au Photoforum Pasquart de Bienne, en Suisse, a lieu du 4 juillet au 6 septembre 2020. Elle a pour ambition de présenter un aperçu de la photographie contemporaine algérienne dans sa pluralité, sa richesse et sa diversité, alors qu’elle fait l’objet, à l’heure actuelle, d’une diffusion internationale limitée. Narratives from Algeria rassemble le travail de plus de 30 photographes internationaux aux liens étroits avec l’Algérie, dont une majorité y réside actuellement. Leurs projets livrent collectivement un récit multiforme de l’Algérie, de son présent complexe à la lumière de son passé difficile, et abordent des questions telles que l’identité collective et individuelle, l’engagement politique ou certaines facettes de la vie quotidienne dans le plus grand pays du continent africain.
