La révolution du sourire: interview avec Sofiane Bakouri
“J’ai choisi de mettre en lumière ces personnes, qui ont fait la force du Hirak, porteur d’espoir de cette jeunesse déterminée.” Sofiane Bakouri revient sur son approche de la photographie et son projet sur le hirak algérien, présenté au Photoforum Pasquart dans l’exposition Narratives from Algeria.
Pourquoi la photographie?
C’est comme si j’ai vécu une large partie de ma vie sans autant pouvoir communiquer avec le reste de l’humanité causé par toutes ces barrières psychologiques issues d’idées limitantes qu’on nous a inculquées très jeunes, et la photographie était comme un sauveur, elle a pu se faufiler dans cette petite brèche et extraire ce qui était un handicap et la bonifier en usant de cette magie qui est la photographie.
Qu’est-ce qui vous particulièrement intéressé ou attiré dans ce médium?
La liberté qu’offre ce médium: malgré toutes ses limites, elle reste un médium modelable et riche à l’infini, qui réussit parfaitement à calquer nos émotions en tant qu’auteur sur des images figées, et qui transmettent à leur tour un ressenti qui peut être interprété de plusieurs manières, une sorte de liberté exponentielle qui fige la notion du temps et la rend quasi inexistante.
Comment avez-vous commencé à utiliser la photographie?
C’était un pur hasard. Lors de mes années d’études universitaires, je côtoyais des amis qui étaient impliqués dans le mouvement associatif, je voulais apporter ma petite expérience dans le domaine et c’est là qu’un ami a découvert chez moi cette facilité à dessiner avec les lignes tracées par la lumière ou à capter des émotions. C’est là que j’ai commencé à m’exprimer avec ce médium.
Quels sont les éléments centraux de votre pratique, ce que vous souhaitez particulièrement transmettre au public?
Pour ma part, je me concentre souvent sur deux axes principaux, l’humain et la psychologie, qui depuis mon plus jeune âge m’ont fasciné, les questions existentielles, le pourquoi du comment, et chercher à comprendre les motivations des uns et des autres. Plus tard l’esthétique a pris une place dans ma pratique photographique.
Pouvez-vous nous parler brièvement du projet exposé actuellement au Photoforum?
J’ai l’immense honneur de proposer deux séries photos qui sont complètement opposées, l’une qui raconte un moment historique qu’a connu l’Algérie ces deux dernières années, à savoir le HIRAK, où je met en avant la composante de ce mouvement populaire unique en son genre par son caractère pacifique. J’ai choisi de mettre en lumière ces personnes lambda qui ont fait la force de ce Hirak porteur d’espoir de cette jeunesse déterminée à faire changer les choses dans un monde qui est régi par des lois de l’omerta et qui a décidé de porter haut leurs espoirs d’un monde meilleur. La seconde série, La Maison Brulée, est un travail au long cours au milieu d’une famille berbère d’anciens cadres àla retraite qui ont fait le choix de retourner sur leur terre natale afin de revivre cette terre et de transmettre les valeurs et leurs traditions à leurs enfants et petits-enfants: des valeurs qui mettent le respect de la nature et de composer avec elle au centre de leurs éducations et où la femme prend le rôle central dans la gestion du foyer.
Que signifie pour vous d’exposer à l’étranger? Que souhaitez-vous transmettre à un public a priori peu familier de l’Algérie?
Pour ma part, j’ai déjà plusieurs expositions à l’étranger, néanmoins ça reste ma première en Suisse, une très belle première en compagnie de tous ces photographes de talent. Je ne peux que me réjouir et surtout l’ensemble peut donner de visions diverses au public suisse afin qu’il puisse mieux cerner ce beau pays qui reste encore méconnu dans le monde, par manque d’expositions de ce genre, ce qui donne un goût particulier à cette exposition du Photoforum. Ma photographie a comme objectif de documenter ce grand pays multiculturel dans toutes ces dimensions et de rapprocher les peuples via ce médium.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment? Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels ou futurs?
Actuellement, je suis sur un projet autour des théâtres algériens et de l’histoire qui côtoient ces lieux pleins d’anecdotes. Je prépare aussi un travail à la résidence des arts de Paris pour le mois d’octobre prochain qui va questionner la créativité dans son ensemble. C’est un travail qui verra le jour avec des psychologues des deux rives de la Méditerranée, français et algériens, et c’est une belle opportunité de pouvoir confronter la vision de ces deux peuples dans leurs réflexions, et de finir le travail par une l’élaboration d’œuvres artistiques.
Biographie
Sofiane Bakouri est depuis toujours amoureux d’une terre, la sienne. A 33 ans, le photographe algérien porte sur elle, sur ceux qui l’habitent et l’arpentent, un regard juste, sensible, affûté.
Il sait habiter toutes les nuances d’une étendue pierreuse ou saisir à la volée les ombres d’un visage, attraper d’un coup d’œil agile le chant qui s’échappe d’une poitrine révoltée ou capturer, dans une masure de montagne à l’abandon, la chaleur d’un feu qui crépite.
La photographie était une passion dévorante, il en a fait un métier. Initié aux arts visuels et à la création documentaire, il s’appuie sur une solide formation technique, sanctionnée par un diplôme. Il est lauréat de plusieurs concours.
Ses œuvres ont été exposées à Bruxelles, Strasbourg, Sfax, Tunis, Perpignan, Alger, Oran, Skikda, Brasilia. D’un bout à l’autre de l’Algérie, il anime des ateliers photographiques; sa pratique, il aime la partager, au gré des rencontres oú dans le monde associatif à l’ombre duquel grandissent de jeunes talents. Il appartient à une génération d’artistes généreux, tisseurs de lien social, attentifs à ce qui enclot sur les ruines d’un monde condamné; comme photographe de terrain, il a la probité de ceux qui savent, dans cette ère d’immédiateté, la charge d’une image. Les siennes ne mentent pas.
De ses pérégrinations en Algérie et dans tout le Maghreb, Sofiane Bakouri rapporte, dans une exubérance de couleurs ou dans la pénombre de ses noirs et blancs, des scènes, des portraits, des paysages incandescents, beaux précipités de la vie telle qu’elle va dans l’incomparable lumière de cette Afrique du nord qui trébuche, se perd, se relève, se cherche sans trêve un chemin d’émancipation.
www.sofianebakouri.com
Instagram: bakourisofiane
Facebook: bakourisofiane
Narratives from Algeria
L’exposition Narratives from Algeria, au Photoforum Pasquart de Bienne, en Suisse, a lieu du 4 juillet au 6 septembre 2020. Elle a pour ambition de présenter un aperçu de la photographie contemporaine algérienne dans sa pluralité, sa richesse et sa diversité, alors qu’elle fait l’objet, à l’heure actuelle, d’une diffusion internationale limitée. Narratives from Algeria rassemble le travail de plus de 30 photographes internationaux aux liens étroits avec l’Algérie, dont une majorité y réside actuellement. Leurs projets livrent collectivement un récit multiforme de l’Algérie, de son présent complexe à la lumière de son passé difficile, et abordent des questions telles que l’identité collective et individuelle, l’engagement politique ou certaines facettes de la vie quotidienne dans le plus grand pays du continent africain.